Il y a un an, nous avions publié dix épisodes d’une chronique qui racontait, semaine après semaine, l’irruption du Covid-19 dans le quartier de Gasperich à Luxembourg. Notre chroniqueuse est repartie sur le terrain pour comprendre comment la population s’est adaptée.
On s’était donné rendez-vous dans un an, pour jeter un regard rétrospectif sur un confinement que l’on imaginait loin derrière nous. Un peu comme ces anciens combattants se réunissent pour se remémorer leurs faits d’armes: avoir vécu un Lockdown total, un événement unique dans son genre.
À l’époque, j’avais rapporté les prévisions du docteur Schmitz. Il prévoyait «un Noël masqué». Un diagnostic jugé bien pessimiste par beaucoup, voire contesté. Dans l’adversité, les oiseaux de mauvais augure font figure de défaitistes et casser le moral des troupes, c’est réduire leurs défenses immunitaires. Or la première vague refluait, les enfants avaient repris le chemin de l’école et le printemps brillait de tous ses feux. On voulait croire aux lendemains qui chantent.
Depuis, la pandémie n’a pas épargné le quartier. Il y a eu la mort du patron du salon de coiffure Igorance, fauché dans la force de l’âge. Des élèves de l’Ecole fondamentale ont été mis en quarantaine. Jonas, le petit voisin qui m’avait confié apprécier le homeschooling, a été testé positif et confiné avec ses parents et sa sœur. Ce qui n’a pas manqué de les contaminer à leur tour.
Moi-même ai été infectée à mon domicile par une connaissance, avant de transmettre le virus à mon mari. Nous sommes toujours empêtrés dans nos histoires de tests, de masques et désormais de vaccins. C’est le sujet qui fait débat quand on croise une connaissance dans la rue.
«J’ai été vaccinée avec le Pfizer. Tout s’est bien passé. Il y avait un médecin qui a vérifié quels médicaments anticoagulants je prends. Je n’ai pas eu d’effets secondaires», témoigne une dame de 88 ans, masquée et emmitouflée dans son manteau, en ce dimanche pluvieux. Un peu plus loin, une jeune sexagénaire identifiée comme «vulnérable» vient d’apprendre qu’elle pourra être prochainement vaccinée. Elle est plus résignée qu’enthousiaste: «Je n’aurai pas le choix du vaccin. Cela m’embête mais je vais le faire, même si ma fille est contre. Je ne vois pas comment on va s’en sortir, sinon».
Dans la lutte contre la pandémie, de nouvelles armes se profilent. «Nous avons commandé des autotests. Ils devraient arriver cette semaine», indique Camille Kirt, le patron de la pharmacie Bei der Auer. Les informations sont encore floues sur leur prix – on parle de 14 à 15 euros pièce – et leur éventuel remboursement par la Caisse de maladie.
«Le masque, ça plombe le moral»
Sur la vitrine de la pharmacie est affichée une publicité pour améliorer son sommeil grâce à des produits à base de CBD, un dérivé autorisé du chanvre connu pour ses effets relaxants. D’après les réponses d’un sondage que j’ai fait auprès des membres du groupe Facebook «Gasperich Solidaire», 20% vivent la pandémie «mal ou plutôt mal» et 25% disent avoir «peur de la maladie».* Les autres, soit quatre personnes sur cinq, ont appris à être résilients. Mais a-t-on vraiment le choix?
Le plus dur est la routine qui plombe un quotidien privé des sorties au restaurant ou dans un bar. Cela manque à trois-quarts des participants au sondage. Dans ce quartier multiculturel, qui compte nombre de familles dispersées bien au-delà de l’Europe, les deux-tiers déplorent la fermeture des frontières, les restrictions dans la vie familiale et l’absence de perspectives pour les prochains mois.
Ce que me confirment aussi trois jeunes filles du Foyer Vivo, au fond de l’impasse Lemerwee où je suis retournée. Elles ont 16 ans, bientôt 17, et le moral en berne. Au printemps dernier, elles bronzaient au soleil sur la pelouse devant le foyer, pendant que quelques-uns de leurs camarades répondaient à mes questions. On était en plein confinement et tout le monde se serrait les coudes en attendant la libération. Les jeunes circulaient sans masque dans le bâtiment puisqu’il n’y avait pas de contact avec l’extérieur. Ce qui n’est plus le cas depuis le déconfinement.
