Rendez-vous à Dudelange pour la quatrième et dernière étape de notre série sur les nouveaux responsables d’institutions culturelles au Luxembourg. John Rech a pris la suite de Danielle Igniti à la direction de opderschmelz. Ce sont deux tempéraments mais aussi deux approches radicalement opposées de la Culture qui se succèdent.

Finalement, il y est arrivé. «C’était mon rêve d’être ici». Lorsque nous rencontrons le directeur du centre culturel opderschmelz, au deuxième étage de l’imposant bâtiment qui abrite aussi le Centre National de l’Audiovisuel et le Conservatoire de Dudelange, John Rech a les traits tirés mais le sourire aux lèvres. La pression retombe après l’édition 2019 de la Fête de la musique. Cette manifestation, qu’il a créée en 1994, a bien grandi. Elle est devenue l’un des événements incontournables sur la scène musicale du pays avec le festival Zeltik, autre manifestation qui porte sa marque.

Depuis le 1er mars 2019, l’homme est aux commandes du service culturel de la ville de Dudelange d’où il peut piloter opderschmelz. La juste récompense, à ses yeux, d’un engagement sans faille pour une ville où il est né et à laquelle il est viscéralement attaché. «On m’a proposé d’autres jobs mieux payés ailleurs. J’ai toujours voulu rester ici», dit-il.

Son petit bureau, baigné par la lumière de larges baies vitrées donnant sur le centre-ville, raconte l’histoire du parcours professionnel et artistique de celui qui est aussi chanteur et guitariste. Les dossiers professionnels et plantes vertes cohabitent avec la collection de CD enregistrés avec ses groupes T42 (dans le registre pop-rock entre 1992 et 2005) et Dream Catcher (tendance pop-folk, qui a sorti le premier de ses cinq albums en 2006).

(Photo: Leslie Schmit)

Un peu plus loin est alignée la série des Sonic Comics et autres albums publiés avec le dessinateur de BD Andy Genen depuis 2009, bien gardés par une collection de canards en plastique jaune plus ou moins rock’n roll, clin d’œil au logo du frontman de Dream Catcher. Une série de photos réalisées pour les 100 ans de la ville de Dudelange en 2007 côtoie des dessins que ce père divorcé de deux enfants, de 13 et 15 ans, affiche en bonne place. «J’ai payé le prix fort pour avoir ce poste. C’est pour cela que les attaques au moment de ma nomination m’ont blessé», confie-t-il.

Une vision joyeuse de la Culture

L’accession de John Rech à la tête d’opderschmelz a été controversée. Alors que les passations de pouvoir dans les autres institutions culturelles du pays se sont déroulées dans une certaine bienveillance, nul n’ignore que les relations du nouveau directeur avec son ancienne patronne, Danielle Igniti, n’étaient pas au beau fixe. Celle-ci ne s’en cachait pas. Elle est devenue la première responsable du tout nouveau centre culturel régional en 2007. Son adjoint attendait son heure. Chacun avait sa chasse gardée. La fête de la musique et le Zeltik pour lui. Le reste pour elle.

Derrière cette répartition des tâches, c’est aussi deux visions de la Culture qui ont cohabité. Danielle Igniti défend la notion sans concession de service public, en s’appuyant sur une offre culturelle qui amène les spectateurs hors des sentiers battus par le secteur privé. C’est une militante qui n’hésite pas à monter sur les barricades.

Le charismatique chanteur du groupe Dreamcatcher, pour sa part, dit «ne pas aimer les conflits» et veut partager une expérience joyeuse de la Culture. Contrairement au sport, où «on a tendance à s’occuper surtout des prochaines stars», la Culture «rassemble des gens, leur permet de jouer en harmonie, de danser, de forger des amitiés en créant quelque chose». C’est un remède à l’individualisme de la société, un moyen de faire se rencontrer des «gens réels qui ont d’autres cultures, envies, histoires». L’offre doit être fédératrice.

Pour autant, pas question de détricoter un héritage dont John Rech revendique une part. D’après lui, l’actif culturel de Dudelange – ville qui investit le chiffre record de 10% de son budget dans la Culture – s’est construit non pas depuis 2007, mais depuis 25 à 30 ans: «Cela m’étonne qu’on puisse penser que je vais changer tout cela», dit-il.

J’ai une personnalité créative et j’aime me marrer. J’ai toujours été comme ça. »

La dernière édition du festival international Jazz Machine, orchestrée sous sa direction par la nouvelle responsable Patricia Jochheim, a été la plus fréquentée depuis sa création en 2012, affirme-t-il en soulignant: «On n’a pas lésiné sur les moyens». Pour l’art contemporain, il a pu recruter Marlène Kreins, une spécialiste en Arts plastiques reconnue sur la scène culturelle.

La touche personnelle du nouveau patron d’opderschmelz, qui insiste aussi sur «l’esprit d’équipe», devrait se faire sentir dans les prochaines années: «Je vais pouvoir faire des choses qui n’étaient pas possible avant, inviter une nouvelle génération d’artistes, ouvrir vers le folk-pop ou des singer-songwriters. Il y a de la très haute qualité dans le pop. Les valeurs ne changeront pas. Je veux des artistes de qualité et honnêtes. Il n’y aura ni Hoppen Théid ni Chippendale. Cela ne fait pas partie de notre ADN».

L’héritage politique

La proximité de John Rech avec les politiques, dans une ville de tradition socialiste, a été pointée du doigt par certains qui ont vu dans sa nomination une affaire de complaisance. Ce procès avait épargné Danielle Igniti. Il faut dire que son militantisme au LSAP a vite tourné court. Entrée au parti en 1992, elle en est rapidement devenu vice-présidente avant de claquer la porte en 1996.

L’engagement de John Rech au LSAP a été précoce. Il devient membre du parti en 1985 dès l’âge de 15 ans, lorsque son grand-père, le syndicaliste Louis Rech, né Luigi Rech, emporte les élections communales. Le premier bourgmestre d’origine italienne de Dudelange occupe ce poste jusqu’en 1993. «J’étais très fier de lui. C’est quelqu’un qui se battait pour ses idées et les habitants de Dudelange», observe son petit-fils.

La musique et l’écriture sont des échappatoires. »

Les années 1980 sont marquées par la crise de la sidérurgie qui frappe de plein fouet la ville. John Rech, dont le père travaille à l’Arbed puis à Galvalange, intègre les Jeunesses socialistes mais c’est surtout le sport qui mobilise alors toute son énergie. Il joue au basket et écume les stades d’athlétisme, avec pour objectif les Jeux olympiques de Barcelone en 1992. Une blessure met fin à ce rêve.

Pendant sa convalescence, il gratte la guitare avec des copains et découvre l’ivresse de la scène. Il va mener une carrière de musicien et d’organisateur de concerts tout en travaillant comme assistant parlementaire au LSAP (1990-1992) puis dans une agence de communication et finalement au service culturel de l’administration communale de Dudelange à partir de 2006.

«J’ai une personnalité créative et j’aime me marrer. J’ai toujours été comme ça. La musique et l’écriture sont des échappatoires», dit cet «attrapeur de rêves» qui joue aussi avec l’auto-dérision à travers les personnages de Dad et Junior dans ses Sonic Comics. Andy Genen, le dessinateur de la série, confie apprécier chez John Rech «son très grand enthousiasme pour tout ce qu’il fait, sa facilité à aller au contact des autres mais aussi sa capacité d’organisation. On se complète bien».

Une vue panoramique

Le très populaire musicien était présent sur la liste LSAP aux dernières élections législatives de 2018. Il a récolté 14.728 voix. Ce résultat, supérieur à celui des députés Marc Angel dans la circonscription du Centre ou Nicolas Schmit dans l’Est, ne lui a pas permis d’être élu dans la circonscription du Sud. Par chance.

«J’aurais été dans la merde si j’avais été élu», reconnaît-il. Pourquoi dès lors s’être présenté? «Pour donner un signal qu’il faut s’engager à un moment où il y a un ras-le-bol en politique», dit celui qui croit toujours à l’avenir du LSAP alors que la population ouvrière ne cesse de diminuer: «on est tous des travailleurs, même si on travaille dans des bureaux. Or les conditions ne s’améliorent pas. Il y a plus de stress, plus de pression au travail, y compris dans la Culture. Il y a de la place pour un parti socialiste qui s’engage pour les travailleurs».

Photo: Leslie Schmit

Il justifie aussi sa présence sur la liste du LSAP par sa participation au groupe de travail qui a rédigé le volet culturel de l’accord de coalition du nouveau gouvernement. Ses diverses casquettes lui donnent une vue panoramique de la scène culturelle, avec un tropisme musical. Il est membre fondateur de l’agence de diffusion musicale Music LX, membre du réseau des Centres culturels régionaux, membre de l’asbl Fête de la musique, membre du Comité de pilotage en vue de la création d’un Art Council et responsable du projet de capitale européenne Esch 2022 pour la ville de Dudelange.

Hyperactif, John Rech? Il reconnaît que la trêve estivale ne lui fera pas de mal. Toujours est-il que cet activisme lui donne toutes les cartes en main pour imprimer sa marque, à partir de Dudelange, sur une scène culturelle en plein développement. Finalement, la balle est dans son camp.


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