À l’échelle mondiale, plus d’un bébé sur dix naît avant terme et la prématurité reste la première cause de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans. Selon l’OMS ces taux ne cessent d’augmenter. Qu’en est-il au Luxembourg et comment sont pris en charge ces enfants ?
Ella, découvrant le monde à 29 semaines de gestation, fait partie des grandes prématurées. À la naissance, elle pesait 960 grammes et mesurait à peine 35 cm. À savoir que la norme pour un nourrisson est en moyenne de 3300 g et de 50 cm. Née avec une telle prématurité, il a fallu qu’elle intègre le service de néonatologie du Centre Hospitalier Luxembourg (CHL) – seule maternité du pays à accueillir des nouveau-nés de moins de 32 semaines et dits de grande prématurité (entre la 28e à la 32e semaine) et de prématurité extrême (moins de 28 semaines).
En plus des 14 lits bébés et 6 chambres mères-enfants du CHL, le service de néonatologie des Hôpitaux Robert Schuman accueille à la Clinique Bohler les prématurés nés entre 32 et 37 semaines. Il y dispose de 7 lits. C’est vers ces deux hôpitaux que les deux autres maternités du pays transfèrent leurs bébés in-utero, soit dans le ventre de leur maman, afin qu’ils naissent à proximité imminente du service qui puisse prodiguer les bons soins et garantir la surveillance nécessaire.
Mon gynécologue devait d’abord vérifier s’il y avait de la place pour nous, sinon il m’aurait envoyée à Liège ou à Trèves !“Maman de Viola, née à 32 semaines
Simultanément, 27 bébés peuvent donc séjourner en néonatologie au Luxembourg. Or, comme en témoignent régulièrement les médias, ces infrastructures sont insuffisantes pour couvrir les besoins en période de pic. Les mamans pour lesquelles il n’y a pas de place sont envoyées à l’étranger pour pouvoir garantir des soins intensifs à leur bébé prématuré.
En cas de pic de naissances, mesdames, veuillez accoucher à l’étranger !
En avril dernier, la mère de Viola a failli vivre le même sort : «À la maternité d’Ettelbruck où j’étais suivie, quand mon gynécologue a diagnostiqué une pré-éclampsie, il m’a dit que je devais rejoindre en urgence un service de néonatologie à Luxembourg-ville pour accoucher de ma fille. J’étais enceinte de 32 semaines… Mais d’abord, il devait vérifier s’il y avait de la place pour nous, sinon il m’aurait envoyée à Liège ou à Trèves !» Un grand coup de stress pour cette primipare qui a finalement pu accoucher au Luxembourg.

Ce risque de saturation pourrait s’accroître les prochaines années, compte tenu de l’évolution du nombre de naissances médicalement assistées (PMA). En effet, selon un rapport du ministère de la Santé, «le risque pour le bébé d’être admis dans un service de néonatologie est 3 fois plus grand lorsque la maman a eu recours à un traitement de fertilité» ou encore lorsqu’une femme a recours à une PMA, elle a 2,6 fois plus de risque de mettre au monde un bébé prématuré (< 37 semaines) et 3 fois plus de risque pour un bébé grand prématuré (<32 semaines)». Le nombre de grossesses issues d’une PMA étant en hausse (339 en 2013 contre 263 en 2011), augmenter la capacité des services pour prématurés semblerait nécessaire.
Un sujet qui n’est pourtant pas à jour. Il ne semble pas non plus intéresser les hommes politiques. A regarder les programmes électoraux, seul l’ADR propose d’élargir les services de néonatologie du pays «fir datt all Puppelchen, deen ze fréi kënnt, adequat hei am Land ka versuergt ginn.»
On entend les bips du monitoring de son bébé et aussi des autres, on s’imagine que quelque chose ne tourne pas rond, c’est super stressant.“Maman de jumeaux nés à 35 semaines
Sur l’année 2017, la Clinique Bohler a compté près de 127 bébés prématurés et le CHL a pris en charge 402 bébés prématurés ou nés à terme nécessitant des soins aigus.
D’après le plus récent rapport du ministère de la Santé publié en avril 2016 et portant sur les années 2011, 2012 et 2013, le nombre de bébés nés dans une maternité luxembourgeoise et transférés dans un service de néonatologie est stable et représente 6,3% des naissances. Autrement dit, sur les 19.748 naissances en trois ans, 1.244 bébés y sont transférés, soit environ 1 bébé sur 16. La raison principale de ces transferts est la prématurité (3 cas sur 5). Notons que l’étude ne précise pas combien de bébés ont été transféré in-utero à l’étranger et y sont nés, faute de place au Luxembourg.
Et la survie des bébés ?
Pour ce qui est de la survie des bébés, les services de néonatologie au Grand-Duché affichent un taux de survie des nourrissons de plus de 98% pour le CHL et 100% pour la Clinique Bohler. Le taux moindre du CHL s’expliquerait surtout parce qu’il accueille les très grands prématurés. «Les bébés nés autour de 24 semaines de grossesse sont tellement petits et fragiles que souvent ils ne survivent pas. Leurs poumons, cœur et cerveau ne sont pas prêts pour assurer une survie en dehors de l’utérus malgré un traitement médical intensif», détaille une porte-parole du CHL. «Environ 5 bébés nés autour de 24 semaines sont admis à l’unité de soins intensifs de néonatologie au Luxembourg par an. Environ la moitié survit et certains auront des problèmes sérieux de motricité, d’apprentissage et de vision.»