«Le masque, c’est fatigant. Ca plombe le moral», confie Lisa.** Après le lycée, où il est obligatoire, elles doivent encore le supporter le soir au foyer. Leur chambre est le seul endroit où elles peuvent l’ôter, avec la parenthèse des repas pris par groupe de trois à quatre personnes. À 16 ans, elles sont soumises à un régime plus strict que celui des octogénaires dans les CIPA. Elles n’ont pas l’autorisation de recevoir la visite de leur famille et pas de perspective de relâchement des contraintes en vue.

La pilule a d’autant plus de mal à passer que cela n’a pas empêché un cluster de se former au mois de janvier. 11 jeunes sur les 17 pensionnaires ont été testés positifs. «On est resté entre 10 et 14 jours enfermés dans nos chambres, sans voir personne. J’étais asymptomatique mais j’ai attrapé mal à la tête à force de passer ma journée sur les réseaux sociaux avec mon téléphone. Maintenant, je ne le supporte plus. C’est mon pire ennemi!», lance Lena**.
Au début de la pandémie, ces jeunes filles comprenaient les restrictions imposées. Maintenant, beaucoup moins. «En fin de compte, c’est du business tout ça. Un vaccin développé en un an? Je n’y crois pas!», dit Lena. Lisa pour sa part observe que son papi de 89 ans a attrapé le Covid et n’en est pas mort. Elle-même s’en est tirée avec deux jours de fièvre. «Le Covid ne me fait pas peur!», affirme-t-elle avec la voix plombée par l’amertume.
Le prix à payer est lourd pour ces jeunes, qui doivent déjà faire face à des parcours familiaux compliqués. «J’avais 15 ans quand la pandémie a commencé. Maintenant je vais en avoir 17 et je ne sais toujours pas ce que c’est que d’aller en boîte avec des copains», déplore Anna**.
L’une de leurs éducatrices, Marie-France, reconnaît qu’à la longue, la situation devient plus pesante et que les contraintes sanitaires font naître des tensions. La prévention, «pour protéger le cadre de vie», reste indispensable. «On commence tous à fatiguer», dit-elle. Et à long terme? «Si on ne les met pas en quarantaine tous les 15 jours comme cas contact, ils y arriveront».
Mariés malgré tout
La pandémie aura quand même eu quelques effets positifs, à entendre les échos du côté des membres du groupe Facebook Gasperich Solidaire. De nombreuses personnes se félicitent d’avoir désormais «plus de temps en famille», notamment grâce au télétravail (qui est quand même pesant pour 10% des participants au sondage). La pandémie a permis de développer «l’entraide entre voisins» et de découvrir les joies de la randonnée dans les environs. Certains ont rangé leurs placards, d’autres ont perdu du poids en développant leurs talents culinaires. Un couple de voisins a même «réussi à se marier en 2020»!
Alors que les jours rallongent, ils rêvent de voyager, de se retrouver avec les amis ou la famille autour d’un bon repas ou au restaurant, d’aller au fitness ou en discothèque, de se débarrasser de ces fichus masques.
Le cycle des saisons, lui, poursuit sa route, indifférent à la pandémie. Et revoilà les premiers bourgeons qui éclatent sous la poussée des feuilles, les narcisses qui pointent, les merles et moineaux qui vocalisent dans les buissons. Le Covid-19 n’a pas de prise non plus sur Thomas, le SDF du quartier. Il passe toujours une bonne partie de ses journées sur le pas-de-porte de l’ancienne épicerie Ludig, route d’Esch. À quelques encablures de là, les nains de jardin de madame Flor tiennent bon la garde dans la courette devant sa maison, en attendant que les beaux jours reviennent.
*Sur les 383 membres du groupe Gasperich Solidaire, 43 ont répondu au questionnaire posté sur la page Facebook. Un chiffre à rapporter aux quelque 7.700 habitants du quartier pour en relativiser la portée.
** Les prénoms ont été modifiés
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Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich au Luxembourg est au carrefour du monde globalisé dans lequel nous vivons, tout en ayant l’échelle et l’organisation d’un village. Comme le reste du monde, il vit désormais à l’heure du coronavirus.


