Yves Maas, directeur général par intérim de l’ABBL, restera en poste jusqu’en avril 2022. Il entend en même temps rester à la présidence du conseil d’administration du Crédit Suisse et vise aussi un mandat au conseil de la CSSF. Sans y voir de conflit d’intérêts.

Sans grande surprise, Yves Maas, 57 ans, a eu droit à une prolongation de son intérim à la tête de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL). Son mandat à la direction générale de la plus grande organisation patronale du secteur financier devait durer six mois, au maximum un an, le temps de recruter le remplaçant de Serge de Cillia, débarqué à l’automne dernier.

Dans une communication par mail au personnel envoyée début avril, le président de l’ABBL Guy Hoffmann a annoncé que Maas occupera la direction générale jusqu’en avril 2022, qui correspond à la fin de son mandat, renouvelé récemment.

Dans un entretien fin janvier à Paperjam, le patron intérimaire indiquait que le processus de recrutement du successeur de De Cillia «serait initié prochainement». Il ne cachait pas la difficulté de la tâche en raison du profil requis : «Je suis convaincu que nous trouverons le candidat idéal», déclarait-il alors.

La crise sanitaire, qui a envoyé les banquiers travailler à leur domicile, a compromis les plans d’embauche d’un des plus puissants lobbies de la place financière. Ce qui arrange d’ailleurs bien le duo Hoffmann-Maas auquel on prête une grande proximité de vues en plus d’étroites relations amicales. Le candidat idéal a été trouvé: c’est Maas himself.

Une incompatibilité évidente

Pour autant, la prolongation de Maas soulève des problèmes sous l’angle de la gouvernance. En premier lieu, le cumul d’un poste d’administrateur de banque et de dirigeant opérationnel de l’ABBL est sans précédent dans les annales de l’organisation patronale. «On ne peut pas être au service de toutes les banques et être payé par une banque», signale un proche du dossier qui requiert l’anonymat.

Cette double casquette est d’ailleurs incompatible avec le règlement d’ordre intérieur de l’ABBL auquel les dirigeants et les employés sont tenus. Interdiction en effet leur est faite d’exercer un mandat de dirigeant ou d’administrateur dans des sociétés. Sollicité par REPORTER, le service presse de l’ABBL n’a pas souhaité communiquer sur le type de contrat qui allait lier Maas à l’association bancaire.

Le contrat de Serge de Cillia prendra officiellement fin le 15 mai prochain, après six mois de préavis qu’il a été dispensé de prester. C’est alors que va se poser la question de la reprise de ses mandats.

Complaisance et conflit d’intérêts

Yves Maas a pris le relais au pied levé de son prédécesseur au sein du comité exécutif de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), où il siège encore en qualité de directeur ad-interim de l’ABBL. Or, son CDD de deux ans va télescoper les statuts de l’organisation regroupant l’ensemble du patronat luxembourgeois, puisqu’ils n’autorisent pas les membres de son exécutif à exercer des mandats d’administrateurs.

Un autre accroc de taille guette le nouveau directeur de l’ABBL et président de Crédit Suisse Luxembourg lorsque, le 15 mai prochain, De Cillia démissionnera de son mandat au conseil de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Un mandat qui revient de fait aux directeurs des grandes organisations et associations de la place financière (ALFI pour les fonds d’investissement ou IRE pour les auditeurs) ainsi qu’à des hauts fonctionnaires du ministère des Finances. C’est d’ailleurs une conseillère du ministre Pierre Gramegna, Maureen Wiwinius, qui le préside depuis juillet 2019.

Depuis le départ, fin 2017, de Rima Adas, associée de la firme PWC qui y représentait l’Institut des réviseurs d’entreprises, plus aucun représentant opérationnel d’un établissement lié au secteur financier ne siégeait au conseil de la CSSF afin d’éviter au gendarme de la Place financière toute suspicion de complaisance avec ses administrés dans la surveillance prudentielle.

Accusations de connivence

Le conseil de la CSSF n’est pas compétent dans l’exercice de la surveillance et ne s’occupe que du budget de l’organisation. Toutefois, la présence jadis en son sein d’administrateurs de banques ou de représentants des Big4 avait été très mal perçue par les médias ainsi que par les organisations représentant les petits investisseurs. Ils y voyaient un signe de collusion entre le régulateur du secteur financier et ses grands opérateurs.

La tradition d’intégrer dans le conseil des personnalités de la Place fut inaugurée par Jean-Nicolas Schaus, premier directeur de la CSSF en 2008. L’homme ne fuyait pas l’influence des banquiers et gérants de fortune, ce qui lui valut des accusations de connivence avec le secteur financier.

L’attention des médias internationaux, notamment un article ravageur du Financial Times en octobre 2013, se focalisa tout particulièrement sur Sarah Khabirpour, qui cumulait les postes de conseillère au ministère des Finances sous Luc Frieden (CSV), d’administratrice de la BIL et de présidente du conseil de la CSSF. Elle fut la cible d’un acharnement sans précédent qui obligea en 2013 Jean-Claude Juncker, le Premier ministre d’alors, de se fendre d’une lettre à la Commission européenne pour défendre l’honneur de la fonctionnaire cumularde. Khabirpour démissionna de son mandat à la CSSF en février 2014, peu après l’arrivée d’un nouveau locataire aux Finances, et quitta d’ailleurs l’administration publique.

Le ministre devra trancher

Ce départ fut un soulagement et en annonça d’autres. Le plus spectaculaire fut celui du président de l’ABBL et patron de Deutsche Bank Luxembourg, Ernst Wilhelm Contzen en 2014. Cette démission aurait été le fruit d’un arrangement à l’amiable entre Contzen et Jean Guill (qui dirigeait alors la CSSF) avec la bénédiction du ministre des Finances Pierre Gramegna (DP). Désormais, et pour éviter des soupçons de conflits d’intérêts et de mélange des genres, le mandat au conseil de la CSSF reviendrait au directeur général de l’ABBL.

C’est ainsi que Serge De Cillia y fit son entrée. Son mandat de 5 ans fut renouvelé en juin 2019. Son contrat avec l’ABBL s’achevant le 15 mai prochain, il devra céder sa place au conseil de la CSSF aussi. Or, les responsables du régulateur du secteur financier ne semblent pas enchantés à l’idée de voir arriver Yves Maas, certes adoubé directeur général de l’ABBL, mais en même temps président de Crédit Suisse Luxembourg. Personne ne souhaite revivre une «affaire Khabirpour bis».

Pourtant c’est bien le scénario qui se profile d’ici deux semaines. Le conseil d’administration de l’ABBL soutient des deux mains la candidature de Maas à la CSSF et refuse de voir un conflit d’intérêts.

Les nominations au conseil du régulateur étant l’affaire du ministre des Finances avec l’aval du conseil de gouvernement puis du grand-duc sur proposition des entreprises et personnes surveillées, il appartient à Pierre Gramegna de trancher le sort de l’embarrassant Monsieur Maas.

Contacté par REPORTER, le porte-parole du ministre des Finances a indiqué ne pas disposer d’informations au sujet de cette affaire.


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