Dépistage au ralenti, traitements en suspens et opérations non-vitales repoussées: la prise en charge des personnes atteintes d’un cancer interpelle. Or, il s’agit de protéger ces personnes vulnérables du risque d’infection et de désaturer les services hospitaliers pendant la pandémie.

Pas évident de se faire soigner à l’heure où de nombreux services hospitaliers ont été réquisitionnés pour accueillir des patients COVID-19, où les cabinets médicaux restent fermés et où les consultations ont été repoussées. Tandis qu’une pandémie mondiale sévit, certains se battent quotidiennement contre le cancer. Un double combat à mener de front, avec un traitement à suivre, des rendez-vous médicaux à honorer et en toile de fond, cette crainte ultime d’être contaminé par le COVID-19. Chez les personnes concernées, l’angoisse est bien réelle.

«La pandémie est une situation extrêmement stressante pour nos malades», indique Lucienne Thommes, directrice de Fondation Cancer. «On constate ainsi depuis quelques semaines une hausse frappante du nombre d’appels auprès de nos psychologues. Ces derniers proviennent de patients en cours de traitements, de ceux que l’on suit depuis longtemps, mais aussi de personnes en rémission depuis des années qui reviennent vers nous parce qu’elles s’inquiètent». Une inquiétude plus que jamais compréhensible dans un contexte général pour le moins anxiogène. «Le cancer est une situation angoissante à elle seule, et là, avec la pandémie, les patients ont peur d’être des dommages collatéraux, dans la mesure où en situation de crise, les priorités changent», poursuit-elle.

Deuxième cause de décès au Luxembourg selon la direction de la santé en janvier 2020, le cancer affaiblit le système immunitaire et les patients actuellement en traitement, surtout en chimiothérapie (et à un moindre degré en radiothérapie), deviennent forcément plus vulnérables. Ceux qui, en revanche, ont terminé la phase aigüe de leur traitement depuis six mois, ne sont, selon les médecins, pas plus à risque que les autres personnes si elles contractent le Covid-19.

Des situations à prendre au cas par cas

L’état de crise ayant été déclaré, tous les examens, traitements et interventions non-urgents ont été reportés à une date ultérieure. Cela pour préserver les malades, mais aussi pour pouvoir garantir une bonne prise en charge postopératoire, dans des services comme la réanimation, parfois occupés par des malades atteints du coronavirus. C’est ce que confirme la Fondation Cancer. Au service oncologie du CHL cependant, le ton se veut rassurant. «J’ai réussi à poursuivre tous mes traitements en cours et à assurer toutes mes consultations téléphoniques», indique la docteure Carole Bauer, oncologue. «Je crois que le dialogue est très important, j’ai appelé chacun de mes patients pour discuter avec eux et voir quelle situation leur conviendrait le mieux.»

Car dans le cadre d’une chimiothérapie ou d’une immunothérapie, la venue du patient au Centre Hospitalier est souvent indispensable. Et pour beaucoup de malades, pénétrer au cœur même d’un hôpital à l’heure où le confinement reste de mise, représente un risque dont ils se passeraient bien. «Certains sont très angoissés à l’idée de venir. J’ai par exemple quelqu’un qui a voulu arrêter tout son traitement à cause du virus. Mais je l’ai appelé, on a longuement discuté, je lui ai déconseillé cette décision et finalement j’ai réussi à le convaincre de continuer. À chaque fois, j’ai analysé et jugé au cas par cas, avec mes patients, ce qui serait le mieux pour eux», relate le médecin. Une décision qui repose évidemment sur plusieurs critères, parmi lesquels la prise en compte des différents types de traitements et de leurs visées.

Moins de monde en oncologie

Ainsi, les thérapies palliatives, destinées non plus à guérir mais à soulager les symptômes de la maladie et à prolonger la survie, ont parfois été remises en question. «Dans ces cas-là, il faut calculer le ratio bénéfices-risques, pour voir si c’est vraiment indispensable à l’heure actuelle de poursuivre un tel traitement», note la docteure Bauer.

