Xavier Bettel sert les intérêts de RTL Group en assouplissant les limitations du temps de publicité. Il a choisi de ne transposer qu’une partie d’une directive européenne, soit la partie la plus favorable pour le groupe média. Il ignore de fait les recommandations du Conseil d’Etat.

«Vous ne regardez pas assez la télévision», avait ironisé en septembre l’avocat Marc Thewes à l’adresse des juges du Tribunal administratif chargés de trancher un litige entre RTL Belux et son client, l’Autorité indépendante de l’audiovisuel (Alia). Le régulateur avait fait recours dans un contexte de soupçons de publicité déguisée, ce qui est actuellement contraire à la loi.

Aujourd’hui, la ligne de démarcation entre la publicité, le parrainage de programmes et le contenu rédactionnel sur les chaînes de télévision commerciale est parfois poreuse. La situation pourrait encore se compliquer pour les téléspectateurs avec l’adoption d’une directive européenne qui va débrider les règles de la publicité et du parrainage. Cela est d’autant plus vrai au vu de la transposition prévue par le ministre des Médias, Xavier Bettel (DP).

L’Union européenne a fait en effet une nouvelle avancée dans la libéralisation du paysage audiovisuel le 14 novembre 2018 en adoptant la directive 2018/1808. Les limitations publicitaires pesant actuellement sur les diffuseurs vont être assouplies. Le texte tient compte «de l’évolution des réalités du marché». Il s’agit de donner un coup de pouce aux chaînes de télévisions qui souffrent de la concurrence des nouveaux acteurs du Net comme Amazon, Netflix ou Google. Ces opérateurs ne sont soumis ni aux règles limitant la durée des publicités dans les programmes ni aux quotas de diffusion d’œuvres européennes. Le texte européen aligne les règles du jeu.

Le calcul du temps d’antenne pouvant être consacré aux spots de publicité et de télé-achat va changer. C’est une des dispositions phares de la directive, mais ce n’est pas la seule. Le texte exigera des plateformes de vidéo à la demande des quotas de diffusion d’œuvres européennes (30%), identiques à ceux imposés aux chaînes de TV conventionnelle.

Une sorte de clientélisme

A l’heure actuelle, la proportion de publicités est limitée à 20% par heure d’horloge, soit 12 minutes par tranche de 60 minutes. A l’avenir, la limitation restera plafonnée à 20%, mais la période de référence sera étendue. Le plafonnement ne s’appliquera plus par heure d’horloge, mais par «périodes» qui couperont la journée en deux: une première plage entre 6 et 18 heures et une seconde entre 18 à 24 heures.

Ces changements ont été cousus sur mesure pour permettre aux diffuseurs d’optimiser le placement des annonces en fonction des heures d’affluence des téléspectateurs devant le petit écran. Cela signifie plus de pub au plein tarif en prime time et moins aux heures creuses.

«Sur ces plages, les fournisseurs peuvent dès lors diffuser un total de 124 minutes respectivement de 72 minutes de communications commerciales sans être tenus par la limite horaire de 12 minutes», décrypte l’Alia, qui a analysé la directive. Un même film de 80 minutes pourra subir jusqu’à quatre coupures.

Quid du régime publicitaire qui attend les téléspectateurs entre minuit et 6 heures du matin? Les téléspectateurs insomniaques se feront-ils servir 100% de pub, 0% ou en restera-ton au seuil de 20%, par analogie avec le régime appliqué aux deux autres plages? Diète ou overdose? La directive ne dit rien à ce sujet.

D’un point de vue pratique, les nouvelles règles compliquent le travail des autorités de surveillance.“Alia

Les Etats membres de l’UE ont jusqu’au 19 septembre 2020 pour se mettre en conformité avec la directive. Rien ne presse donc pour transposer une directive.

Une fois n’est pas coutume, le Luxembourg ne traîne pas les pieds pour se mettre en conformité avec le droit européen. Toutefois, la mise en conformité est très partielle. Le projet de règlement grand-ducal (RGD) déposé fin juillet par le Premier ministre et ministre des Médias et Communications ne traite en effet qu’une infime partie de la directive et laisse le gros morceau pour plus tard.

Placement de produits au JT?

Xavier Bettel a fait son marché dans le texte européen pour ne prendre que ce qui l’arrange et laisser en friche une grande partie de la réforme adoptée par les 28. Le projet de RGD ne comporte qu’un seul article qui se limite à transposer un seul article de la directive. L’article en question concerne exclusivement la flexibilisation du temps de publicité à l’antenne. Or, comme le signale le Conseil d’Etat, le texte européen «comporte un certain nombre d’autres dispositions qui touchent celles reprises au règlement grand-ducal à modifier».

Le Premier ministre prend l’option de la facilité, mais il prend aussi le risque de rendre la règlementation incohérente. Le Conseil d’Etat le lui rappelle dans son avis rendu le 22 octobre. Le projet reste par exemple en défaut de couvrir l’interdiction de publicité pour les cigarettes électroniques. Le texte ignore également l’interdiction de placement de produits dans les programmes d’information, les émissions de consommateurs, les programmes religieux et pour les enfants pourtant inscrite dans la nouvelle directive.

Le Conseil d’Etat pointe d’autres contradictions entre les règles nationales et européennes: le RGD actuel autorise l’interruption, par tranche de 30 minutes, des programmes pour enfants par du télé-achat alors que les nouvelles règles de l’UE la proscrivent.

Le projet de règlement grand-ducal reste muet quant aux raisons des auteurs de ne pas procéder à une transposition en bonne et due forme.“Conseil d’Etat

En desserrant l’étau sur le temps de publicité à l’antenne, Xavier Bettel sert d’abord les intérêts immédiats de RTL Group et de ses chaînes sous licence luxembourgeoise. Il ne s’en cache pas. C’est «dans l’intérêt du secteur», admet le ministère d’Etat contacté par REPORTER.

Les conséquences d’un choix politique

Le Conseil d’Etat s’interroge sur la pertinence de ce droit d’inventaire que s’offre le Premier ministre et s’étonne de son mutisme «quant aux raisons (…) de ne pas procéder à une transposition en bonne et due forme de la totalité de la directive (UE) 2018/1808».

L’Alia s’inquiète pour sa part des conséquences du «choix politique» d’offrir davantage de latitude aux communications commerciales. Car ce choix va compliquer le travail de contrôle du régulateur luxembourgeois, déjà en sous-effectifs pour «policer» le secteur audiovisuel et protéger les téléspectateurs. Le gouvernement ne dit rien dans l’exposé des motifs sur un renforcement des moyens humains de l’Alia.

La pression que fait monter RTL Group qui va alléger ses effectifs au Luxembourg et délocaliser des services en Allemagne, n’est sans doute pas étrangère à ce choix controversé du gouvernement. En mal de recettes, les chaînes RTL Tvi, Club RTL et Plug RTL sous licences luxembourgeoises ne demandaient pas mieux que de pouvoir opérer au plus vite sur un marché publicitaire débridé.

«La transposition ne saurait se limiter au simple recopiage d’une seule disposition», souligne le Conseil d’Etat qui a recommandé au Premier ministre de revenir sur ses intentions. C’est peine perdue. Il ne renoncera pas à présenter son projet à la signature du Grand-Duc, fait-on savoir au ministère d’Etat. Les services de Xavier Bettel travaillent sur un avant-projet de loi. Un projet de loi devrait être déposé «avant la fin de l’année» pour transposer le reste de la directive.