Prévenu de fraude, de blanchiment et de faux, un avocat déchu du barreau se bat pour retrouver son honorabilité et échapper à ses procès. Bon client de la firme «Sandstone», son nom avait été cité en marge du scandale du Service de renseignement de l’Etat.
L’ancien avocat Mike Erniquin pratique la stratégie de la chaise vide pour échapper à ses juges. Il est une des «bêtes noires» d’une profession autocontrôlée, obsédée par les questions de respectabilité. Vendredi dernier, Mike Erniquin n’a pas comparu devant la Cour d’appel pour répondre d’accusation d’escroquerie, de faux et de blanchiment. Il n’était pas non plus représenté par un avocat. Après plusieurs reports – dont le dernier remonte au 7 octobre dernier –, son procès en appel s’est tenu en moins de trente minutes.
Deux semaines plus tôt, il avait été cité devant le tribunal correctionnel pour répondre de violations de la loi sur la profession d’avocat. Il s’est présenté devant les juges avec un nouvel avocat qui n’avait pas eu le temps de consulter son dossier. L’audience a été remise malgré les protestations du substitut du procureur d’Etat. Les affaires sont anciennes et le prévenu utilise tout ce que la procédure pénale permet pour reculer l’heure de ses procès. Me Rosario Grasso, ancien bâtonnier, présent dans la salle d’audience, fustige contre ce nouveau report.
Un magistrat abusé
L’affaire ayant conduit Erniquin devant la Cour d’appel remonte à janvier 2011. Elle a été initiée à la suite d’une déclaration de soupçon de la Banque BGL-BNP Paribas à la Cellule de renseignement financier (CRF). Le banquier a eu des doutes sur une transaction de 100.000 euros portant sur un contrat de prêt entre un investisseur et l’un de ses clients, la société «Somagri» à Differdange. La société a fait le commerce d’automobiles avant de faire faillite en 2013 et d’être radiée en juin 2021. Les fonds entrés à la BGL avaient été bloqués par le parquet suite à la dénonciation. L’argent a pourtant été débloqué après les assurances fournies par l’avocat Erniquin sur l’origine prétendument licite de l’argent. C’est le cœur du procès.
A l’époque des faits, un jeune substitut Marc Schiltz est affecté à la CRF. Il se fait alors convaincre par son interlocuteur de laisser repartir les 100.000 euros dans la nature. Le magistrat signe une mainlevée du blocage. Il s’est fait berner. L’argent s’avèrera être le produit d’une fraude. L’investisseur qui a placé au total 300.000 euros – dont 100.000 euros ont transité par la banque luxembourgeoise – dans un projet de développement d’une nouvelle énergie prétendument révolutionnaire, ne reverra jamais son argent. Il a porté plainte. Un dossier judiciaire a été ouvert.
Une énergie révolutionnaire
La victime, partie civile au procès, a également transféré 200.000 euros de son compte à la «KantonalBank» à Bâle vers des canaux offshore. Les fonds ont transité de la Suisse vers la «First Caribbean International Bank» dans les Antilles néerlandaises au profit d’une société uruguayenne «Pribont Corporation». Ce second investissement a été fait par l’investisseur après la mainlevée du parquet qui l’avait rassuré sur la licéité de sa mise en fonds. En contrepartie, il lui avait été promis un paiement de 5 millions d’euros. L’appât du gain était trop fort.
L’enquête judiciaire a pointé les responsabilités d’un ressortissant américain, Christian Vahab, sorte de professeur Nimbus, qui se présentait alors comme l’inventeur d’une énergie verte révolutionnaire faite à partir de plasma. Il cherchait des investisseurs pour mettre sur pied un site de production en Europe. Il voulait aussi ouvrir une banque au Grand-Duché. Erniquin et un agent immobilier de Differdange, Roger Cardarelli, ont été ses relais au Grand-Duché. Les deux hommes disent avoir été instrumentalisés par l’Américain.
Le projet d’usine passe par Somagri, que Vahab se propose de racheter pour un million d’euros à un ancien mécanicien de Differdange, Nicolas Lehnen, alors âgé de 84 ans. Gérant de Somagri, ce dernier ne verra jamais non plus la couleur de l’argent. Son entreprise intéressait l’Américain essentiellement pour son patrimoine immobilier.
«Due diligence» de Sandstone
Vahab est décédé en 2016 avant d’être inquiété par la justice. Erniquin et l’agent immobilier ont été inculpés d’escroquerie, de faux et d’usage de faux et de blanchiment pour leur rôle présumé dans la fraude. Lors de son interrogatoire par la police en septembre 2016, l’avocat assure avoir lancé une procédure d’identification du client Vahab. La procédure de «know your customer» a consisté, dit-il, en une recherche sur Internet. Erniquin assure également avoir fait appel aux services de la firme d’intelligence économique «Sandstone», fondée par l’ancien chef des opérations du SREL, Frank Schneider, actuellement visé par une enquête judiciaire dans l’affaire «Onecoin». «La personne de Christian Vahab n’est pas défavorablement connue», lui aurait confirmé Sandstone. En réalité, le personnage traîne derrière lui un curriculum vitae douteux. La firme est un des bons clients de l’étude «Erniquin & Associés».
