Dans une société où il est devenu normal d’inscrire son enfant dans une crèche avant même qu’il ne soit né, tout va bien si l’enfant s’y plaît. Mais que faire s’il ne s’adapte pas? Témoignage de parents qui se sont réorganisés pour s’occuper eux-mêmes de leur fils.
«Aujourd’hui, tout est fait pour que les mères reprennent le travail au plus vite. S’occuper de son enfant, c’est old-school», affirme Anne, la mère de Max âgé aujourd’hui d’un an et demi. Quand Anne et son mari ont retiré leur fils de la crèche, ils avaient de longues semaines de réflexions derrière eux. «La classe politique vante tellement le système des crèches que tu as l’impression que si tu ne mets pas ton enfant dans une structure pareille, il va moins bien se développer et sera associable», fait remarquer le père.
Et il tient à préciser qu’il n’a rien contre ce système qui offre aux familles un grand soutien financier, de la socialisation pour l’enfant et un contact précoce avec les langues étrangères. Après tout, la crèche était aussi pour eux une solution pratique et tout allait très bien au début. «Dès que Max apercevait l’éducatrice, moi j’étais oubliée! Il aimait la crèche, mais cela n’a pas duré», regrette Anne.
Max a intégré une crèche privée de Luxembourg-ville à l’âge de quatre mois, pour un jour et demi par semaine. Les deux parents, en contrat de travail à plein temps, ont profité du congé parental: un mi-temps pour la mère et un jour de libre par semaine pour le père. Tout était organisé.
La phase cruciale de l’adaptation
«Normalement, ça se passe bien dans nos crèches. S’il y a un souci, c’est souvent dû à une mauvaise gestion de la phase d’adaptation de l’enfant, les parents doivent bien la respecter», commente un responsable du département de l’enfance et de la jeunesse au Ministère de l’Éducation nationale. Des cas comme celui de Max, retiré de la crèche au bout de 8 mois de fréquentation, seraient minoritaires. La demande de REPORTER, de quantifier ce «minoritaire» est restée sans réponse, faute d’études et de chiffres.
La pédopsychiatre Dr Catherine Avaux confirme que la phase d’adaptation est cruciale: «Il faut la faire correctement, rassurer l’enfant et instaurer un rituel.» Un jeune enfant a besoin d’un rythme régulier, elle rajoute : «Il faut lui parler et rendre les choses très visibles pour lui, aussi petit qu’il soit.» Elle nuance qu’il ne faut pas incriminer uniquement les parents, il faut aussi que le personnel de la crèche soit qualifié et en constante communication avec les parents.
Pour Max, cette phase qui dure en général trois semaines s’est très bien déroulée. C’est au bout de trois mois que le petit garçon a commencé à montrer des signes de mécontentement: il n’arrivait pas à dormir à la crèche et pleurait beaucoup, parfois la matinée entière.
Est-ce que chaque enfant est fait pour la crèche?
Les parents soulignent que le personnel de la crèche a tout fait pour mettre Max à l’aise et qu’il régnait une excellente communication entre eux. «Le problème n’est pas la crèche, mais plutôt notre fils, il ne semble pas être fait pour une structure pareille», analyse le père. Anne affirme s’être posé plein de questions et d’avoir lu énormément de livres sur le comportement des enfants, leur psychologie, l’éducation, etc. Elle et son mari voulaient comprendre ce qui arrivait à Max, pourquoi les autres enfants semblaient s’y plaire, mais pas lui.
Le docteur Avaux explique qu’il est important que le personnel des crèches puisse respecter le rythme de chaque enfant, ainsi que sa personnalité, certains enfants étant plus sensibles que d’autres. Face à la souffrance de leur fils, les parents se posaient de plus en plus de questions: le bruit de la crèche est-il un facteur de stress trop important pour lui? Le rythme n’est-il pas adapté à ses besoins? Est-ce que chaque enfant est fait pour la crèche?
Caprices ou signes de détresse?
En exposant leur souci à leur entourage, Anne et Max se sont heurtés à des réflexions comme «votre Max fait des caprices!» ou «il faut rester ferme, ça va lui passer». Le Dr Catherine Avaux précise qu’un enfant de cet âge-là ne fait pas de caprices et qu’il est bien trop jeune pour avoir un comportement réfléchi. «Il faut observer l’enfant et relever les signes alarmants d’un éventuel mal-être», avertit-elle.
