En 2018, 21 jeunes filles de moins de 18 ans ont donné naissance à un enfant au Grand-Duché. Devenir maman à 15, 16 ou 17 ans relève d’une véritable bataille. Celle de s’affirmer en tant que mère, mais aussi de faire face aux jugements et aux regards des autres.

«Pour la plupart d’entre elles, la grossesse est accidentelle. Au moment où elles arrivent chez nous, elles le vivent plutôt mal, mais quand elles commencent à côtoyer d’autres jeunes mamans, elles se sentent beaucoup mieux», explique Mara Brunelli, éducatrice graduée au Groupe Zoé depuis 11 ans et responsable de ce groupe depuis 2018. Ce foyer fondé par la Croix-Rouge en 2009 accueille exclusivement des mères mineures, âgées de 13 à 17 ans, dans des situations familiales souvent très compliquées.

«Certaines se font mettre à la porte par leurs parents et se retrouvent à la rue, d’autres vivent dans des conditions de logement précaires et ne peuvent pas rester dans leur famille», précise Sandra Hauser, chargée de direction du Centre d’accueil Norbert Ensch et du service Perspectives de la Croix-Rouge. La majorité des adolescentes qui arrivent dans le groupe Zoé sont placées par décision judiciaire. L’autorité parentale est alors retirée aux parents par le juge de la Jeunesse et confiée à la structure qui les accueille.

C’est le cas de Raquel, qui a eu son petit garçon à l’âge de 16 ans. «C’était un accident. Quand je l’ai appris, j’ai ressenti à la fois de la peur et de la joie». La peur d’être une mauvaise mère, mais aussi de subir le jugement de son entourage. «Ma mère et ma sœur pensaient que je n’allais pas y arriver et m’ont suggéré d’avorter. Mais moi, j’ai tout de suite pensé que c’était une chance. J’étais contente d’avoir un bébé. Pour la première fois, j’avais quelque chose qui m’appartenait vraiment», raconte l’adolescente. Raquel affirme s’être beaucoup sentie seule, sa maman partant très tôt travailler pour rentrer tard.

Souffrances et traumatismes

«Elles ont un lourd bagage à porter et j’ai le sentiment, depuis dix ans, que les valises sont toujours plus remplies», souligne l’éducatrice Mara Brunelli. Un constat que confirme Marie-Catherine Biron, psychologue depuis près de 20 ans au foyer Sichem de la Fondation Maison de la Porte Ouverte, qui accueille également de jeunes mères. «Tous les ans, nous avons des résidentes qui souffrent de troubles psychiatriques et qui auraient besoin d’une attention particulière. Il manque au Luxembourg une vraie structure qui pourrait les accueillir avec leur enfant et les soigner».

Des crises en plein milieu de la nuit et des situations graves, que le personnel de la fondation n’est pas habilité à gérer. La psychologue tente aussi d’apaiser d’autres types de souffrances lors d’entretiens individuels. «Certaines sont victimes de maltraitance ou d’abus. Le fait d’accoucher peut faire ressortir tous ces traumatismes». Des blessures à vif, mais également des craintes et des doutes propres à n’importe quelle maman. «Ce qui revient le plus souvent c’est : vais-je être une bonne mère ? Elles ont aussi cette volonté très forte de créer autour d’elles un cadre familial traditionnel qu’elles n’ont pas connu».

«Je n’ai pas eu beaucoup d’amour étant petite. Je me suis aussi beaucoup occupée de ma petite sœur et j’ai toujours voulu recréer ma propre famille. J’aimerais avoir trois ou quatre enfants», confie Alexandra, jeune maman d’un petit garçon de trois ans, qu’elle a eu à l’âge de 17 ans. Un événement profondément désiré. «Lorsque l’on a appris que j’étais enceinte on était très heureux ! On en avait tellement envie avec le papa!»

La place des jeunes pères

Trois mois après la naissance de son fils, en proie à de fortes tensions avec sa mère, la jeune femme intègre une famille d’accueil avec son bébé. Elle déménage ensuite avec son copain dans un appartement géré par la Fondation Maison de la Porte Ouverte, qui permet d’accueillir les jeunes papas. «Ils peuvent venir habiter au Centre parental et c’est quelque chose que l’on encourage», précise Isabelle Marchal, responsable des structures Sichem de la fondation.

(Photo: Nastassia Solovjovas)

Au foyer de la Croix-Rouge, les visites des pères sont également autorisées et le plus possible favorisées, mais ils ne peuvent pas venir y résider. «Ce sont des mineures. Nous devons leur garantir une sécurité maximale. Leur chambre est leur cocon intime pour elles et leur enfant», explique la responsable Sandra Hauser, qui insiste sur la fragilité des jeunes filles et des situations parfois trop instables.

La place des jeunes pères reste un sujet crucial encore peu évoqué au sein de la société et des médias. A l’écoute du témoignage des jeunes mamans, l’annonce de la grossesse est plutôt mal vécue et les jeunes pères ont souvent des difficultés à trouver leur place. «Il n’était pas très enthousiaste, mais il a respecté ma décision. Il vient voir le petit mais pas de manière régulière. Parfois il vient toutes les semaines pendant un mois et puis après plus rien…», déplore Raquel.