En réalité, on ne sort donc pas des pratiques habituelles.“Dr Bauer, oncologue

Certaines chimiothérapies, les chimio per os, se font quant à elles sous forme médicamenteuse, à domicile, et peuvent donc se poursuivre avec néanmoins quelques aménagements. «À chaque nouveau cycle de prise de médicaments, le patient doit venir à l’hôpital pour une prise de sang et un contrôle. Aujourd’hui, la prise de sang est faite directement à domicile et le suivi par téléconsultation. Même si c’est toujours mieux de voir les gens en vrai, cela permet de faire circuler moins de monde au sein de notre service», souligne la docteure Bauer. En général, un proche va ensuite retirer les boîtes de médicaments dans une pharmacie.

Enfin, hormis pour les tumeurs très agressives, il reste des situations où il est possible de retarder ou de repousser un peu un traitement, sans incidence réelle sur la suite, assurent les médecins. C’est le cas notamment des immunothérapies, dont les doses administrées peuvent être un peu espacées et données sur de plus longs intervalles, ou de certaines chimiothérapies dites adjuvantes, destinées à aider ou à renforcer un traitement initial, comme une chirurgie par exemple, et à éviter ainsi la récidive et les métastases.

En accord avec les guidelines

«Après un cancer du sein qui a donné lieu à une opération, nos guidelines nous recommandent d’attendre par exemple entre 6 à 8 semaines selon le type de cancer pour démarrer une chimio. J’ai alors repoussé ce délai à son maximum, histoire de gagner un peu de temps, et j’attends donc les 8 semaines pour débuter, ce qui ne change rien au niveau de l’efficacité du traitement. Mais le dialogue avec le patient est primordial, il faut lui expliquer que c’est bien d’attendre un peu, même s’il est souvent pressé de démarrer pour en finir, ce qui est compréhensible», souligne l’oncologue.

Pour un cancer du pancréas, qui représente une lourde chirurgie, la docteure Bauer précise qu’il faut en général attendre 10 semaines selon leurs guidelines. «Là, on en est à 5 semaines de confinement, ça nous laisse encore un peu de temps devant nous…  En réalité, on ne sort donc pas des pratiques habituelles.»

(Photo: Shutterstock.com)

Le Luxembourg travaille aussi fréquemment en partenariat avec la France, la Belgique ou l’Allemagne dans la lutte contre le cancer. Des patients y sont envoyés pour prendre des avis médicaux ou parfois, aussi, pour s’y faire opérer. Munis d’une attestation de passage pour raison médicale d’urgence, signée par un médecin, les malades peuvent ainsi passer la frontière et se rendre à leurs rendez-vous. «J’ai une seule patiente qui s’est fait opérer en Belgique durant le confinement et tout s’est passé normalement», note la docteure Bauer. 

Le dépistage au ralenti

Jusqu’à présent, COVID-19 ne semble donc n’avoir qu’un impact moindre sur le suivi et le traitement des patients atteints de cancer au Luxembourg. Reste que l’après demeure flou et que des craintes pour le futur se font doucement entendre. «Pour l’instant, nous essayons d’être là au maximum pour aider et soutenir nos malades dans cette période de crise. La prévention n’est donc pas notre priorité actuelle», regrette un peu Lucienne Thommes, de la Fondation Cancer. Au-delà de la prévention, c’est aussi le dépistage de potentielles tumeurs qui risque de faire défaut.

Avec des rendez-vous pour des mammographies ou des dépistages colorectaux qui sautent, des personnes qui repoussent des consultations ou qui se refusent à se rendre aux urgences, certains cancers pourraient finir par être détectés à un stade plus avancé par la suite. «Beaucoup de patients risquent de venir ensuite tous d’un coup» , s’inquiète Carole Bauer. Il faut donc reprendre doucement du service, oui, mais intelligemment. Pour sa part, elle réfléchit déjà à comment organiser ses consultations, peut-être en alternant un rendez-vous physique et une téléconsultation. Un problème pour les médecins, confrontés à l’incertitude de demain, qui vaut aussi pour les malades qui s’interrogent d’ores et déjà sur la vie en déconfinement.

«La crainte de perdre son emploi, toujours sous-jacente chez les patients atteints de cancer, a été un peu atténuée lorsque le ministère de la Santé a décidé que le mécanisme de calcul des 78 semaines d’incapacité de travail pour cause de maladie serait temporairement suspendu pendant cette période de crise. Maintenant, on a par exemple certaines mères de famille, en chimiothérapie et en quarantaine, qui redoutent la reprise de l’école», remarque Lucienne Thommes. Comment préserver sa santé tout en assurant le quotidien? Une question, parmi d’autres, qui reste encore en suspens.


A lire également: