Poursuivi pour plusieurs infractions à la loi anti-blanchiment, l’avocat d’une modeste étude a été condamné à 3.000 euros d’amende, alors qu’il risquait une peine jusqu’à 6,25 millions d’euros. Il devra verser l’euro symbolique au Conseil de l’Ordre pour atteinte à l’image de l’ensemble de la profession.
Lors de son procès le 7 janvier dernier devant la 18e chambre correctionnelle, Me D. avait fait un aveu d’impuissance à exercer son métier d’avocat dans le contexte de la règlementation de la lutte contre la criminalité financière toujours plus contraignante. «Cette profession est devenue n’importe quoi», a-t-il déclaré deux semaines plus tard à REPORTER, lorsque le verdict est tombé. «Il faut trouver des boucs émissaires et l’avocat est tout désigné pour faire office de ‘punching ball’», a-t-il encore affirmé. Ce n’est pas la position des juges qui ont considéré que ses défaillances avaient jeté une ombre sur toute la profession.
Me D. a écopé d’une peine d’amende de 3.000 euros pour plusieurs infractions à la législation anti-blanchiment qui impose aux avocats de participer à la lutte contre la criminalité en col blanc, en particulier lorsqu’ils doivent gérer les fonds de tiers. Le substitut du Procureur avait requis 15.000 euros d’amende à l’encontre du prévenu.
Circonstances atténuantes
L’avocat a toutefois bénéficié de circonstances atténuantes du fait, entre autres, de l’absence d’antécédents judiciaires et de «la faible envergure de (son) activité rentrant dans le champ d’application de la loi (…) relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme». Car Me D., qui était seul à bord dans son étude au moment des faits qui lui sont reprochés, fait du petit contentieux. Ses activités de domiciliation de sociétés étaient réduites à la portion congrue, à mille lieux de l’effervescence des grandes officines des avocats d’affaires qui hébergent par dizaines des sociétés. L’avocat risquait une amende pouvant aller jusqu’à 6,25 millions d’euros.
L’opération incriminée en soi ne révèle cependant aucun élément permettant de croire à une opération de blanchiment-détention»18e chambre du tribunal correctionnel
Ni Me D., ni le Parquet ne voulaient s’exprimer vis-à-vis de REPORTER sur leurs intentions respectives de faire appel ou non du jugement tombé le 23 janvier.
Les poursuites ont démarré à la suite d’une assignation en faillite par l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines de la société Prognosis, en défaut d’avoir payé une dette fiscale de quelque 12.000 euros. Pour éviter la faillite, le gérant de la société avait donné mandat à son avocat de s’acquitter des 12.000 euros. Toutefois, le montant sera prélevé du compte d’une seconde société dans laquelle le gérant n’était qu’administrateur. Le pot aux roses est découvert en 2014 après un changement d’administrateur. S’en suivit une plainte au Procureur et des poursuites pour abus de biens sociaux qui débouchèrent sur la condamnation en 2017 à 5.000 euros d’amende du gérant de Prognosis.
Défaut de dénonciation
Lors de la procédure, le Parquet s’est intéressé à l’avocat du gérant qui a transmis le virement sans se poser de question sur l’origine des fonds. A la suite d’une perquisition de son étude en novembre 2018, la Police judiciaire constata que Me D. n’avait pas mis en place de procédure formelle d’identification de ses clients ni de dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L’avocat contrevenait ainsi à ses obligations professionnelles inscrites dans le Règlement d’ordre intérieur du Barreau.
À l’époque des faits, Me D. faisait partie de cette moitié d’avocats n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle du Conseil de l’ordre des avocats. Précisons que la profession s’autoréglemente.
Une série d’infractions à la loi modifiée du 12 novembre 2004 sur l’anti-blanchiment avait été retenue contre lui dans l’ordonnance l’ayant renvoyé devant un tribunal correctionnel: défaut d’avoir rempli ses obligations de vigilance à l’égard de sa clientèle; absence de procédures, politique et mesures de contrôles internes pour gérer le risque de blanchiment; non-conservation des copies des documents renseignant de l’identité de ses clients et défaut de dénonciation, via le bâtonnier, des agissements de Prognosis à la Cellule de renseignement financier du Parquet.
Les manquements sont de nature à causer une certaine atteinte à l’image de l’ensemble de la profession d’avocat et à jeter un certain discrédit sur l’ensemble de la profession»Jugement du 23 janvier 2020
Le ministère public lui reprochait en outre de ne pas avoir disposé d’un «système lui permettant de répondre de manière rapide et complète à toute demande d’informations des autorités luxembourgeoises». Enfin, le Parquet lui faisait grief de sa non-participation à des programmes spéciaux de formation continue à intervalle régulier du respect des règles anti-blanchiment.
Dans son réquisitoire, le substitut du procureur d’Etat avait insisté sur «la gravité des faits» et s’était dit «inquiet pour l’avenir» en raison du «manque de prise de conscience» et de pugnacité de l’avocat dans le combat contre la criminalité économique.
Pas de blanchiment-détention
Les juges n’ont pas suivi le ministère public sur toute la ligne. Ils n’ont pas retenu par exemple la prévention de blanchiment-détention, un grief que le Parquet a tendance à servir à toutes les sauces, y compris à l’encontre les petits voleurs à la tire, dans le but de faire grimper les statistiques anti-blanchiment.
Si le règlement d’une dette d’une société par une autre société peut constituer un indice d’abus de biens sociaux, «l’opération incriminée en soi ne révèle cependant aucun élément permettant de croire à une opération de blanchiment-détention», ont expliqué les magistrats. Ces derniers ont acquitté l’avocat de cette prévention.
Les juges ont retenu en revanche les préventions de défaut de procédure interne anti-blanchiment. Ces déficiences avaient poussé le Conseil de l’Ordre des avocats à instruire une procédure disciplinaire contre Me D. et à lui infliger une sanction de réprimande.
Le Conseil de l’Ordre s’est également porté partie civile dans ce procès, réclamant un euro symbolique pour réparer son «préjudice moral pour atteinte aux principes de diligence, d’honneur, de dignité et de probité qui forment la base de la profession d’avocat». Les magistrats ont accédé à cette demande, considérant que «les manquements (de Me D., ndlr) sont de nature à causer une certaine atteinte à l’image de l’ensemble de la profession d’avocat et à jeter un certain discrédit sur l’ensemble de la profession».
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