L’aide médicale apportée aux parents de prématurés est en ceci excellente. Pour autant, ces mêmes parents se trouvent confrontés à une réalité sociale formatée pour les naissances à terme, n’intégrant ni d’éventuels soins supplémentaires ni la présence plus longue et nécessaire des parents. Concrètement, la prise en charge des soins médicaux par la Caisse nationale de santé (CNS) est la même que pour les naissances «normales». Le congé maternité, qui reste toujours de 20 semaines au maximum, peut laisser des parents face à des situations critiques : que faire quand l’enfant se trouve trop faible pour intégrer une garderie ou une crèche au-delà du congé de ses parents ? Les services d’une assistante maternelle pour garder l’enfant ne sont pas remboursés et une mère ne peut pas non plus demander un congé pour des raisons familiales tant qu’elle est en congé de maternité. La durée normale du congé pour raisons familiales peut être exceptionnellement prolongée et c’est le père qui devrait en faire la demande.
Une épreuve psychologique très dure
Au-delà des soucis médicaux et d’organisation, donner naissance à un bébé prématuré laisse souvent les parents dans un état de détresse. La maman de Yannis se souvient de la naissance de son fils à seulement 34 semaines : «Ce n’est pas un bon souvenir. Nous avons passé un mois au service de néonatologie. Je voulais voir mon fils, mais les infirmières ne voulaient pas que je prenne mon bébé dans mes bras, tout le monde était stressé, je me sentais complètement incomprise.»
Une maman de jumeaux nés à 35 semaines a particulièrement apprécié les bons conseils des infirmières et de la sage-femme, mais avait horreur de voir ses enfants immédiatement envahis par des sondes, électrodes et autres tuyaux : «On entend les bips du monitoring de son bébé et aussi des autres, on s’imagine que quelque chose ne tourne pas rond, c’est super stressant.»
La mère de Viola, qui a vécu tout cela il y a à peine quelques mois, était contente de rentrer avec sa fille à la maison : «Je suis allée voir Viola tous les jours pendant 5 semaines à la “néonat” pour faire du portage kangourou peau à peau nue. Même si le personnel est compréhensif et pédagogue, l’atmosphère est pesante, il y a beaucoup d’angoisse dans un tel endroit.»

Les infrastructures des maternités offrent plusieurs services spécifiques aux jeunes parents de prématurés (conseils, cours pédagogiques, vêtements adaptés aux plus petites tailles) et, depuis 2014, grâce à la petite prématurée Ella et sa grand-mère Sanne Lange, chaque prématuré peut serrer dans ses mains son Ocki, un doudou en forme de poulpe. Le toucher des tentacules est censé rappeler le cordon ombilical, un geste rassurant pour le nouveau-né qui retrouve une sensation déjà connue dans l’utérus. Tous les ans, Sanne Lange, entourée d’un club de mamies-tricoteuses, confectionne près de 350 Ocki qu’elle offre aux maternités de la Clinique Bohler et du CHL.
Pas d’association pour les parents de prémas ?
Malgré toutes ces actions, les parents souffrent du manque de partage d’expérience avec d’autres familles. L’ambiance à l’hôpital n’y est pas propice, comme le souligne la mère des jumeaux : «Nous ne parlions pas avec les autres parents, même si on partageait parfois la même pièce. On n’osait pas déranger, chacun avait ses propres soucis.»
À qui peuvent s’adresser les parents ?
REPORTER a pu trouver des associations où les parents peuvent demander de l’aide sous forme de cours et de consultations, même si aucune ne s’occupe exclusivement de prématurés :
– Initiativ Liewensufank
– Alupse Bébé
– Rééducation Précoce – Hëllef fir de Puppelchen (aide pour le nourrisson)
– Sipo (suivi pédagogique et thérapeutique du jeune enfant et de sa famille
Dans nos pays voisins, des associations, clubs, forums, journées de rencontre, pages sur les réseaux sociaux, etc. abondent, comme SOS-Préma en France ou Frühgeborene en Allemagne pour n’en citer que quelques-uns. Ce sont souvent des moyens de réassurance et de soutien pour surmonter cette épreuve et se préparer à l’avenir. Tel n’est pas le cas au Luxembourg. Aucune des personnes interviewées dans le cadre de cet article a pu nommer des associations de ce type. Anne Dahm, secrétaire de l’Association luxembourgeoise des sages-femmes ne peut qu’acquiescer : «Quand le travail de la sage-femme est fini, c’est-à-dire quand les parents ont profité des 10 jours de notre présence auxquels ils ont droit, ils tombent souvent dans un trou. Après il n’y a plus personne pour les aider, surtout quand il s’agit de prématurés où il faut parfois une surveillance particulière. Il faudrait des associations qui prennent le relais.»