Depuis la fermeture totale des crèches et des écoles, plus de 100.000 enfants se retrouvent confinés chez eux. Comment vivent-ils cette situation et comment les parents peuvent-ils la gérer? Réponses de Valérie Lambrechts, psychologue spécialisée dans la parentalité et l’enfance.
Interview: Nastassia Solovjovas
Madame Lambrechts, à partir de quel âge faut-il expliquer aux enfants la situation actuelle et la signification du virus?
Dès le plus jeune âge, plus ou moins à partir de deux ans, il est important de leur expliquer les changements significatifs auxquels ils sont exposés. Pourquoi il n’y a plus d’école, pourquoi ils ne voient plus leur nounou, pourquoi des gens portent des masques dans les magasins ou à la télévision… Il faut pouvoir leur en parler mais mieux vaut attendre qu’ils viennent avec leurs propres questions. Cela dépend beaucoup de l’enfant, de son caractère et de son environnement. L’enjeu majeur est tout de même de ne pas les inquiéter outre-mesure. Il est aussi conseillé de prendre de petits supports ludiques.
Quelle attitude adopter face aux angoisses et questionnements de certains enfants ?
Ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est mentir ou embellir la réalité. Si un enfant manifeste de l’angoisse, il faut le rassurer en lui disant: «papa et maman prennent soin de toi. Si tu tombes malade, tu auras de la fièvre et de la toux pendant quelques jours et puis ça ira mieux». Ce qui est important, c’est de croire ce qu’on leur dit, car ils ressentent tout. Si l’un des deux parents est plus à l’aise ou moins angoissé, il doit prendre le relais. Quand l’enfant est en demande d’informations, les parents doivent prendre le temps de trouver des sources fiables. Pour les adolescents, laissez-leur la possibilité de trouver leurs propres sources. Voyez ensuite s’ils ont des questions. Souvent les enfants se font des scénarios plus angoissants que la réalité. Certains mots entendus à la télé résonnent très fort, comme celui de la «mort» et certaines images prises dans les hôpitaux peuvent être choquantes. Le rôle de l’adulte est alors de le rassurer, mais aussi de ne pas le surexposer aux médias.
Quelle attitude les enfants adoptent-ils durant ce confinement ? Avez-vous un retour d’expérience ?
Ils sont plutôt contents d’être chez eux. La plupart du temps, la maison est un endroit sécurisant dans lequel ils se sentent bien. Contrairement à certains adultes, qui ressentent des difficultés à interrompre leur vie sociale, les enfants expriment de la satisfaction à se retrouver en famille. Ils peuvent être déçus de ne pas voir leurs copains ou de ne pas fêter leur anniversaire comme prévu, mais globalement les choses se passent bien. Lors d’un entretien, j’ai eu un petit garçon qui a exprimé son plaisir de faire ses devoirs assis à côté de son papa, qui était aussi en train de travailler. Il en était très fier! C’était assez touchant et pour le coup inhabituel. Pour certains enfants dont les parents passent beaucoup de temps au travail, c’est en fait un vrai bonheur. Mais je pense que cette vision très positive est valable pour les premières semaines. Si la situation se prolonge et s’étend, les choses risquent d’être plus compliquées…
Pourquoi? Avez-vous des exemples concrets de ce qu’un enfant pourrait alors ressentir?
Des vacances durant lesquelles tout est limité, à la longue, ça devient difficile. Les enfants vont finir par exprimer des frustrations , comme «ça n’est pas juste, je ne peux plus aller au foot!» ou «pourquoi je ne peux pas aller jouer avec mes copines?». Ils ont besoin de bouger. Plus les semaines passent, plus ils sont en demande. J’entends des confusions par rapport à cette période de confinement. Certains parents n’osent pas sortir. Vous pouvez tout à fait aller vous balader avec vos enfants une à deux fois par jour. Surtout si vous vivez en appartement et que votre fils ou votre fille n’a pas de jardin pour se défouler. A l’intérieur aussi les activités physiques sont possibles. Durant le confinement, il est essentiel de maintenir une certaine routine avec les enfants. Il faut séquencer la journée avec le lever, le coucher et entre les deux un temps pour s’amuser, un temps pour les devoirs, un temps pour se poser. Ce ne sont pas vraiment des vacances, donc le rythme doit être différent.
Certains enfants ont-ils plus de difficultés que d’autres à rester chez eux?
Oui, certains peuvent ressentir de la solitude ou de l’isolement. Je pense notamment aux enfants uniques, qui n’ont pas de frère ou de sœur pour jouer avec eux. Lorsque vous êtes dans une fratrie de trois ou quatre, les choses sont tout à fait différentes. Cette situation inédite peut créer de nouvelles dynamiques. J’ai eu le cas d’un grand frère qui a aidé son petit frère à faire ses devoirs par exemple. Mais le confinement est aussi propice à l’apparition de conflits. Quand vous devez partager votre chambre avec votre frère ou votre sœur, ça n’est pas forcément évident. Il faut se supporter, tout comme les adultes entre eux, et apprendre à faire avec.
La question de l’ennui se pose-t-elle également?
Oui. Certains enfants ont plus de mal à trouver une occupation. Beaucoup de parents ont tendance à vouloir combler ce vide par une multitude d’activités. C’est une réaction naturelle, mais l’enfant n’apprendra alors pas à faire travailler son imagination pour trouver ce qu’il peut faire. Je conseille de se poser avec lui et d’énumérer une liste d’activités à faire. Lorsqu’il s’ennuie, il pourra alors regarder sa liste et s’occuper sans être trop frustré.
Qu’en est-il des enfants hyperactifs ou ceux qui souffrent déjà d’anxiété?
Il faut être encore plus vigilant. Pour les enfants hyperactifs, on évite les activités trop longues et on favorise des moments d’apaisement et de relaxation, comme le yoga ou des exercices de respiration. Les médecins recommandent d’ailleurs de ne pas arrêter les traitements durant cette période. Contrairement à des vacances, ici la situation est particulière et peut générer de l’anxiété. C’est valable pour les enfants déjà anxieux ou propices à des phobies. Le confinement peut renforcer leurs angoisses. La peur de tomber malade, que leur entourage soit contaminé, ou même la peur de la mort. Il faut prendre cela en considération.
Concernant l’exposition des enfants aux écrans, quelle pratique recommandez-vous ?
C’est un sujet qui inquiète pas mal de parents. Lorsque j’en parle avec eux, ils me demandent quelle attitude adopter et s’il faut être souple ou non. Je leur dis que les stratégies habituelles mises en place durant les vacances scolaires ou les week-ends, ne sont pas vraiment applicables durant le confinement. D’une part, parce que les enfants sont obligés de se connecter pour leurs devoirs et pour le suivi scolaire. D’autre part, parce que c’est important pour eux qu’ils maintiennent des contacts sociaux avec leurs amis ou même avec leurs grands-parents, qu’ils ne peuvent pas voir. Cela dépend beaucoup des pratiques habituelles, qui sont différentes dans chaque famille. Je dirais globalement qu’il ne faut pas les empêcher à tout prix de regarder la télé ou de surfer sur l’ordinateur ou leur tablette. L’idéal est de définir des temps limités dans la journée.
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