Alors que 2020 s’annonce comme une année test pour le Green Deal européen, les Balkans s’étouffent dans le charbon. Le fléau s’aggrave d’année en année. Or, ce qui se passe aux portes de l’Union européenne et son impact au-delà des frontières n’est que rarement thématisé.

«Pendant des semaines les gens n’ont parlé que de cela. Une sorte de panique s’est répandue parmi la population», se rappelle Aleksandar Djordjevic qui vit à Belgrade, la capitale de la Serbie.

«Cela», c’est la pollution atmosphérique qui rend la respiration des Belgradois difficile, surtout en hiver, quand la ville est enveloppée dans un brouillard blanchâtre toxique. La capitale serbe se retrouve depuis quelques années dans le peloton de tête des villes les plus polluées du monde. «Quand il y avait du brouillard, on peinait à respirer,» dit ce Serbe de quarante ans. «Je pense que la qualité de l’air n’a pas trop changé depuis des années, mais les gens en parlent beaucoup plus aujourd’hui à cause de toutes ces applications mobiles qui listent les villes les plus polluées du monde….», croit-il.

Sur les sites et les applications spécialisées qui classent en temps réel les villes avec le pire indice de qualité de l’air dans le monde, tels que AirVisual, les capitales des Balkans comme Belgrade, Sarajevo, Skopje ou Priština se retrouvent régulièrement parmi les villes les plus polluées.

Qualité de l’air et qualité de vie

Les causes sont multiples: parcs automobiles vétustes, manque de transports en commun, industries et surtout le chauffage domestique au bois ou au charbon. Certains foyers les plus défavorisés brûlent même des déchets ou pneus pour se réchauffer. De même, la géographie y joue pour beaucoup: Sarajevo, Skopje et Priština sont entourées par les montagnes qui empêchent la pollution de se disperser. Mais il y a aussi des centrales au lignite, un charbon brun particulièrement polluant, dont la technologie est obsolète et qui émettent des particules nocives dans l’atmosphère.

En 2016, les 16 centrales à charbon de la région ont émis plus de pollution au dioxyde de soufre que l’ensemble de centrales à charbon européennes.“

«Il est difficile d’estimer avec précision à quel point ces centrales au lignite contribuent à la pollution atmosphérique dans des villes parce qu’une telle analyse des particules n’a jamais été faite», explique Pippa Gallop, chercheuse de Bankwatch. Bankwatch est un réseau international d’ONG qui dénonce les impacts environnementaux et sociaux des décisions financières internationales. Gallop a écrit plusieurs rapports sur le secteur du charbon dans les Balkans. «Certes, pour les hommes politiques, il est plus facile de simplement dire que c’est la faute au chauffage à domicile et aux voitures et ainsi rejeter toute la responsabilité sur la population», dit Gallop.

Un clin d’oeil à une déclaration récente du président de la Serbie, Aleksandar Vučić, qui a dit, lors d’une conférence de presse le 15 janvier que «la qualité de l’air s’empire au mesure que la qualité de vie [en Serbie] s’améliore.» Pour lui, la faute en est aux citoyens qui utilisent trop leurs voitures.

Pippa Gallop, quant à elle, explique que les centrales à charbon n’y sont pas pour rien. «La pollution des centrales à charbon ne se limite pas au périmètre de l’installation», dit-elle.

Centrales à charbon problématiques

Si la pollution atmosphérique générée par l’exploitation du charbon n’est pas l’apanage des Balkans, c’est bien dans cette région que se trouvent les centrales au charbon les plus polluantes d’Europe. 16 centrales au charbon obsolètes, toutes construites à l’époque de la Yougoslavie socialiste, menacent la santé publique de la population en produisant d’énormes quantités de particules nocives.

«En 2016, les 16 centrales à charbon de la région, totalisant 8 GW, ont émis plus de pollution au dioxyde de soufre que l’ensemble de centrales à charbon européennes (250 équivalant à 156 GW)», note le rapport de l’Alliance pour la santé et l’environnement (HEAL), une ONG militant pour un environnement plus propre, publié en 2019. Selon le même rapport, les émissions nocives provoquent 3.000 décès prématurés, 8.000 cas de bronchite chez les enfants et d’autres maladies chroniques.

