Ces quinze dernières années, 376 naissances étaient de mères mineures au Luxembourg. Derrière ce chiffre se cachent des histoires, semées d’embûches, mais aussi de nombreuses victoires, comme celle de Jasmine. Témoignage.
«Lorsque je sors avec ma fille, les gens pensent que nous sommes des sœurs. Quand je leur dis que je suis sa maman, alors là ils écarquillent les yeux et se mettent à réfléchir en fronçant les sourcils», s’exclame Jasmine en riant et en mimant les expressions des curieux. Cette jeune femme dynamique de 28 ans affiche un sourire à toute épreuve et se sent fière en regardant le chemin qu’elle a parcouru. «En y repensant, je me dis ouah bravo !».
Pourtant, ces quinze dernières années n’ont pas été de tout repos. Des remises en question, le poids de la famille, et surtout, devenir maman quand on vient tout juste d’entrer dans l’adolescence. Comme toutes les jeunes filles, Jasmine sort. Elle fréquente des copines un peu plus âgées, qui ont déjà des petits copains. Elle rencontre un beau jeune homme de 16 ans et s’y attache. La contraception et la protection pendant les rapports sont des concepts flous pour elle. Le planning familial ? Personne ne lui en a jamais vraiment parlé…
«J’ai eu ma fille à l’âge de 13 ans. Bien sûr c’était un accident. Mes parents étaient de fervents chrétiens évangélistes et ma mère contre l’avortement. Alors j’ai gardé le bébé. Je ne me suis pas vraiment rendue compte de ce qu’il m’arrivait. Je voyais juste mon ventre grossir, mais je ne ressentais rien», se rappelle-t-elle. Jasmine arrête l’école, s’enferme dans sa chambre et ne sort que pour aller chez le gynécologue. «J’avais trop honte de me montrer. Je devais être la seule du pays à être enceinte si jeune !».
La seule, pas certain. Si le Statec ne fournit pas de chiffres précis sur l’âge des mères adolescentes, responsables de foyers et éducatrices constatent que même si la plupart des jeunes filles ont entre 15 et 17 ans, ils ont déjà accueilli des mamans de 14 ou 13 ans. Et pas facile à cet âge d’assumer ce corps qui se transforme. «C’était plus une corvée de devoir porter ce gros ventre. En plus j’étais toute petite. Je me rappelle à la fin je n’en pouvais plus et je disais à ma mère, on ne peut pas me l’enlever là ?!». L’adolescente aurait besoin de réconfort, mais le petit copain n’est pas prêt à devenir père et ne donne aucune nouvelle.
L’arrivée au foyer Zoé
«Le plus difficile, c’était l’ambiance à la maison. On n’en parlait pas du tout. C’était tabou. Mon père adoptif n’est pas venu à la maternité et n’a pris Olivia dans ses bras qu’à ses 9 mois. Quand j’ai dit à ma mère que j’étais enceinte, elle a eu le regard vide et m’a juste dit : tu l’as fait, tu l’assumes». S’en suivent des mois de silences, pesants, bien plus que les mots. «A l’époque, mes parents essayaient d’avoir un enfant. La situation était assez bizarre… Moi qui allais devenir mère sans le vouloir et ma mère qui n’y arrivait pas».
Au bout de 9 mois, ce qu’elle appelle «la délivrance» est enfin arrivée. «J’ai accouché seule de ma fille, ma maman était heureusement présente». Le jeune papa finira par reconnaître l’enfant à l’âge de deux mois. Même si Jasmine ne manque de rien, ce contexte lourd et ses rapports conflictuels avec sa mère finissent, au fil des mois, par l’étouffer. «Elle s’occupait très bien de ma fille. Elle était devenue une mamie-maman, mais moi je n’arrivais pas à trouver ma place. J’avais le sentiment que ma fille s’éloignait de moi. J’ai pris conscience qu’il fallait que ça change». La décision est prise. Elle veut partir de la maison. Seul problème, elle est encore mineure.
Quand je repense à ma grossesse, même si elle n’était pas voulue, je me dis que j’étais à la recherche de quelque chose. Sans doute de l’affection.“
Au Luxembourg, dans la majorité des cas, le placement en foyer des adolescents qui ont moins de 18 ans passe par le Tribunal de la jeunesse et des tutelles. Si la décision est prise de placer la jeune fille dans un foyer à cause d’une situation familiale difficile, l’autorité parentale est alors retirée aux parents pour être transférée aux autorités publiques. «Quand Olivia a eu 2 ans, on m’a attribué une assistante sociale. Je lui ai alors fait part de mon souhait d’être placée dans un foyer avec la petite. C’est là qu’a commencé mon combat, car ma mère ne voulait pas que je parte et pensait que je voulais lui enlever ma fille.»