Des signes alarmants, il y en avait plusieurs et ils allaient crescendo. «D’abord il avait du mal à faire ses siestes; ensuite il a commencé à pleurer sans cesse à la crèche et finalement il continuait même encore après à la maison», récapitule Anne. Au fur et à mesure de l’aggravation de l’état de Max, ses parents cherchaient des explications: vers 7 mois, il faisait ses dents; vers 8 mois, c’est l’âge où se manifeste la peur de l’étranger… Or, en leur compagnie l’enfant est calme et épanoui.
Quand leur fils a refusé de s’alimenter à la crèche, les parents ont compris qu’il y avait un vrai souci. Pour le docteur Avaux, il est clair qu’il fallait agir: «Il faut s’inquiéter quand sommeil et nutrition sont perturbés. Les troubles régulatoires qui persistent doivent être pris au sérieux.» Les parents envisageaient le retrait de leur fils de la crèche et une réorganisation de leur quotidien, le congé d’Anne allant toucher à sa fin. «Max était censé aller 4 jours par semaine à la crèche. Je ne voyais pas comment il allait y survivre!» s’exclame Anne. Ils ont étudié leur situation financière et la possibilité d’un autre mode de garde, comme une structure plus petite ou une nounou privée. Mais les parents se montraient réticents. Est-ce que Max n’a pas tout simplement besoin de ses parents?
Quand finalement l’éducatrice s’appellera «Maman»
Max a quitté la crèche quand il a eu 12 mois et la famille s’est réorganisée: Anne ne travaille plus que deux jours par semaine, la grand-mère maternelle intervient une journée et son mari profite encore quelques mois de son congé parental fractionné.
«Gagner moins d’argent et être obligée de faire à nouveau appel à sa mère, ce n’est pas évident» avoue Anne. Comme le père a un salaire plus important, c’est elle qui a renoncé au sien, mais «être femme au foyer de nos jours, c’est tout sauf moderne» souligne Anne, précisant: «C’était dur de prendre la décision, mais en voyant Max à nouveau épanoui et en bonne santé, nous savions que nous avions fait le bon choix!» S’ils se considèrent comme chanceux, les parents savent aussi que bon nombre de parents n’ont pas les moyens pour faire de même.
Même si la famille a retrouvé le bien-être, les reproches culpabilisants d’autres parents «pro-crèche», respectivement «le discours one-size-fits-all de la classe politique», comme l’appelle le père de Max, provoquent un doute récurrent chez ces parents: «Nous avons retiré notre fils de la crèche, sommes-nous de mauvais parents?» «Il faut avoir du culot pour nager à contre-courant, surtout au Luxembourg où les mentalités sont figées en matière d’éducation et de schémas familiaux…», souffle Anne.
Les modes de garde en chiffres
Dans le dernier rapport du Statec sur les modes de prise en charge d’enfants de 2015, 58% des ménages déclarent avoir eu recours à un système de garde pour leur enfant le plus jeune (entre 0 et 14 ans). Plus d’un tiers des ménages dont l’enfant le plus jeune a entre 0 et 4 ans utilisent les services d’une crèche et 1 enfant sur 5 de moins d’un an y va, pour en moyenne 23 heures par semaine. D’après le rapport d’activité du Mministère de l’Éducation nationale le nombre de places dans les services d’éducation et d’accueil – SEA (crèches, foyers de jour et maisons relais) pour jeunes enfants s’établissait à 15.502 en 2017.
Suivre son instinct de parent
Est-ce que l’éducatrice du précoce qui accueillera Max verra des manques en sociabilité et en autonomie chez lui? Cela n’est pas certain! Il n’existe aucune étude nationale sur «l’efficacité» des crèches au Grand-Duché, comme l’a confirmé à REPORTER le ministère de l’Éducation. Ce dernier a tendance à se référer à des études internationales pour perfectionner le fonctionnement des crèches luxembourgeoises.
Selon le docteur Avaux, ne pas aller à la crèche ne veut pas dire que l’enfant ne saura pas s’intégrer dans une classe de précoce. L’essentiel est que l’enfant soit dès son plus bas âge stimulé intellectuellement, qu’il rencontre d’autres enfants et qu’il soit aimé. «Suivre son instinct est en général ce qu’il faut faire en matière d’éducation. Il faut être serein et ne pas oublier que l’on transmet ses angoisses à l’enfant, mais aussi son bonheur!», conclut la pédopsychiatre.