Que ce soit pour protéger leur santé, pour soutenir la cause animale voire pour des raisons écologiques, de plus en plus de personnes s’imposent des règles alimentaires strictes. Mais le besoin de consommer uniquement des aliments jugés «sains» peut aussi représenter un trouble alimentaire.

Nathalie a changé son alimentation pour des raisons de surpoids et après divers régimes minceurs sans succès. Cela fait six ans qu’elle adhère au «paléo» ou la «diète ancestrale». Elle ne mange plus aucun produit transformé industriellement, prépare elle-même ses repas composés de 80% de végétaux, a supprimé le sucre, le blé et les graines génétiquement modifiées. Elle essaie de consommer le plus souvent possible des produits locaux et bio. En petites quantités, elle mange de la viande, des œufs et des produits laitiers, «mais je m’assure toujours de la provenance, refusant la maltraitance des animaux d’élevage massif», précise-t-elle.

Sandra, elle aussi, s’impose des règles alimentaires strictes. Elle a découvert le véganisme grâce à son entourage et cette attitude lui paraît tout simplement «logique et éthique». Elle se nourrit beaucoup plus sainement tout en protégeant les animaux et l’environnement. Depuis cinq ans, elle mange ainsi uniquement des végétaux, du bio et des produits locaux. Il est hors de question pour elle de consommer le moindre produit issu d’un animal. «Je n’achète même plus de miel. C’est dramatique ce que l’on afflige aux abeilles!» s’exclame-t-elle. Dans sa démarche végane, elle évite en général des produits issus d’animaux, comme par exemple des sacs ou des chaussures en cuir.

Si parfois il n’y a aucune raison médicale pour suivre tel ou tel mode alimentaire, certaines personnes ont de réelles motivations : défense des animaux, protection de l’environnement, refus des élevages massifs, peur des organismes génétiquement modifiés (OGM), etc. Au Grand-Duché, majoritairement carnivore, – 75% des habitants disent consommer de la viande sans modération (TNS-Ilres, chiffres 2018), les personnes avec des régimes alternatifs se sentent souvent stigmatisées.

Les différentes habitudes alimentaires au Grand-Duché

Selon le sondage TNS-Ilres, un habitant du Luxembourg sur quatre a supprimé la viande ou en a réduit fortement la consommation. En 2018, on compte 18% de flexitariens, c’est-à-dire des personnes qui ont adopté un régime végétarien flexible. Elles essaient de manger moins de viande, sans se l’interdire complètement comme les végétariens (2% de la population). Les personnes qui ne mangent pas du tout de viande, mais s’autorisent la chair issue des poissons, des crustacés et des mollusques aquatiques sont les pesco-végétariens (2% de la population). Les végétaliens ne mangent pas de produit animalier du tout. Ceux qui poussent leur amour pour les animaux à l’extrême sont les véganes : ils adaptent complètement leur style de vie et refusent tout produit issu d’un animal. Ils n’achètent donc pas de cuir, ni de fourrure ou encore de cosmétiques testés sur des animaux. Dans le sondage TNS-Ilres, végétaliens et véganes sont rangés dans une même case. Leur nombre a doublé entre 2017 et 2018, mais ils ne forment seulement 2% des habitants. Reste 1% des Luxembourgeois qui ont indiqué une autre habitude alimentaire encore.

Jill, étudiante en économie écologique et végane depuis un an et demi, est dépitée par le manque d’information des gens et leurs aprioris. Elle doit endurer des remarques, comme : «Mais sans viande tu auras un manque de protéines et de fer!», «Avec ce régime tu dois prendre des compléments alimentaires !», «C’est le régime des hippies, des alternatifs!» Mais comment savoir si on en fait trop ?

Se laisser happer par l’intox et devenir presque fou…

S’il est difficile de recevoir de l’information qualitative sur l’alimentation, il est en revanche facile de tomber dans le panneau. De nos jours, où un scandale sanitaire chasse l’autre, il est compliqué de faire la part des choses. Vaches folles, poulets à la dioxine, graines germées tueuses, lasagnes à la viande de cheval, œufs aux pesticides, laits infantiles aux salmonelles… on comprend que la qualité de l’aliment avalé retient de plus en plus l’attention des consommateurs.

