Le déconfinement se poursuit par étapes dans le quartier de Gasperich à Luxembourg. La menace du coronavirus est dans les esprits et il faut apprendre à sortir de sa zone de confort. Du côté de l’Asile National pour animaux, on tient la crise sous contrôle.
Il porte le nom du sponsor d’un célèbre club de foot et d’une compagnie aérienne dont les cargos survolent le quartier. Qatar, six ans, rentre de sa balade quotidienne lorsque je le rencontre devant l’Asile National pour animaux, rue Mozart, en contrebas du futur parc du Ban de Gasperich. Sa gueule ouverte et sa langue pendante dessinent un large sourire auquel répond celui de son compagnon, Désiré. Ils se connaissent bien. Chaque après-midi, ce bénévole permanent de l’Asile national vient de Belval pour sortir l’animal.
L’homme n’est pas pressé de voir le confinement se terminer. «C’est plus relax de sortir les chiens en ce moment. Il y a moins de monde dans les rues», dit l’athlétique sexagénaire. Un tee-shirt blanc, frappé du sigle déierenasyl.lu, fait ressortir ses bras tatoués qui tiennent fermement la laisse du chien. Qatar est un American Staffordshire. Cette race, en vogue actuellement, est classée sur la liste des chiens susceptibles d’être dangereux. Il n’est pas possible de s’en occuper sans posséder un permis. La police y veille. Si les maîtres sont en infraction, les animaux se retrouvent assignés à résidence à l’Asile. Neuf d’entre eux y sont actuellement proposés à l’adoption.
Jusqu’à nouvel ordre
Ces chiens n’ont pas attendu le coronavirus pour appliquer les mesures de distanciation sociale. Qatar reste à bonne distance de Leeland, un congénère de cinq ans promené par Sandra. Pourtant, leurs promenades ne sont pas toujours vues d’un bon œil dans le quartier qui a vu sa population augmenter de 3.000 habitants en dix ans. L’ancien asile, construit en 1964, était entouré de champs. La zone d’activité de la Cloche d’Or n’existait pas. Une passerelle offrait un accès rapide au bois de Howald. Le nouveau bâtiment, inauguré au même endroit en 2012, a été rattrapé par l’expansion urbaine du Ban de Gasperich et l’ouverture du boulevard Raiffeisen. Aux pieds de l’asile, le futur parc mettra une touche finale au remodelage du sud de Gasperich. «Je me demande si nous serons autorisés à nous y promener», dit Désiré. Le confinement a fait piétiner les travaux d’aménagement déjà retardés. C’est toujours ça de pris.
Avec la pandémie, les procédures habituelles d’adoption et de sorties des chiens par des bénévoles occasionnels ont été stoppées nettes le 16 mars. L’asile a été fermé, sauf cas urgents. Il fallait éviter les risques de contamination des employés, alors que le soin aux animaux requiert une présence sept jours sur sept. Depuis le 20 avril, l’adoption est réouverte, sur rendez-vous. 22 chiens et trois chats attendent de trouver un nouveau foyer. L’asile n’affiche pas complet. Certains pensionnaires ont été placés au début de la crise chez des personnes de confiance. Et les confinés n’ont pas abandonné leurs animaux. Jusqu’à nouvel ordre.
«Le diable est dans les détails»
Rue Clémenceau, dans le jardin où les lilas jettent leurs derniers effluves sucrés, on a vue sur l’Asile national. «Les chiens à l’heure des repas font autant de bruit que les élèves en faisaient en récré», observe Véronique, un brin nostalgique. Avec le confinement, cette prof de maths a fait l’apprentissage de l’enseignement à distance, via Teams et Youtube. Une expérience «intéressante, qui lui a permis de tester de nouvelles pratiques pédagogiques». Cette semaine, elle a retrouvé son lycée. Une rentrée «sinistre», aux odeurs de gel hydroalcoolique. Dans l’établissement désinfecté, une signalisation limite les interactions au strict minimum. Finie la joyeuse cohue dans les couloirs ou les discussions à la salle des profs. «J’ai juste dit deux mots derrière mon masque à une employée venue m’apporter du matériel». La première vague de déconfinement des lycéens ne concernait que les classes de première. «Pour pouvoir espacer les élèves, on les a installés dans une salle tellement grande que j’ai utilisé un micro», dit la professeure.
Tout a l’air sous contrôle, mais c’est chaque petit geste de sa pratique quotidienne qu’il lui faut réapprendre. «Comme allumer mon beamer, la première chose que je fais d’habitude en entrant dans ma classe. Là, impossible de presser spontanément le bouton. Me suis-je désinfecté les mains? Qui l’a touché avant? J’ai un peu l’impression d’être dans un grand jeu scout avec un tas d’obstacles à éviter. Mon bilan de cette première semaine de reprise, c’est que le diable est dans les détails».
Chez elle, comme dans les familles qui avaient accueilli des «rapatriés» en début de crise, le calme se réinstalle par étapes. Un peu partout en Europe est donné le signal du déconfinement. Le télé-travail et le télé-enseignement restent la règle mais il y a les amis ou chéris qu’on peut enfin revoir. Le trafic des bus et trains sort de sa léthargie. Deux de ses trois filles étudiantes sont reparties.
Vers un «Noël masqué»?
Ceux qui restent confinés en télétravail commencent à s’échauffer dans le quartier. Sur le groupe Facebook Gasperich SOLIDAIRE, qui réunit 256 membres six semaines après son lancement, on s’exaspère des coupures de connexion internet ou téléphonique. Faut-il y voir une conséquence de la reprise des chantiers dans le quartier? Quel opérateur fournit le meilleur service: Post ou SFR? On tente de géolocaliser les problèmes mais les avis des uns ne concordent pas toujours avec ceux des autres. Le manque de réactivité des services de maintenance fait l’unanimité.
Le confinement en stresse certains. Mais sortir de la zone de confort de son domicile ne va pourtant pas de soi. Ce dont témoigne le docteur Schmitz. Ses patients, désormais autorisés à reprendre le chemin de son cabinet, ne se sont pas précipités rue Tony Bourg. La levée progressive du confinement n’enlève pas la peur de la contagion, malgré les mesures barrières réglementaires et, nouveauté chez lui, la prise de rendez-vous. «C’est très calme. Les gens sont encore chez eux donc il y a peu de blessés à l’extérieur. Les malades chroniques et les personnes âgées ne sortent pas du tout. Ils demandent des ordonnances par téléphone».
Le docteur Schmitz dit n’avoir eu à ce jour que cinq patients atteints par le Covid-19, dont trois suspicions – il n’y avait pas de test disponible au tout début de la crise. Mais il s’attend à une pandémie larvée de longue durée. «Je suis presque sûr que nous ferons nos courses de Noël masqués». Nous voilà avertis. Un moyen peut-être de conjurer son pronostic.
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Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich à Luxembourg est au carrefour du monde globalisé dans lequel nous vivons, tout en ayant l’échelle et l’organisation d’un village. Comme le reste de la planète, il vit désormais à l’heure du coronavirus.

