Le programme de tests massifs de diagnostique pour le Coronavirus suscite plusieurs interrogations sur la sélection des entreprises qui y participent. Les choix semblent avoir été faits dans la précipitation. Une entreprise signale des irrégularités et un manque de transparence.

Le programme de dépistage de masse de la population luxembourgeoise au Coronavirus Sars-CoV-2 représente un marché considérable de 40 millions d’euros. Le conseil de gouvernement a donné son feu vert vendredi 24 avril à une campagne de tests PCR à large échelle qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de déconfinement. L’objectif étant dans cette phase délicate «de faire face, de la meilleure manière possible, à l’émergence d’une seconde vague d’infections», indique un communiqué du gouvernement.

Il a fallu attendre mardi, après des fuites dans la presse, pour que les ministres de la Santé, Paulette Lenert (LSAP), et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Claude Meisch (DP) lèvent une partie du voile sur le plan de dépistage qui prévoit 20.000 tests par jour pendant un mois. Le rythme hebdomadaire pourrait même être poussé pour tenir compte des besoins des travailleurs frontaliers, a fait savoir le professeur Ulf Nehrbass, qui dirige le Luxembourg Institute of Health (LIH).

L’institut public de recherche a reçu le mandat de diriger l’ambitieux programme qui se place sous l’angle de la recherche scientifique et qui dépend à ce titre du ministère de l’Enseignement supérieur. Le ministère de la Santé y a apporté son soutien, mais seulement du bout des lèvres, indice d’un certain malaise entre les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Interrogations et crispations

En dépit de la conférence de presse des deux ministres de ressort, toute la transparence n’a pas été faite sur la campagne de dépistage, les conditions dans lesquelles elle a été élaborée et les choix des prestataires, principalement les Laboratoires Réunis où les prélèvements seront effectués et son ancienne filiale Fast-Track Diagnostics à Luxembourg, vendue à Siemens en 2017.

Le parrainage inédit de Claude Meisch a d’ailleurs beaucoup surpris dans le secteur des analyses médicales qui est fortement impliqué dans la réalisation de tests de dépistage du Covid-19 depuis le début de la crise sanitaire.

Dans une lettre adressée au ministre de la Recherche le 25 avril, dont REPORTER a eu connaissance, le Dr Jean-Luc Dourson, dirigeant et fondateur du laboratoire privé Bionext Lab, a été le premier à jeter le doute sur la campagne de dépistage. Il s’étonne ne pas avoir été informé du projet scientifique, alors qu’il est étroitement associé à la lutte contre le coronavirus et qu’il participe toutes les semaines à des réunions de concertation avec la cellule de crise de la Direction de la Santé. Le patron du laboratoire s’interroge aussi sur le leadership confié au LIH pour conduire le projet, l’institut public n’étant pas habilité à faire du diagnostic médical.

La lettre de Dourson à Meisch a connu une large diffusion. Elle a aussi fait l’objet d’un électrochoc dans la communauté médicale. Deux autres ministres étaient en copie (Santé et Sécurité sociale) ainsi que le président de l’Association des médecins et médecins dentistes Alain Schmit, le directeur de la Santé Jean-Claude Schmit et l’avocate Lydie Lorang. La mention de cette dernière peut laisser supposer des suites sur un plan juridique. Contacté par REPORTER, Jean-Luc Dourson n’a pas souhaité faire de commentaire.

Ni appel d’offres ni transparence

Le patron de Bionext avait demandé à Claude Meisch de révéler les noms des prestataires qui vont déployer les stations de tests (17 au total) et réaliser les analyses. Il a également cherché à connaître le nom des réactifs PCR qui permettent de les faire. Il a voulu savoir si ces réactifs faisaient partie de la liste restrictive des fournisseurs émise par la Direction de la Santé.

On sait désormais que la Direction de la Santé a mis la pression sur le fabricant de kits, la société luxembourgeoise Fast-Track Diagnostics pour qu’elle se mette en règle avec la règlementation en vigueur et qu’elle obtienne un marquage CE, indispensable à la commercialisation de ses produits. Or, comme l’a confirmé la Cellule de crise Covid-19 à REPORTER, ces tests ont été utilisés par les Laboratoires Réunis avant leur marquage CE.

Dans sa lettre, Dourson s’interroge sur la procédure employée par le ministère pour passer les commandes. «Vous comprendrez que les questions qui sont soulevées (…) nous préoccupent particulièrement», écrit le dirigeant.

En raison du montant global de 40 millions d’euros en jeu, le donneur d’ordre devrait en principe passer par un appel d’offres public et se montrer transparent. Or, c’est loin d’être le cas.

Une autorisation au bon moment

Interrogé par REPORTER sur les critères qui ont guidé le choix des prestataires ainsi que leur identité, Romain Martin, conseiller de gouvernement au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a renvoyé la balle sur le LIH. Contacté à son tour par REPORTER, le LIH, par le biais de son porte-parole, n’a pas non plus souhaité communiquer le nom des fournisseurs et prestataires des tests. Il a évoqué la livraison de 500.000 kits pour un montant de 4,7 millions d’euros par «une firme luxembourgeoise», sans vouloir en communiquer le nom. Il s’agit bien de Fast-Track Diagnostics comme un porte-parole de Siemens Healthineers, la maison mère de Fast-Track Diagnostics, l’a confirmé à REPORTER.

Signe de malaise, la ministre de la Santé s’était bien gardée, elle aussi, de communiquer le nom de l’entreprise à l’origine des 500.000 kits de réactifs au Covid-19 en stock qui vont servir au dépistage de la population. Paulette Lenert s’était contentée de faire savoir que le fabriquant avait reçu vendredi 24 avril le marquage CE qui lui permettait de commercialiser ses tests.

Cette procédure de validation a coïncidé, à moins qu’elle ne l’ait précédée, avec la commande passée par le gouvernement après le feu vert du conseil de gouvernement le même jour. Cette précipitation des autorités luxembourgeoises témoigne non seulement de la tension qui pèse sur le marché des tests de dépistage du coronavirus, mais aussi d’une grande dose d’improvisation.

Effort collectif en «urgence»

Le gouvernement a fait le choix controversé du fabricant Fast-Track Diagnostics, alors que l’ensemble de la gamme de produits de la firme luxembourgeoise avait fait l’objet d’un rappel en décembre 2019 par l’Agence nationale de sécurité du médicament en France et que des doutes pesaient sur la qualité des produits (Lire également cet article). «C’est un scandale sanitaire mais aussi financier et politique», a fait savoir une source proche du dossier.

REPORTER a pris connaissance de l’implication de l’agence Luxinnovation pour aider Fast-Track Diagnostics à se procurer d’urgence sur le marché des réactifs lui permettant de finaliser sa procédure de marquage CE. Cette démarche témoigne de la pression qui a pesé sur le fabricant de tests pour finaliser les démarches et obtenir le feu vert des autorités sanitaires. Les Laboratoires Réunis ont été impliqués dans le processus de validation du marquage CE.

Le LIH a fait savoir à REPORTER que d’autres laboratoires que Laboratoires Réunis seront impliqués dans la stratégie de déconfinement pour permettre de tenir les objectifs nationaux de 20.000 tests par jour. Toutefois, les 500.000 kits de tests de Fast-Track Diagnostics qui sont déjà en stock ne sont compatibles qu’avec les équipements des Laboratoires Réunis. Ni le Laboratoire National de Santé, ni KetterThill, ni Bionext Labo, qui opèrent avec d’autres équipements, ne peuvent utiliser les réactifs de la firme luxembourgeoise qui compte en produire 1,3 millions par mois dans le monde.

Pour pouvoir associer l’ensemble des laboratoires du pays, mutualiser leurs forces dans la campagne de tests de masse et tenir les objectifs, il faudrait que le gouvernement repasse commande et change sa méthode.


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