Une responsabilité de la population entière: Le trafic à Belgrade pendant l’heure de pointe. (Photo: Shutterstock.com)

Or, les particules polluantes ne s’arrêtent pas aux frontières: elles parcourent de longues distances et touchent bien des pays de l’Union européenne. Le rapport de HEAL souligne que les pays voisins comme la Roumanie, l’Italie, la Hongrie, la Bulgarie ou la Croatie sont les plus impactés. Mais les émissions atteignent aussi les pays plus éloignés comme la Pologne, l’Allemagne, la République tchèque et l’Autriche.

Pollution et réchauffement climatique

Les centrales à charbon contribuent aussi au réchauffement climatique. Un rapport publié en janvier 2020 par Sandbag, une ONG qui milite contre le réchauffement climatique, a révélé que les pays de l’UE importent de plus en plus l’électricité de l’extérieur de l’UE. Souvent, cette électricité est produite avec du charbon, dans des pays que dans le rapport on surnomme le «paradis du carbone offshore» comme la Turquie, l’Ukraine, le Maroc et les Balkans occidentaux.

Le Green Deal ne peut pas s’arrêter aux frontières de l’UE.“Janez Kopač, Secrétariat de la Communauté de l’énergie

En décembre 2019, la nouvelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait promis un „Pacte vert“ européen. Parmi les priorités de Green Deal figure aussi une décarbonation complète de l’électricité d’ici 2040.

«Les centrales à charbon aux portes de l’UE représentent donc un défi de taille pour la Commissaire. Le Green Deal ne peut pas s’arrêter aux frontières de l’UE», estime Janez Kopač, directeur du Secrétariat de la Communauté de l’énergie, une institution basée à Vienne qui regroupe les membres de l’UE et plusieurs pays voisins afin de créer un marché intégré de l’énergie.

«En tant que Secrétariat, nous estimons qu’il faudrait introduire une taxe sur l’importation de cette énergie sale pour dissuader les pays d’en importer et d’en vendre», explique-t-il.

Une tradition difficile de changer

En 2005 déjà, les pays des Balkans occidentaux ont signé le traité instituant la Communauté de l’énergie qui les oblige à respecter la législation de l’UE en matière de la lutte contre la pollution. La transition vers une énergie propre est pourtant retardée dans la région entière. Car, dans les Balkans, le charbon aussi fait vivre.

Dans ces pays où le taux de chômage reste élevé et les investissements se font rares, l’extraction du charbon dans les mines fait travailler les gens. La décarbonation de leur économie constitue donc un grand défi. Les hommes politiques défendent le secteur du charbon en disant que beaucoup de familles vivent directement ou indirectement du charbon. D’aucuns encouragent même de nouveaux investissements qui généreraient des postes de travail supplémentaires.

Si désormais les banques européennes n’investissent plus dans des projets utilisant le charbon, les banques chinoises ne s’en privent pas. Depuis le lancement de son initiative de ‘la ceinture et la route’ (Belt and Road initiative) Pékin a renforcé sa présence dans les Balkans, notamment dans l’industrie du charbon, domaine d’excellence de la Chine.

Financement chinois et nouvelles perspectives

Trois accords de financement sont signés jusqu’à présent par les banques chinoises et les gouvernements locaux pour la construction de nouvelles centrales au lignite dans la région (une centrale en Bosnie, Stanari, a déjà été construite, alors que deux autres, en Serbie et en Bosnie, sont en cours). D’autres projets ont été annoncés depuis.

Une enquête de Bankwatch publiée en 2018 a révélé cependant que le secteur de charbon a créé moins d’emplois que prévu dans les Balkans. «De même, des contrats signés avec les Chinois stipulent souvent qu’une partie de la main d’oeuvre embauchée dans la construction des centrales viendra de Chine», ajoute Pippa Gallop de Bankwatch.

Gallop croit que, pour contraindre les hommes politiques locaux à mettre fin au développement de l’industrie de charbon, il faut trouver un moyen de couper le financement. Elle évoque le bon exemple du Monténégro:  «Il y a quelques années, le gouvernement du pays voulait y construire une nouvelle centrale à charbon, mais finalement ils n’ont pas obtenu de prêt bancaire. Depuis, le discours sur l’énergie a complètement changé. Aujourd’hui ils voient l’avenir du pays dans les énergies renouvelables», dit-elle