Elles ont un lourd bagage à porter et j’ai le sentiment, depuis dix ans, que les valises sont toujours plus remplies.“Mara Brunelli, éducatrice

Mais pour l’adolescente, le plus important est d’être aux côtés de son fils qui a aujourd’hui 15 mois. «En luxembourgeois on pourrait dire : il a donné des couleurs à ma vie. Depuis qu’il est là, je sais pour quoi je dois me battre». Un sentiment partagé par toutes les jeunes femmes interrogées. «Je dis toujours que mon fils m’a retenue, mais qu’il m’a aussi tenue. Sans lui j’aurais pu aller dans des directions destructrices.», affirme Caroline* (*le prénom a été changé par souci d’anonymat), aujourd’hui 35 ans et devenue maman à l’âge de 16 ans.

Les normes de la société

Avec du recul, elle perçoit tous les stéréotypes et la stigmatisation dont font l’objet les jeunes mères. «Dans notre société actuelle, quand tu es une jeune fille tu as accès à la contraception et à l’avortement. Tu as donc la liberté de choisir si tu veux un enfant ou pas. Si tu fais le choix de le garder, c’est que forcément tu es inconsciente. Mais pourquoi !? Comme si l’enfant constituait un frein ou un fardeau dans la vie d’une femme…»

Un constat partagé par Christel Baltes-Löhr, chercheure sur la pluralité des genres à l’Uni. «La société a intégré l’idée qu’une femme n’est pas seulement faite pour devenir maman et c’est une bonne chose. Malheureusement, cela a conduit à une autre forme de norme, celle de la femme qui doit faire des études et travailler avant de devenir mère. La vraie question c’est qu’est ce que la société a à proposer à celles qui souhaitent le devenir plus tôt que les autres?»

Une gosse, une gamine, une pauvre fille, voire une fille facile, sont les catégories évoquées pour parler de la mère adolescente, parfois même encore plus violemment.“Étude sur les maternités adolescentes

Le jugement qu’elles ressentent à travers le regard de leurs proches, mais aussi de simples passants est parfois marquant. «J’ai souvent senti des regards insistants sur moi. Je me rappelle une fois dans un magasin, une cliente n’arrêtait pas de me dévisager. Je suis passée à côté d’elle, j’ai posé la main sur mon ventre et j’ai dit en souriant : oh c’est tellement beau d’avoir un bébé dans le ventre !», se remémore Alexandra.

Dans une étude intitulée «Maternités adolescentes : le temps bousculé», deux chercheures françaises, Catherine Sellenet et Fabienne Portier-Le Cocq, mettent en lumière cette forte stigmatisation vis-à-vis des jeunes mamans. «Une gosse, une gamine, une pauvre fille, voire une fille facile, sont les catégories évoquées pour parler de la mère adolescente, parfois même encore plus violemment».

«Je sais ce que je vaux»

Et les choses ne semblent pas évoluer vraiment. «En 20 ans, nous n’avons pas l’impression qu’il y a un grand changement des mentalités. Certaines personnes, professionnelles ou non, sont plus moralisatrices que d’autres. A nous de nous adapter et de faire passer un message plus positif», explique Isabelle Marchal de la Fondation Maison de la Porte Ouverte. Le jugement s’exprime parfois par des actes délibérés au sein même du corps médical.

«Des sages-femmes qui ne font pas la péridurale pour que la jeune fille sache ce que ça fait… C’est déjà arrivé.», lance la psychologue Marie-Catherine Biron. Une mauvaise expérience en maternité, c’est aussi le retour que l’éducatrice de la Croix-Rouge a pu recevoir de plusieurs résidentes. «Mon gynécologue a été très sympa et la sage-femme qui m’a accouchée aussi, mais le séjour à la maternité n’a pas été facile. J’avais du mal à allaiter mon fils et on a pas pris le temps de m’expliquer les choses. Une sage-femme m’a même dit : tu as réussi à faire ton enfant, mais ça, tu n’arrives pas à le faire !», raconte Raquel.

Ca n’est pas parce que tu as 30 ans que tu es plus mature. Ca n’est pas parce que tu as 40 ans que tu es une meilleure mère.“

Pourtant, combien de femmes qui accouchent à l’âge de 25, 30 ou 40 ans peuvent ressentir des difficultés à allaiter leur enfant ou à s’en occuper dès les premiers instants ? Pour ces jeunes filles encore fragiles, ce genre de remarques peut être destructeur. «Certaines reviennent complètement déprimées. On leur dit que oui ça va être difficile. Se lever la nuit, gérer les pleurs, trouver un travail et une place en crèche… Mais on leur fait comprendre aussi qu’être une bonne mère n’a rien à voir avec l’âge que l’on a.», précise la psychologue Marie-Catherine Biron.

En devenant maman, Alexandra et les autres l’ont bien compris : «Je ne me suis jamais sentie autant aimée qu’avec mon fils et c’est inexplicable à quel point je peux l’aimer. Ca n’est pas parce que tu as 30 ans que tu es plus mature. Ca n’est pas parce que tu as 40 ans que tu es une meilleure mère. Oui j’ai eu mon fils à 17 ans et je sais ce que je vaux.»


A propos du même sujet