Si l’homme est fertile jusqu’à un âge avancé, la femme n’a pas cette chance. Dépassé les 35 ans, tomber naturellement enceinte devient plus compliqué. Et si les femmes pouvaient geler leur horloge biologique? Le social freezing, ou cryoconservation des ovocytes pour convenance personnelle, le permet et se répand dans nos pays voisins. Une enquête à -196° C.
Faire congeler ses ovules pour s’assurer une grossesse tardive, serait-ce la panacée tant attendue pour la femme du 21e siècle ? Non seulement la fertilité féminine est soumise à une date de péremption, mais en plus, la société pousse les femmes à vivre leur maternité de plus en plus tard, les exposant ainsi à un risque de stérilité. Fonder une famille n’est plus une priorité : le bon partenaire, une stabilité professionnelle et l’acquisition d’un logement passent souvent en premier. Selon les chiffres du Statec, le nombre de naissances du premier enfant pour les femmes de 35 ans et plus est passé de 303 naissances en 2000 à 735 en 2017. Ainsi, l’année dernière, une femme sur huit accouchait de son premier enfant à 35 ans ou plus.
Si le nombre des mères âgées augmente, c’est grâce au progrès de la médecine de reproduction. La congélation des ovocytes par vitrification fait partie de cette avancée et fut initialement conçue pour garantir une meilleure survie des ovocytes des femmes lors d’une procréation médicalement assistée (PMA).
Dans le laboratoire national de PMA du CHL, ce procédé est réservé aux PMA ou en prévision d’une future grossesse après un traitement lourd, type chimiothérapie ou radiothérapie. En revanche, une femme en parfaite santé qui s’y rend dans le but de faire congeler ses ovules « pour plus tard », ne pourra pas réaliser son projet : le social freezing n’est pas pratiqué au Luxembourg.
Les Luxembourgeoises s’en vont à l’étranger
Au Luxembourg, y a-t-il une demande pour le social freezing ? Si la demande existe, aucun chiffre n’est disponible, faute de sondages sur le sujet. La directrice médicale du Planning familial, Dr Brigitte Marchand, confirme recevoir des demandes et réorienter ces femmes soit vers le service de PMA du CHL, soit vers la Belgique.
Une gynécologue de Luxembourg-ville affirme que les demandes seraient en légère hausse, sans toutefois pouvoir les chiffrer, et qu’elle envoie ces patientes à Louvain ou à Trèves. Anik Raskin, chargée de la direction au Conseil National des Femmes du Luxembourg, répond à REPORTER que ce sujet n’est pas à l’ordre du jour et au «Centre d’Information et de Documentation des femmes» (CID-femmes), on n’a pas relevé ce genre de demandes.

Le thème n’est pourtant plus un scoop : il a déjà interpellé l’opinion publique en 2014 quand Facebook et Apple ont annoncé vouloir financer la congélation des ovocytes de leurs salariées. Dans la presse nationale, le sujet fut mentionné par plusieurs journaux, et désormais la documentation abonde sur Internet tandis que des premiers livres ont été publiés, dont un récent témoignage de la Française Myriam Levain, qui a fait congeler ses ovocytes en Espagne : Et toi, tu t’y mets quand ?
Et dans nos pays voisins ? Si en Belgique, Allemagne, Suisse, Angleterre, Espagne, Italie ou aux Pays-Bas, l’autoconservation ovocytaire est déjà légale et attire de plus de plus de femmes, – quitte à créer un tourisme médical -, la France devra à son tour statuer sur le sujet en 2019. Le 28 juin dernier, il fut adopté une étude à la demande du Premier ministre français pour la révision de la loi de bioéthique en faveur d’une autorisation de l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle. L’académie nationale de médecine a déjà émis un avis favorable en juin 2017, mais le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé contre. Les avis sont partagés dans le seul pays limitrophe où le social freezing est inexistant comme chez nous.
Autonomie de la femme ou médication injustifiable ?
