Cela fait plus de dix ans que la Communauté internationale s’est dotée d’outils juridiques pour lutter contre le viol comme arme de guerre. Pourtant, la justice ne parvient pas à passer. Une situation contre laquelle s’insurge Céline Bardet, présidente de l’association «We Are Not Weapons of War».
«Je suis extrêmement en colère contre la Cour Pénale Internationale. Elle dispose d’une stratégie contre le viol de guerre. Pourtant, cela ne change rien». La juriste internationale et activiste Céline Bardet ne mâche pas ses mots lorsqu’on l’interroge sur la Cour Pénale (CPI). «La procureure générale Fatou Bensouda est une femme de bonne volonté mais je ne supporte plus d’entendre les mêmes discours sur la difficulté à mettre en œuvre des enquêtes», nous a-t-elle confié à l’issue du Forum „Stand Speak Rise Up“ sur la lutte contre les viols de guerre, qui s’est tenu les 26 et 27 mars 2019 au Luxembourg.
Cette charge peut surprendre alors que la CPI est sous le feu des critiques de certains pays, parmi lesquels les Etats-Unis qui sont dans le collimateur de la Cour dans le cadre de leur intervention militaire en Afghanistan. Le président Donald Trump a récemment annoncé des restrictions de visa pour le personnel de la CPI. Le Luxembourg pour sa part continue à accorder sa confiance à l’institution. La Chambre des députés vient d’adopter, à l’unanimité, le projet de loi qui approuve les amendements à l’article 8 du Statut de Rome et y ajoute trois crimes de guerre.
La Cour Pénale Internationale a débuté ses activités en 2002, après la ratification du Traité de Rome par 60 États. Ils sont aujourd’hui au nombre de 124, mais la Syrie et le Sud-Soudan par exemple n’en font pas partie. Le Traité de Rome «définit le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, ainsi que le crime d’agression, conformément aux amendements apportés en 2010», peut-on lire sur le site de l’institution. Basée à La Haye, celle-ci dispose actuellement de bureaux extérieurs en République démocratique du Congo, en Ouganda, en République centrafricaine, au Kenya et en Côte d’Ivoire. Sa compétence n’est pas rétroactive. Elle traite donc des crimes à compter du 1er juillet 2002.
Des moyens jugés inefficaces
À ce jour, l’institution a été saisie de 27 affaires. Les juges ont rendu huit condamnations et trois acquittements. Aucune pour crime sexuel. «Le problème est qu’il n’y a pas assez d’inclusion des actes de violence sexuelle dans les enquêtes. Comment se fait-il qu’à ce jour, avec les moyens dont dispose la Cour et alors qu’on connaît les auteurs des faits, il n’y ait eu aucune condamnation pour viol de guerre? Au Mali, par exemple, on poursuit sur la destruction des manuscrits de Tombouctou, mais pas pour les crimes sexuels», déplore l’activiste.
Les criminels ont été couverts sous un voile de honte.“Atifete Jahjaga, ancienne présidente du Kosovo
Céline Bardet s’étonne qu’avec 900 employés à la Cour et un budget de 147 millions d’euros en 2017, les résultats soient si maigres. «En fin de compte, je me demande si tout cela ne fait pas plus de mal que de bien pour les victimes qui sont déçues dans leurs attentes», dit-elle.
Ce cri d’indignation rejoint celui de l’ancienne présidente du Kosovo, Atifete Jahjaga, devant le Forum Stand Speak Rise Up. D’après elle, 20.000 hommes et femmes ont été violés pendant la guerre au Kosovo. «Après la guerre, il n’y a pas eu d’espace de parole. Les criminels ont été couverts sous un voile de honte. Aucun n’a été condamné», a-t-elle déploré.
Lors du Forum, la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, a appelé à une «réponse coordonnée de tous les États» pour mettre fin à ces crimes qui relèvent en premier lieu des juridictions nationales. Celle qui a pris son poste en 2011 estime que depuis 2014, la Cour dispose d’«un document de politique générale qui délivre un message clair pour guider les enquêtes de mon bureau».
Une arme à «moindre coût»
Il est à ce jour extrêmement difficile d’avoir des chiffres fiables sur le nombre de victimes, qui pour beaucoup ne peuvent pas se manifester. L’ancienne présidente du Kosovo a cité le chiffre de 40.000 victimes de viols de guerre en Bosnie et 8.000 en Croatie. D’après l’ONG «We Are Not Weapons of War», 500.000 viols auraient été commis lors du génocide au Rwanda. Le viol utilisé comme arme de nettoyage ethnique concernerait plus de 50.000 personnes en Birmanie. Les organisations comme Amnesty International tirent depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme sur les cas de torture et de viol sur la route de l’exil en Libye.