Depuis qu’elle a été diagnostiquée d’un cancer du col de l’utérus, il y a plus d’un an, Isabelle a vécu des moments difficiles. Elle s’était promis de profiter au maximum des bonnes choses pour tenir le coup et lutter contre le cancer. Le coronavirus l’a stoppée net.

Chaque lundi matin, Isabelle attend son taxi sur le pas de la porte de son immeuble. Lorsque le véhicule se gare le long du trottoir, elle s’y installe rapidement, touchant le moins de choses possibles, son gel désinfectant bien calé au fond de la poche de son pantalon. Un pantalon qu’elle s’empressera, une fois rentrée, de mettre directement au linge, comme le reste de sa tenue d’ailleurs.

Isabelle salue le chauffeur qui, derrière son masque, lui rend un bonjour étouffé. C’est parti pour vingt minutes d’un trajet plutôt silencieux. Aucun embouteillage. Ça tombe bien, Isabelle n’a pas envie de s’éterniser à l’extérieur quand celui-ci est synonyme de danger. Il est 8h00. Isabelle pénètre dans le Centre Hospitalier de Luxembourg. Comme tous les lundis depuis le début du confinement. Comme tous les lundis depuis qu’elle a entamé sa chimiothérapie.

Séparée des autres patients par un rideau

Cela fait un peu plus d’un an qu’Isabelle se bat contre le cancer. Un cancer du col de l’utérus qui l’a touchée de plein fouet, à 43 ans. Le temps d’un été, après une opération et une panoplie de rayons, elle a pensé que le mal était passé. Mais la récidive s’est déclarée en fin d’année dernière. «J’ai entamé un nouveau traitement peu après les fêtes. Mais rapidement, les effets secondaires ont été tels que j’ai dû être hospitalisée. Je ne le supportais pas, mon corps ne l’acceptait pas… Ça devenait trop grave, il a fallu arrêter», résume-t-elle.

Cette hospitalisation tombe au moment même où, quelques couloirs plus loin, dans le service des maladies infectieuses, les premières chambres d’isolement pour patients Covid-19 sont installées. «J’en entendais un peu parler mais à ce moment-là, personne ne paniquait encore. Il n’y avait pas encore de cas ici.»

Renvoyée chez elle, Isabelle tente de reprendre des forces. Après concertation, ses médecins envisagent pour elle un nouveau traitement, une chimiothérapie sur six mois, à raison d’une séance par semaine. Entretemps, aux infos, Covid-19 est sur toutes les lèvres. Le virus se propage. «Quand tout cela est devenu concret, je me suis dit qu’avec la chance que j’avais, j’allais encore à tous les coups me le taper, ce virus.»

Une fièvre qui sème le doute

Lundi 16 mars, alors que les résidents du Luxembourg commençaient leur première semaine de confinement, Isabelle entame, quant à elle, sa première séance de chimiothérapie. Malgré le virus, son traitement est maintenu car indispensable. Vital. Devant le CHL, une petite foule s’amasse. Des patients, du personnel soignant, pêle-mêle. À l’entrée, un individu vêtu d’une tenue de protection de la tête aux pieds régulait les allers et venues. Il lui a pris la température, lui a donné un masque. «L’atmosphère était étrange, mais malgré tout rassurante», analyse-t-elle après coup. 

Entretemps, l’organisation s’est améliorée. Isabelle trouve qu’il y a moins de monde que d’habitude. Peut-être que d’autres types de transfusions ou de traitements moins indispensables ont été décalés, se dit-elle. Et c’est effectivement le cas.

Forcément, parfois, je panique. Je me demande si la fièvre est normale ou si je pourrais être potentiellement contaminée.“Isabelle

Au sein du service où elle se fait administrer sa chimiothérapie, rien ou presque n’a changé. Seul changement notable, un regroupement des prestations pour davantage de sécurité. Avant chaque administration, elle doit faire une prise de sang de contrôle. Normalement, elle la faisait là où elle vit, à Esch-sur-Alzette. Mais depuis le Covid-19, il a été décidé que tout se ferait au CHL, «cela me facilite finalement les choses.»

Plus compliquée en revanche, cette satanée fièvre qui fait partie des effets secondaires du cancer, de la chimio, mais aussi et surtout, des symptômes du Covid-19. «Forcément, parfois, je panique. Je me demande si la fièvre est normale ou si je pourrais être potentiellement contaminée».

C’est une de ses prises de température quotidiennes qui, justement, va conduire Isabelle bien malgré elle au cœur même de la zone rouge du Centre Hospitalier. «J’avais un rendez-vous à l’hôpital, mais 38°C de fièvre. Je ne toussais pas et n’avais pas de problèmes respiratoires, mais lorsque j’en ai informé l’équipe médicale, celle-ci a tout de même préféré me contrôler. J’ai donc été emmenée là où toutes les personnes à risque sont gardées, le temps de se faire dépister puis d’avoir les résultats», relate-t-elle.

Là encore, elle était séparée des autres par des rideaux. Mais elle n’avait jamais autant été exposée au virus. L’attente a duré cinq heures. «J’étais très nerveuse, j’avais peur de me faire contaminer si je ne l’étais pas déjà». Le test s’avère négatif, Isabelle finit par voir son médecin puis par enfin rentrer chez elle, avec la consigne de s’enregistrer dans le programme de télésuivi médical du CHL, baptisé «CHL at home». «Pendant quinze jours, j’ai dû indiquer tous mes symptômes dans l’application et j’étais surveillée à distance par un médecin. Ça m’a un peu calmé et c’était plutôt rassurant pour tout le monde».

La peur de sortir

Le suivi de son cancer, lui, se poursuit normalement. Dans son cas, pas de consultations à distance. Le maintien de visites régulières à l’hôpital lui permet de s’entretenir assez souvent avec le corps médical. «Rien n’est très différent dans la mesure où je vois ma docteure chaque semaine lors de ma séance de chimiothérapie. Si je dois faire un examen, en revanche, il a lieu plus rapidement et dans des conditions bien meilleures qu’avant.» Comme tout est en service réduit, elle passe directement, sans devoir patienter des heures durant en salle d’attente.

«Les infirmières ont toujours le sourire. Je trouve ça admirable, malgré les conditions, toutes sont présentes pour moi, de bonne humeur et pleines de bonnes ondes. Ça fait du bien», confie-t-elle. Des vitres de protection ont été installées au secrétariat, tout est tout le temps désinfecté. Là où Isabelle est installée, des rideaux la séparent des autres malades, ce qu’il n’y avait pas avant. «Mais on peut toujours communiquer entre nous», dit celle qui avoue pourtant souvent s’endormir pendant qu’on lui injecte les médicaments par intraveineuse.

Reste que l’impact de la pandémie touche d’autres secteurs, d’autres professions paramédicales, qui aidaient Isabelle dans son combat. C’est le cas notamment de la kinésithérapie qui lui permettait de retrouver peu à peu son endurance après des mois passés enfermée chez elle et de faire travailler son cœur malmené par la maladie. «Mes séances se sont arrêtées juste au moment où je commençais à voir les résultats de ces exercices de vélo, de course et de respiration… C’est dommage. Je suis un peu frustrée depuis, ça a été un coup dur pour mon moral».

Depuis, les jours se suivent et se ressemblent. Le réveil, la douche, un petit-déjeuner «comme je n’ai jamais eu le temps d’en prendre du temps où je travaillais», puis les médicaments, nombreux, les informations qui passent et repassent en boucle, histoire de savoir quand on en aura fini, de ce virus-là.

Beaucoup de télévision pour faire passer le temps. Pas forcément la tête à lire. Pas trop de soleil non plus, c’est déconseillé. Puis vient le retour des courses, dont se charge seul son compagnon. Des courses que le couple nettoie très consciencieusement. «Ce sont ces sorties-là qui me font le plus peur finalement. J’ai beau rester chez moi, je ne peux m’empêcher de me dire que je pourrais être contaminée via ces courses qui restent indispensables.» Après, elle fait aussi appel à des services de livraison.

La douleur de l’isolement

La peur, le temps de plus en plus long… Ce confinement, nouveau pour la plupart d’entre nous, ne l’est finalement pas vraiment pour Isabelle. Depuis que son cancer a été diagnostiqué, affaiblie par les différents traitements, celle qui multipliait jusqu’alors les sorties, les concerts, les restaurants, a passé beaucoup de temps chez elle. «Ma vie a radicalement changé il y a quelques mois déjà. Mais aujourd’hui, ce qui est le plus dur, c’est l’isolement. Le virtuel, ce n’est pas pareil. Le contact social, c’est tout ce qui me restait…».

Privée de ses proches, de sa famille, de sa sœur rentrée de Miami, de toutes ces personnes qui le temps de quelques heures, parvenaient à lui faire oublier son quotidien. «J’en étais arrivée à un stade où je m’étais promis de profiter au maximum des bonnes choses pour tenir le coup et lutter contre ce cancer. J’avais déjà renoncé deux fois d’affilée à un voyage en Argentine, que je rêvais de faire depuis longtemps, à cause de la maladie. J’avais donc décidé de me concentrer sur le positif. Et le coronavirus m’a stoppé net.»

L’entourage, la vie sociale, les sourires des amis, c’est ça, comme elle dit, dont elle a besoin pour tenir le coup, pour se changer les idées. Et c’est ça qu’on lui a enlevé. Sans compter l’incertitude qui entoure la perspective d’un déconfinement. Surtout pour les populations vulnérables dont Isabelle fait partie. «La première chose que je ferai quand on sortira doucement de cette situation, ce sera d’inviter des proches à mon domicile. Mais je ne sais pas quand je pourrais moi-même réellement ressortir de chez moi comme avant. Je crois qu’avec mon cancer, et tant que ce virus existera, j’aurai toujours encore peur d’être contaminée».


A lire aussi: