Beaucoup de propriétaires craignent qu’un classement de leur bien limite les possibilités de transformations ultérieures. Pourtant, des exemples montrent que la pratique au Luxembourg est assez flexible. Et que l’État n’est pas toujours exemplaire.
Ce soir-là, un groupe d’étudiants s’attarde devant le Forum Vinci, immeuble qui abrite l’Ordre des Architectes et Ingénieurs conseils (OAI). Une conférence, intitulée «Loger et travailler dans le patrimoine bâti: chances et défis», vient de s’achever. Les exemples présentés laissent perplexe ces jeunes de BTS qui se destinent à des professions immobilières. «Je ne comprends pas. On dit qu’on rénove de l’ancien. Mais là, ça va trop loin. On fait du moderne. Pour moi, ça n’a plus rien d’authentique», lance l’une des participantes qui résume l’opinion de ses camarades. Ce qui les choque? Les ouvertures dans des murs parfois séculaires, ou encore l’installation de panneaux solaires sur le toit d’un bâtiment classé à l’inventaire supplémentaire. «Tant qu’à habiter dans du moderne, autant être dans du neuf», ajoute un autre.
Parmi les «bonnes pratiques» présentées à l’OAI, on aura pu découvrir les rénovations de fermettes à Lieler dans le canton de Clervaux et Putscheid dans le canton de Vianden, une ancienne «Epicerie am Duerf» qui a repris du service à Schrondweiler dans le canton de Mersch, ou encore la villa Collart dans le parc de Steinfort, propriété de la commune depuis les années 60 et qui abrite désormais le restaurant de Thomas Murer ainsi qu’une salle d’exposition. Pour les maîtres d’ouvrage et les architectes, tout l’enjeu était de redonner vie à ces bâtisses, sans leur faire perdre leur âme. Le Service des Sites et Monuments a été associé aux travaux et a donné sa bénédiction. Le coût des travaux réalisés n’a pas été mentionné.
«Il est très important de reconnaître la valeur de notre patrimoine, de le protéger mais aussi de le faire vivre», souligne l’architecte Sala Makumbundu, Secrétaire générale de l’OAI et membre de la Commission des Sites et Monuments (Cosimo), qui rend des avis sur les bâtiments à protéger et les demandes de transformations. La conférence de l’OAI avait pour objectif de montrer que «la protection du patrimoine ne doit pas être vue comme une pénalité ou une perte de revenu. Cela peut apporter une valeur ajoutée», dit celle qui est aussi associée-gérante de CBA Architects.
Une servitude qui a un prix
Ce constat est partagé par le président de la Chambre immobilière, Jean-Paul Scheuren, avec un bémol. Le classement national d’un bien ne fait pas baisser son prix à deux conditions: «s’il s’agit d’un bâtiment exceptionnel et si son état de conservation est suffisamment bon pour ne pas faire exploser le coût des travaux de restauration», dit-il. Le nouveau projet de loi relatif au patrimoine envisage d’indemniser les propriétaires en cas de classement sur la liste du patrimoine national. Une mesure qui irait dans le bon sens, à ses yeux: «La protection d’un bien, c’est une servitude. C’est comme une expropriation. Donc il faut une indemnisation de l’État».
Tous les propriétaires ne sont pas convaincus de l’utilité d’un classement. Certains préfèrent renoncer aux subventions allouées pour les rénovations de biens classés, fixées à 50% en cas de protection nationale et 20% pour une protection locale. «Étant donné le surcoût pour se conformer aux normes de rénovation de bâtiments classés, on ne gagne rien avec ces subventions. Par contre, on perd en liberté», nous confie le propriétaire d’une fermette qui répond à des critères de classement mais est jusqu’à présent restée en dehors du filet de la protection nationale. Ce propriétaire a fait faire des travaux «qui rendent mieux que si l’on avait suivi les normes», se persuade-t-il.
L’inventaire systématique des bâtiments en cours dans le pays devrait le remettre dans les clous. Mais y perdra-t-il vraiment en liberté?
L’art du compromis
Dans son étude réalisée au Luxembourg en 2000 intitulée «Heritage at risk», l’Icomos (Conseil international des sites et monuments) relève qu’au Luxembourg, «une ferme restaurée ressemble souvent davantage à un petit manoir qu’à une demeure de paysans». Le Service des Sites et Monuments, chargé de conseiller les propriétaires, est donc plutôt compréhensif.
Protéger l’enveloppe des bâtiments est une chose, leur «substance», c’est-à-dire ce qu’il y a à l’intérieur, une autre. L’architecte en charge de l’Inventaire au Service des Sites et Monuments Nationaux, Christina Mayer, concède que sur ce point l’État n’est pas irréprochable. Elle ne veut pas citer un exemple précis, mais note que «c’est surtout les questions d’accessibilité des monuments nationaux qui ont entraîné certaines transformations. Toutes ne sont pas réussies». Entre les exigences des Bâtiments publics et celles de la Culture, l’État lui-aussi n’a parfois pas d’autre choix que le compromis.
D’autres articles sur la thématique