Pour les défenseurs, le social freezing favoriserait une égalité entre les sexes : si les hommes peuvent faire congeler leur sperme (aussi au Luxembourg), pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas faire de même avec leurs ovules ? Les femmes gagneraient en autonomie et seraient moins dépendantes de leur horloge biologique, pouvant ainsi décider elles-mêmes de l’échéance pour fonder une famille. Anticipant le vieillissement de leur stock d’ovocytes et donc la stérilité, ces femmes pourraient aussi utiliser leurs propres ovocytes lors d’une fécondation artificielle (FIV) plutôt que ceux d’une donneuse, évitant ainsi d’aggraver la pénurie d’ovocyte.
Ce n’est ni sans danger, ni bon pour l’émancipation des femmes et de la société.“ CID-Femmes
Les détracteurs quant à eux pointent du doigt l’intervention chirurgicale du social freezing : la stimulation hormonale et la ponction sous anesthésie seraient une médicalisation injustifiable sans garantie de réussite. Ils avancent également que le coût élevé créerait une discrimination des femmes défavorisées (comptez environ 3.000 euros par ponction à l’étranger et parfois il en faut 2 à 4 pour recueillir assez d’ovocytes avant de les congeler à un température de -196° C).
Un autre argument récurrent est celui évoqué sur le site Internet du CID-femmes : «Ce n’est ni sans danger, ni bon pour l’émancipation des femmes et de la société. Avec le social freezing, la responsabilité de bien cumuler carrière et famille revient une fois de plus à la femme. Au lieu de créer des arrangements dans le monde du travail qui concerne non seulement les femmes, mais en général le couple, on court le risque d’entendre prochainement des phrases comme celle-ci : “Si vous souhaitez travailler ici, nous vous demandons de geler votre souhait d’enfant et de le remettre à plus tard.”»
La nécessité d’un débat public
Le docteur Thierry Forges, médecin biologiste responsable du laboratoire national de PMA au CHL, livre à REPORTER un avis orienté vers l’avenir. Il se positionne dès le début de l’échange en disant qu’il désapprouve le terme de «social freezing»: «C’est un terme qui renvoie une image négative du projet et de la femme qui l’entreprend. Des études ont relevé qu’il ne s’agit pas de femmes «carriéristes», mais de femmes d’un niveau d’éducation élevé qui n’ont pas trouvé le bon partenaire.»
Le «marrying down» – le fait d’épouser un partenaire d’un niveau d’éducation inférieur au sien – ne semble pas une option pour de nombreuses femmes à la recherche de leur âme sœur. Selon des études, il y aurait un lien entre le nombre accru de femmes hautement diplômées et leur volonté de trouver un mari aux qualifications et intérêts comparables. Résultat des courses : de plus en plus de ces femmes resteraient «single» dans leur trentaine – pas question pour elles de fonder une famille avec le premier venu. Les chiffres montrent cette tendence: alors que 58% des femmes qui se sont mariées en 2000 avaient moins de 30 ans, elles n’étaient plus que 37% à se marier avant la trentaine en 2017.

Et l’horloge biologique dans tout ça ? Le Dr Forges reçoit des demandes sans critère médical, mais il y en a extrêmement peu, au maximum une dizaine par an. La raison ? Un manque d’information, mais aussi tout simplement l’absence d’un tel service, faute de circonstances satisfaisantes. «Il y a tout d’abord un souci de rendement entre congeler du sperme et congeler des ovocytes. Le plus souvent, un seul recueil de sperme suffit pour réaliser plusieurs tentatives de FIV à partir de paillettes congelées; mais il faut 20 à 25 ovocytes pour des chances raisonnables pour une naissance, sachant que par ponction on prélève en moyenne 8 ovocytes», explique le Dr Forges.
Ensuite, il faudrait plus de personnel, dit-il, et régler en même temps le souci de responsabilité : le recueil d’ovocytes n’est pas dénué de risques, ça reste une intervention chirurgicale. Et finalement, «il faut absolument un cadre légal pour encadrer cette pratique, que ce soit sur le plan des responsabilités ou encore des coûts – notamment pour éviter l’apparition d’un business à l’instar de ceux existants en Italie ou en Espagne», précise le médecin.
Si la Commission nationale d’éthique fut interrogée sur la PMA, la présidente Julie-Suzanne Bausch a confirmé à Reporter qu’aucune demande n’a été émise à ce jour par le gouvernement pour débattre sur la cryoconservation des ovocytes pour des raisons non médicales.