Votre ado oublie-t-il de manger quand il joue aux jeux vidéo? Votre fille gère-t-elle son compte Facebook mieux que vous? REPORTER s’interroge sur le bon usage des écrans chez les jeunes à travers le témoignage d’une famille type.

«Si l’usage des écrans est un sujet chez nous?» répète Claudine*, avant de répondre: «Mais carrément! Mes enfants sont branchés tout le temps à quelque chose : smartphone, tablette ou console de jeux.» Mère de deux garçons, âgés de 11 et de 17 ans, ainsi que d’une fille de 14 ans, Claudine est confrontée à la problématique des écrans depuis plusieurs années. Comme beaucoup d’adultes, elle subit le développement rapide des nouvelles technologies qui est tel qu’elle a parfois du mal à suivre.

L’usage toxique des écrans est devenu un problème de santé public et il s’observe dans toutes les familles, indépendamment du niveau social. «Les parents d’adolescents n’ont pas connu les smartphones lors de leur propre adolescence. Ils n’ont donc pas de schéma parental qui puisse les aider à élever leur progéniture dans ce monde connecté», souligne le Andreas König de «Ausgespillt», qui reçoit de plus en plus de jeunes qui montrent des signes d’addiction aux jeux en ligne. La sensibilisation aux risques devient indispensable.

Au moins deux écrans par adolescent

Les enfants de Claudine ont eu leur propre smartphone à l’âge de 12 ans, «sauf le dernier qui a eu le sien à 10 ans parce qu’il prenait le bus pour ses cours de musique», se défend-elle. Ce ne sont pas les seuls appareils numériques des enfants: les trois possèdent chacun une tablette, les deux garçons ont chacun leur PS4 et l’aîné a son propre ordinateur. Un ratio élevé, mais qui tend à devenir une normalité dans les familles du 21e siècle où l’hyperconnexion est de mise.

Les statistiques montrent à quel point l’expérience de Claudine et de ses enfants est représentative du vécu d’une famille moderne. Faute d’étude récente – la première et dernière en date est de juin 2015 –, sur l’utilisation des écrans chez les jeunes au Luxembourg, Jeff Kaufmann de BeeSecure se réfère à des sondages allemands, comme la JIM-Studie de 2018 réalisée auprès des jeunes de 12 à 19 ans. Elle révèle que 97% des jeunes possèdent leur propre smartphone; 71% ont leur propre ordinateur ou laptop; deux tiers ont une console de jeu; un sur deux a une télévision dans sa chambre et un sur quatre a sa propre tablette.

Savoir reconnaître les premiers signes alarmants

Au début, Claudine a misé sur la confiance, «mais il y a eu rapidement des dérapages», se souvient-elle. Quand cette mère divorcée se rend compte que ses enfants restent scotchés à leurs appareils numériques au détriment de leurs passe-temps habituels, ainsi que de leurs devoirs à domicile, elle instaure une première règle pour les jours de semaine: «Ils avaient droit à une heure d’écran par jour.»

Habituellement, c’était après le dîner, car aucun objet connecté n’est accepté à table. Or, ils ne s’y tenaient pas et commençaient déjà avant le repas, prétextant des recherches sur Internet pour l’école. Ils cumulaient facilement deux heures d’écran, voire trois, et même s’ils se situent ainsi en dessous de la moyenne (3,5 heures d’activité online par jour en semaine, selon la JIM-Studie), Claudine a considéré que c’était trop,  «surtout si le mensonge s’ajoute à l’histoire!»

Le soir, elle prenait l’habitude de couper le wifi, s’imaginant que ses enfants allaient lire un livre, – habitude que ces pourtant grands anciens lecteurs ont complètement perdue. «Or, mes enfants sont plus rusés que moi et utilisent la 4G de leur smartphone!», admet Claudine. Les veilles d’examens scolaires, elle confisque désormais tous les appareils.

Autoriser, surveiller et accompagner

Surveiller les jeunes et limiter l’usage des écrans est la stratégie recommandée par les professionnels contactés par REPORTER. «Si les amis de votre ado sont tous sur les réseaux sociaux, c’est contreproductif de l’interdire au vôtre», explique Barbara Gorges-Wagener du Kanner-Jugend-Telefon. Elle conseille de l’autoriser, d’accompagner le jeune et de lui expliquer le fonctionnement ainsi que les risques.

Claudine a ajusté son «règlement intérieur» une nouvelle fois quand ses deux derniers, férus de musique, ont préféré surfer sur Internet plutôt que de faire des gammes sur leurs instruments. «Internet et Playstation, plus rien d’autre ne les intéresse, il fallait une sanction forte», raconte Claudine, qui fut la suivante: «Plus d’écran en semaine, uniquement le week-end!» Les enfants ont réagi par des bouderies et des pleurs, mais au moins l’interdiction n’était pas complète. Andreas König avertit notamment de l’attirance que peut avoir un interdit, l’envie de le braver est souvent irrésistible.

Jeff Kaufmann de BeeSecure, qui lutte pour une utilisation plus sécurisée des nouvelles technologies de l’information et de la communication, propose aux parents de mettre en place un modus vivendi: «La famille doit instaurer ensemble un mode de fonctionnement: quand et comment utiliser les écrans? Pour les enfants, mais aussi les parents.» Il ne faut pas oublier que le référent principal pour un enfant est le parent qu’il imite dès le plus jeune âge.

L’écran, la nounou 2.0 toxique

Une fascination pour les doudous numériques des parents peut donc s’installer très tôt. Le Dr Catherine Avaux reçoit des parents qui sont démunis face aux pleurs de leurs tout-petits. Ces derniers ont pris l’habitude de regarder un dessin animé ou d’écouter une comptine sur le smartphone de leurs parents et le réclament sans cesse. Si l’objet tant convoité est retiré, les cris ne s’arrêtent plus. La pédopsychiatre au CHL explique que l’on peut déceler des signes d’addiction chez ces petits : « Les écrans sont clairement une source de plaisir pour les enfants. C’est comme une “décharge de satisfaction” et il y a une attitude addictive. » Des premiers résultats d’une actuelle étude américaine, qui analyse l’effet d’un usage excessif des écrans sur les enfants, ont révélé des faits alarmants, entre autres : amincissement du cortex, problèmes de locution et mécanismes d’addiction. De plus en plus d’études de ce genre inquiètent les acteurs de la santé publique. Le ministère de la Santé luxembourgeois vient de lancer la campagne «Apprivoiser les écrans et grandir».

«Le week-end, ils sont branchés non-stop»

Dès le vendredi soir, Claudine a du mal à voir ses trois adolescents: «Chacun est enfermé dans sa chambre et plongé dans le monde virtuel.» Les garçons jouent sur leur PS4, chacun dans son coin, seul ou avec des amis en ligne. La fille zappe entre Netflix, YouTube, Instagram, WhatsApp ou encore Snapchat. Une répartition classique: les garçons préfèrent les jeux, les filles les séries et les réseaux sociaux.

En revanche, pas de différence en matière de risques pour la santé! Garçon ou fille, rester des heures entières devant un écran peut entraîner des problèmes souvent sous-estimés: surpoids; troubles du sommeil et de l’attention; douleurs aux yeux, au dos, à la nuque, etc. Claudine, consciente de ces risques, interrompt ses enfants régulièrement, car si elle ne le faisait pas, «ils seraient capables de rester branchés tout le week-end! Ils sont totalement accros aux écrans, on dirait des drogués!», s’exclame-t-elle.

«Des drogués?», à ce point? Andreas König de «Ausgespillt» préfère parler de comportement pathologique. «C’est contreproductif de diagnostiquer hâtivement une addiction qui risque de stigmatiser l’enfant», juge-t-il. Il explique qu’un usage excessif des écrans cache souvent un mal-être social et psychique et qu’il faudrait plutôt se concentrer là-dessus. Et puis, ce n’est pas uniquement le nombre d’heures passées devant un écran qui compte, mais c’est bien évidemment aussi le contenu consulté et l’usage en soi qui importent.

Une relation de confiance avant tout

Les écrans peuvent être de formidables supports de divertissement, de socialisation et d’apprentissage. Tout est question d’usage. Sur Internet on peut se renseigner sur un artiste pour le cours d’histoire de l’art, mais aussi tomber sur un site qui fait l’apologie du terrorisme. Sur les réseaux sociaux on peut échanger avec ses amis «de la vraie vie», mais aussi donner rendez-vous à un parfait inconnu. Avec des jeux en ligne, on peut affûter son sens stratégique, mais aussi dépenser plusieurs centaines d’euros pour acheter des potions magiques pour son avatar.

Pour éviter les risques de la frénésie numérique – aussi graves que le cyber-harcèlement, le cyber-grooming ou encore le «sexting» –, la meilleure arme est une relation de confiance parent-enfant, comme le souligne Jeff Kaufmann: «Quand il règne une relation de confiance mutuelle, il n’y a pas de problème normalement. Si l’enfant identifie un danger, il a tendance à se confier à ses parents.» Et Claudine, c’est en tout cas comme ça qu’elle essaie de vivre avec ses «cyberkids» : en confiance

* Le prénom a été changé par la Rédaction.