Mike Erniquin entretient des liens étroits avec Frank Schneider. Ce dernier est alors en pleine tourmente dans l’affaire des écoutes illégales de l’ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV). Le nom de Mike Erniquin est cité en marge du scandale des dérives affairistes du SREL. L’avocat s’est surtout fait connaître pour avoir fait travailler dans son étude, Gérard Reuter, reconverti au Barreau de Luxembourg après sa destitution de la présidence de la Cour des comptes. Il fut aussi présenté comme un informateur du Service de renseignement de l’Etat, du temps de Marco Mille et de Frank Schneider. Reuter a d’ailleurs profité d’un appartement de service du SREL. Le loyer fut ensuite repris par Sandstone, sans justification très convaincante.
A la demande d’un client de Sandstone, Reuter va notamment s’occuper d’un dossier des fonds congolais en lien avec des réseaux francs-maçons, des anciens espions français et l’ex-président du Congo-Brazzaville, Pascal Lissouba. Une véritable chasse au trésor de ces biens «mal acquis» va s’ensuivre, selon un article du «Lëtzebuerger Land».
Une affaire post-SREL
Les ennuis de Erniquin et de Reuter avec le Barreau de Luxembourg vont commencer à partir de là. Le premier est suspendu en 2014. Endetté jusqu’au cou, le second a été radié à vie de la profession d’avocat. Selon les informations de Reporter.lu, les deux hommes vont également jouer un rôle dans la faillite du garagiste Nicolas Lehnen.
Le procès «Erniquin-Cardarelli» en première instance en septembre 2019 intervient dans le contexte ténébreux de «l’après affaire du SREL». Seul, Cardarelli s’y est présenté. Mike Erniquin faisant défaut, un nouveau jugement sur opposition est intervenu en décembre 2021. Là encore, l’avocat ne s’est pas présenté à son procès de la seconde chance.
Faute de preuves, les infractions d’escroquerie et d’abus de confiance n’ont pas été retenues à l’égard des prévenus Erniquin et Cardarelli. Ces derniers ont toutefois été condamnés pour faux et usage de faux pour avoir trompé le substitut de la Cellule de renseignement financier sur la justification d’un contrat de prêt antidaté de 100.000 euros à la BGL-BNP Paribas.
Officiellement, le prêt devait servir 7,5% d’intérêts par an et être utilisé pour l’achat d’un terrain en Allemagne. Toutefois, les enquêteurs vont démontrer que le contrat s’engageait au paiement d’un million d’euros endéans trente jours. «La confection du contrat de prêt incriminé était en l’espèce dictée par l’intention des deux prévenus d’induire la CRF en erreur sur le fondement du transfert de fonds sur le compte de la société Somagri sàrl afin d’obtenir le plus rapidement possible leur déblocage par la CRF», note le jugement de 2021.
Cardarelli, qui traînait derrière lui une première condamnation à deux ans de prison avec sursis en 2004, fut condamné à six mois de prison avec sursis et 2.500 euros d’amende. Erniquin écopa de neuf mois d’emprisonnement avec sursis et d’une amende correctionnelle de 3.000 euros.
La Cour d’appel va se prononcer le 9 novembre sur son pourvoi. Désormais magistrat au parquet général, Marc Schiltz a fait le réquisitoire à l’audience du 21 octobre.
Suspendu mais toujours à la manœuvre
L’ancien avocat, âgé de 50 ans, n’en sera pas quitte pour autant avec la justice pénale. Il a rendez-vous le 28 novembre prochain devant un tribunal correctionnel, là encore après plusieurs reports d’audience, qui le jugera pour des infractions à la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat.
Alors qu’il faisait l’objet de deux suspensions d’un an chacune en 2014 et en 2015 par le Conseil de l’ordre, Mike Erniquin a continué d’exercer la profession d’avocat et de traiter des dossiers de clients. Il a même écrit des courriers à une conseillère de gouvernement 1ère classe auprès du ministère de la Justice pour réclamer un paiement, alors qu’il ne pouvait plus exercer. En juin 2015, l’avocat suspendu assiste une de ses clientes lors d’une audience du tribunal de Luxembourg et plaide pour elle. Il signe des requêtes en matière d’ordonnance de paiement. Le Conseil de l’ordre porte plainte contre lui. L’enquête judiciaire montre qu’il a usé à 19 reprises de son titre d’avocat à la Cour pendant sa suspension. Il a été condamné le 18 octobre 2018 par défaut à six mois de prison et 1.000 euros d’amende.
Il a fait opposition à cette décision et a eu droit, de ce fait, à un second tour de piste devant les juges de première instance, avec ou sans sa présence.