Le ministre des Finances est revenu sur un aménagement de la loi sur les statuts du Conseil de protection des déposants et des investisseurs. L’ABBL va pouvoir renoncer à un des plus importants mandats de la place financière, ce qui arrange bien son directeur général Yves Maas.
Pierre Gramegna aura tout fait, en vain, pour permettre au directeur général de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) d’avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. Yves Maas, CEO de l’importante organisation patronale et président du conseil d’administration de Crédit Suisse Luxembourg, pourra cumuler ses deux mandats, a priori incompatibles.
Le poste de directeur général de l’ABBL, que Maas occupe depuis la fin 2019, ouvre des mandats dans d’autres organisations et institutions de la place financière: Conseil de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et Conseil de protection des déposants et investisseurs (CPDI), ce dernier étant l’organe qui gère le Fonds de garantie des dépôts (FGDL) en cas de défaillance d’un établissement.
Embrigadé malgré lui
Yves Maas n’a pas pu occuper le siège au conseil de la CSSF en raison du conflit d’intérêts que sa position au sein d’une banque faisait peser, le Crédit suisse tombant sous la surveillance du régulateur. La place est occupée depuis le 1er janvier 2021 par Catherine Bourin, membre du comité de direction de l’ABBL en charge notamment de la finance durable.
Le dirigeant de l’ABBL n’a toutefois pas pu faire autrement que d’être embrigadé, un peu malgré lui, dans le CPDI en début d’année, après avoir laissé la main à son prédécesseur Serge de Cillia qui a dû jouer les prolongations pendant près d’une année, alors que ce dernier avait été limogé de la tête de l’organisation patronale.
La loi du 18 décembre 2015 ayant créé le CPDI et le FGDL ne prévoit aucune dérogation qui permette une suppléance. La place au conseil revient obligatoirement au directeur général de l’organisation patronale.
La représentation de l’ABBL au sein du FGDL fut bénéfique dans le cadre de sa mise en place et pour le démarrage de ses missions, alors qu’aujourd’hui cette représentation n’est plus estimée opportune.»Amendement gouvernemental, 18 février 2021
Or, l’arrivée de Maas, avec sa double casquette ABBL et Crédit Suisse, fait désordre et pose un vrai problème de gouvernance du Fonds de garantie des dépôts. Car en cas de sinistre, le fonds a accès aux informations des clients lésés d’une banque concurrente.
Lex Maas, deuxième
Pour contourner la difficulté, le ministre des Finances a fait fin juillet 2020 une première tentative pour changer la loi. Pierre Gramegna a en effet profité de l’occasion d’une transposition de directive financière très technique pour autoriser un downgrade à «un représentant de l’Association des banques et banquiers Luxembourg» au CPDI, au lieu de son directeur général. Il s’agissait très clairement d’une «lex Maas»: «Dans un souci de pallier les éventuelles contraintes découlant des règles régissant la composition du Conseil de protection des déposants et investisseurs, il est précisé que l’ABBL ne doit pas nécessairement être représentée par son directeur général», se justifiaient alors les services du ministère des Finances.
Ayant rencontré une sérieuse résistance, notamment au niveau politique, la démarche du ministre libéral a échoué. Pour autant, Pierre Gramegna ne renonce pas comme en témoigne le discret amendement apporté le mois dernier au projet de loi 7638. Cette initiative s’apparente à un sauvetage en faveur de Maas pour éviter à ce dernier d’avoir à choisir entre diriger le plus grand lobby patronal du Luxembourg ou présider la banque Crédit Suisse (et les émoluments qui vont avec ce mandat).
Plutôt que de contourner le problème de gouvernance, le ministre le supprime, à la demande des banquiers, par un subtil amendement.
Perte d’influence
Ainsi, le poste de l’ABBL au sein du CPDI disparaît du dispositif légal. «La représentation de l’ABBL au sein du FGDL fut bénéfique dans le cadre de sa mise en place et pour le démarrage de ses missions, alors qu’aujourd’hui cette représentation n’est plus estimée opportune. Dans le sillage du projet de loi n.7638, l’ABBL a en effet signalé qu’elle souhaite mettre fin à sa participation au comité de direction du FGDL», note l’amendement gouvernemental.
Le Conseil d’Etat a pris acte de ce renoncement dans son avis complémentaire du 23 mars, sans le commenter.
«L’ABBL lâche une partie importante de son pouvoir de lobbying sur la régulation du secteur financier», constate un opérateur du milieu bancaire. «Cette perte d’influence, ajoute-t-il, va de pair avec un affaiblissement de la voix de l’ABBL et de ses dirigeants. Nicolas Mackel de l’agence Luxembourg for Finance se fait de plus en plus le porte-parole du secteur, y compris sur des sujets qui ne le regardent pas».