Malgré des conditions de vie très confortables, le juge, voyant la détresse psychologique de la jeune fille, accepte et retire l’autorité parentale à sa mère. L’adolescente intègre en 2009 une toute nouvelle structure créée par la Croix-Rouge, le groupe Zoé. Sa particularité ? Accueillir uniquement des jeunes filles qui sont encore mineures. «C’est vraiment cette décision qui m’a fait devenir maman !», s’exclame-t-elle le visage qui s’illumine. Une bouffée d’air, un envol, une seconde vie, peu importe les mots pour exprimer ce sentiment de liberté. Elle trouve auprès des éducatrices une aide bienveillante et réconfortante.
«Je suis un peu une amie-maman»
«Je suis arrivée ici avec ma fille et tout a changé. Je me sentais beaucoup mieux et plus épanouie. La petite l’a aussi ressenti». C’est là, au milieu d’autres mères adolescentes, que la jeune femme va trouver sa place et nouer une vraie relation avec Olivia. Un lien qui se forge au fil du temps et sur lequel elle porte un regard honnête et lucide. «Je ne vais pas vous mentir ! Bien sûr que par moment j’ai eu le sentiment de passer à côté de ma jeunesse. Je me suis même dit ah si elle n’était pas là, je pourrais faire des choses de mon âge ! Avec ma fille, on a grandi ensemble. Elle m’a permis de me recadrer et de ne pas partir dans tous les sens !».
Une relation unique et précieuse, qu’elle perçoit aujourd’hui comme une force. «Nous sommes très complices toutes les deux. Je suis un peu une amie-maman, mais elle sait quelles limites elle ne doit pas dépasser». Des discussions sur sa venue au monde, elles en ont déjà eu. «Il n’y a pas si longtemps elle m’a dit : tu sais maman j’ai 14 ans mais je ne veux pas d’enfant comme tu as eu hein ! J’ai ri et j’ai dit : pas de problème ma fille !»
Aujourd’hui, j’ai envie d’aider d’autres jeunes filles comme on m’a aidée!“
Au fil du temps, le papa s’est aussi montré plus présent et Jasmine parle d’une «belle relation entre le père et sa fille». Ce qui est certain, c’est que la sexualité et les relations amoureuses ne seront pas quelque chose de tabou sous son toit. La jeune femme en a trop souffert pour le faire vivre à sa fille. Une souffrance qui a même créé des trous noirs dans sa mémoire. «J’ai du mal à lui raconter son histoire dans les détails… Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai oublié beaucoup de choses, alors que pour son petit frère Noé, que j’ai eu à 20 ans, tout est moins flou.»
Comme une porte fermée sur une période aussi difficile que salvatrice. «Grâce à elle, je suis plus forte. Les petits pépins de la vie me passent au dessus.» Le regard et les remarques des autres, Jasmine les prend toujours avec beaucoup de dérision. Elle se rappelle une discussion tenue avec une collègue : «quand je lui ai dit que j’avais une petite fille, elle s’est exclamée : ah bon !? Je n’aurais pas cru, tu n’as pas l’air d’un cas social !» Eclat de rire de l’intéressée ! «Je n’étais pas du tout blessée. Cela montre surtout l’image trop négative qu’on peut avoir des jeunes mamans.»
Sans regrets et sans remords
Mis à part de petites anecdotes, Jasmine souligne avoir été bien encadrée et toujours respectée, notamment par son gynécologue et le personnel de la maternité lors de l’accouchement. Le regard des autres, finalement, elle ne l’a pas subi. Seul un regard a été difficile à supporter. Celui de sa propre mère. «Quand je repense à ma grossesse, même si elle n’était pas voulue, je me dis que j’étais à la recherche de quelque chose. Sans doute de l’affection. Je me révoltais contre ma mère. Je crois que je ne ressentais pas beaucoup d’amour de sa part. Plus tard, j’ai compris qu’elle n’en avait pas eu beaucoup et qu’elle n’a pas su m’en donner», confie-t-elle avec une certaine émotion contenue dans sa voix. Une pudeur qui semble cacher une profonde tristesse. Jasmine a perdu sa maman il y a quelque temps, emportée par la maladie. «Elle a sûrement fait ce qu’elle pouvait pour m’élever. Je n’ai jamais manqué de rien et je lui ai pardonné.».
Il faut maintenant avancer, sans regrets et sans remords. La mère de famille se dit «forte et épanouie». Après plusieurs petits boulots et des formations qui n’ont abouti à rien, elle a fini par trouver sa voie, et pas n’importe laquelle… «Je fais une formation pour devenir assistante sociale ! Ce choix est complètement lié à mon histoire. Quand on a été de l’autre côté de la barrière, on a forcément un autre point de vue» La jeune femme évoque cette assistante, qui l’a aidée à quitter la maison et qui a marqué son histoire. «Une femme en or! Aujourd’hui, j’ai envie d’aider d’autres jeunes filles comme on m’a aidée!», conclut-elle avec ce sourire, qui ne la quitte jamais.»
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