Le besoin de consommer uniquement des aliments jugés «sains» peut représenter un trouble alimentaire. (Photo: Shutterstock.com)

Pour certaines personnes, la qualité compte tellement qu’elle devient une obsession et s’alimenter un parcours du combattant. Elles planifient leurs repas plusieurs jours à l’avance, scrutent les listes d’ingrédients, connaissent tous les additifs à éviter par cœur, refusent d’acheter des produits transformés par l’industrie agroalimentaire, et, surtout, suppriment énormément d’aliments de leur régime. Pour elles, il existe un nom : l’orthorexie, du grec orthos, «correct», et orexis, «appétit».

Orthorexie, qu’est-ce donc ?

Céline Genson, diététicienne au GesondheetsZentrum s’est spécialisée dans les troubles alimentaires. Elle explique que l’orthorexie n’est pas encore reconnue comme réelle maladie, mais qu’il s’agit tout de même d’un trouble du comportement à risque pour la santé. «C’est une attitude obsessionnelle où la nutrition prend une place bien trop importante dans le quotidien de la personne concernée.» Aussi, il faut faire la distinction entre une personne anorexique qui se soucie de la quantité de son alimentation et la personne orthorexique, qui elle s’intéresse uniquement à la qualité.

L’orthorexie désigne une relation à la nourriture qui est biaisée par le besoin de consommer uniquement des aliments qui sont jugés «sains» par la personne. La personne passe son temps sur Internet pour lire tout et n’importe quoi, elle a tendance à suivre facilement des régimes. Les modes du sans-gluten et du sans-lactose sont de ce type, quand des individus, qui n’ont ni intolérance ni allergie à la base, décident de laisser de côté la plupart des céréales et les produits laitiers, parce qu’ils ont lu que c’est «mauvais». Or ce n’est pas si simple. S’il existe des soucis digestifs récurrents, il faut avant tout consulter son médecin avant d’agir seul.

La personne atteinte d’orthorexie, par peur de tomber malade, prépare ses propres plats et évite les restaurants et les repas chez des amis. «Et c’est cela souvent une conséquence inévitable : ces personnes ne sont plus sociables, elles se retirent complètement», souligne la diététicienne. Non seulement elles sont seules, mais par force de supprimer des aliments, elles montrent une carence nutritive grave.

«Le diagnostic se fait difficilement, car les personnes ne se rendent pas du tout compte que quelque chose cloche», analyse Céline Genson. La prise en charge doit être double, par un service diététique, mais aussi psychologique ou psychothérapeutique.

Pas d’obsession

Obsédé par la qualité de la nourriture? Céline Genson rencontre régulièrement des patient(e)s qui présentent des symptômes, mais il est plutôt rare qu’une orthorexie puisse être diagnostiquée. Les personnes interrogées dans le cadre de cet article ne se sentent pas concernées – et elles le disent clairement. Elles concèdent pourtant que ce n’est pas évident de vivre au Luxembourg si on essaie de respecter un régime alimentaire. «Il faut s’organiser sans cesse, cuisiner soi-même, commander des produits via Internet», explique Carine, végane de 48 ans, «pas facile quand on nage à contre-courant!»

Mais, aucune des personnes interviewées ne se considère comme «extrémiste» dans son comportement. Que ce soit Nathalie, qui «ne rechigne pas devant une frite servie dans un restaurant» ou encore Sandra qui ne refuse pas la salade aux fruits de sa grand-mère, préparée à base de fruits exotiques provenant de pays lointains (chose qu’elle boycotte normalement).

La jeune femme, danseuse assidue depuis son enfance, exerce son activité sportive tous les jours après le travail. C’est pour elle la preuve que «mon alimentation me donne tout ce dont mon corps a besoin.» La seule chose dont elle manque un peu, c’est la vitamine B12, très difficile à trouver dans un mode alimentaire végane. Mais elle est proactive:«Je fais régulièrement des analyses sanguines et prends la vitamine B12 en complément alimentaire.»

Charlotte, végane, a appris à prendre sur soi : «Si dans un restaurant je remarque qu’il y a du fromage dans mon plat, je mange quand même : le gaspillage alimentaire me semble dans ce cas plus grave!»