Le départ programmé de Serge de Cillia de son poste de CEO de l’ABBL est symptomatique des changements qui se profilent dans le secteur bancaire luxembourgeois. L’organisation doit s’adapter aux besoins et aux attentes de ses membres. Analyse.
Le dégagisme sévit dans le patronat bancaire. Serge de Cillia, président du comité de direction de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourg (ABBL), en est la victime la plus récente. Mardi matin, il a été suspendu pour deux semaines. Prélude à un limogeage que personne à la tête du Conseil d’administration ne veut ni démentir ni confirmer.
Dans un communiqué sibyllin du 31 octobre au sujet de sa gouvernance, l’ABBL n’a pas souhaité «à ce stade, s’exprimer sur l’information non-officielle parue ce jour dans la presse, concernant le départ éventuel évoqué de son CEO».
La suite de sa communication est plus intéressante, car elle rend compte du degré d’urgence, pour l’une des plus vieilles associations professionnelles du Luxembourg (80 ans cette année), à s’adapter à un monde qui change à une vitesse grand V.
«L’ABBL s’assure de mettre en œuvre une stratégie qui est en phase avec les besoins et les attentes de ses membres», souligne son communiqué. L’organisation dit «veiller avant toute chose, et pour chacune de ses décisions, à préserver (son) bon fonctionnement». Ses membres ont reçu le même jour une information identique.
7 millions d’euros par an
L’ABBL est une grosse machine qui fonctionne avec un budget annuel de 7 millions d’euros, presque entièrement financé par les cotisations de ses membres qui en veulent pour leur argent. Or, il y a de moins en moins de banques. Il y en avait 150 en 2009. Il n’y en avait plus que 130 au dernier décompte effectué en octobre par la CSSF. Toutes ne sont d’ailleurs pas affiliées à l’ABBL qui comptait au 1er avril dernier 137 membres dont 100 banques.
Longtemps restée un club réservé aux seuls établissements bancaires, l’association a changé ses statuts en 2001 pour s’ouvrir à d’autres professions du secteur financier comme les firmes d’avocats et d’audit. Plus récemment, les services de paiement et de Fintech ont fait leur entrée.
Face à une telle diversité d’horizons professionnels et d’intérêts parfois divergents (la banque privée n’a pas grand chose à voir avec les établissements de monnaie électronique par exemple), trouver un dénominateur commun relève du défi. Sous pression de ses membres, l’ABBL ne peut pas se permettre de rater le virage de la modernité.
Parce qu’elle ne défend plus uniquement le métier de banquier et que cette activité s’est profondément transformée, l’organisation a de plus en plus de mal à trouver ses marques et définir une stratégie qui sert les intérêts du plus grand nombre.
La difficulté de positionnement de l’ABBL vient du fait qu’elle doit faire en permanence le grand écart entre sa mission de «syndicat patronal», qui défend les intérêts des employeurs du secteur bancaire dans les négociations de la convention collective, et sa vocation de «think tank» et de lobby du secteur financier.
Plan stratégique pour 2030
L’organisation patronale a entamé, il y a quelques mois, un travail de réflexion sur sa gouvernance et son rôle pour se profiler jusqu’en 2030. Ses membres ont été interviewés dans le cadre d’un audit externe, mais l’exercice n’a pas permis de déboucher sur des pistes d’actions convaincantes pour le futur.
Lors d’une réunion début octobre du conseil d’administration, il a été décidé de poursuivre la réflexion et de mettre en place un comité d’accompagnement pour élaborer une feuille de route au cours des dix prochaines années.
Quels que soient les résultats de l’exercice, il passera par une révision de la gouvernance.
Le secteur bancaire évolue. La mue est loin d’être terminée. Selon l’Autorité bancaire européenne, 40% des nouveaux entrants dans les services financiers échappent à la réglementation. Ils représentent une concurrence déloyale pour les banques conventionnelles qui, elles, croulent sous une réglementation qui leur coûte cher.
Les loups de la finance en embuscade
Au Luxembourg aussi, le paysage financier change. Il est presque exclusivement contrôlé par des non-Luxembourgeois. Les banques de la Place n’ont plus besoin de faire valoir à leur tête des dirigeants indigènes qui leur servaient jadis d’alibi pour faciliter les relations avec les responsables politiques et avoir leur écoute. L’uniformisation de la réglementation financière en Europe ne laisse plus beaucoup de place à la négociation des lois et règlements avec les autorités nationales.
Fils spirituel de l’iconique Lucien Thiel, qui fut journaliste avant de prendre ses marques à la tête de l’ABBL et de terminer sa carrière comme député du CSV, Serge de Cillia incarnait peut-être un peu trop la banque d’hier.
Son marquage politique de chrétien-social, qui lui a sans doute servi hier, n’a plus la même utilité aujourd’hui. Cette proximité avec le CSV et son image de provincial aux yeux des jeunes loups de la finance mondialisée n’ont probablement pas contribué à consolider sa position au sein d’une ABBL de moins en moins politique et de plus en plus technique.