Comment garder ses distances tout en préservant le lien social? C’est le casse-tête auquel ont dû répondre les associations depuis le début de la pandémie. Dans le quartier de Gasperich à Luxembourg, certaines se battent pour continuer. D’autres attendent des jours meilleurs.
«C’est qui, là?» Au FC Tricolore, on ne plaisante pas avec le protocole sanitaire. À mon arrivée au Stade Emile Bintner de Gasperich, l’accueil de l’entraîneur de foot est un peu rude. Jean-Marie Mossong, l’inamovible président du FC Tricolore, le rassure: «Ça va… c’est une journaliste qui vient pour une interview». Les joueurs et les professionnels sont autorisés à entrer dans l’enceinte. Pas les familles. «L’autre jour, il y avait un grand-père avec qui ça a chauffé. Il était venu accompagner son petit-fils et ne comprenait pas qu’il devait rester à la porte. On doit être strict, sinon on ne s’en sortira pas», se justifie le responsable.
Environ 140 jeunes et 60 seniors s’entraînent chaque semaine au FC Tricolore sur un terrain et demi, qui couvre une surface de 1,5 hectares rue Jacques Stas. D’ici début mai sera inauguré un demi-terrain supplémentaire, gagné sur le site décontaminé d’une ancienne usine de goudron. Les effectifs de ce club fondé en 1919 ont plus que doublé ces dix dernières années. La pandémie n’a pas freiné sa croissance, portée par le développement urbanistique du quartier.
Antoine, un ado qui court depuis son plus jeune âge sur ce terrain, est toujours aussi motivé à défendre les couleurs du FC Tricolore. «J’espère que les matchs vont pouvoir reprendre!», dit-il. Depuis un an, le championnat et les tournois sont annulés. Il n’a que deux entraînements par semaine au lieu de trois. «Au début, c’était moins motivant mais maintenant, ça va». Il s’entend bien avec le nouvel entraîneur, arrivé en renfort pour gérer des groupes de maximum 15 joueurs. Comme lui, la plupart des licenciés des huit équipes de jeunes, de 5 à 18 ans, tiennent bon.
Chômage technique à la buvette
Seuls une dizaine de seniors ou vétérans ont renoncé à venir, pour des raisons liées à la pandémie, indique Jean-Marie Mossong: «Certains clubs ne font plus rien, car ils ont peur du virus, mais pour nous, c’est très important de garder l’esprit d’équipe». En 2020, l’équipe première du club a été stoppée en plein élan. Elle était troisième du championnat de troisième division, où elle est reléguée depuis 2015, quand tout s’est arrêté.
De l’autre côté de la rue Stas, le Tennis Club Gasperich tourne lui aussi à plein régime. La balle jaune connaît un rebond. «Le tennis est un sport que l’on peut continuer à pratiquer alors que beaucoup d’autres activités sportives d’intérieur sont stoppées ou restreintes», observe Paulette Rich, la vice-présidente et figure historique de ce club fondé en 1984. L’association a été boostée par la construction de deux terrains couverts, en plus des trois terrains extérieurs, et la proximité du quartier d’affaires de la Cloche d’Or. Elle affiche 260 adhérents et une centaine d’élèves inscrits à des cours désormais limités à quatre personnes maximum.
Les finances en revanche ont été plombées par les mesures sanitaires qui ont renchéri les frais de fonctionnement, le couvre-feu à 23 heures qui a diminué de deux heures les possibilités de réservation des terrains, mais aussi la fermeture de la buvette, épicentre de la vie du club pendant les tournois ou le championnat. Au premier étage du club house, la terrasse désertée fait triste mine en attendant un hypothétique redémarrage des compétitions.
Le défi de la «normalité»
Jongler entre rigueur sanitaire et convivialité, c’est tout le défi à la Maison des Jeunes de Gasperich, installée depuis 2003 rue Tony Bourg, au cœur de la cité de la Sauerwiss. Elle y occupe désormais trois locaux aux pieds des immeubles. L’un d’eux était un ancien salon de coiffure. Des tablettes équipées d’ordinateurs sont fixées au mur. Un billard, un baby-foot, un canapé et un coin cuisine complètent le mobilier.
C’est là que je retrouve Heydan, 13 ans, bientôt rejoint par Mathilde et Marcia, 12 ans. Celles-ci «checkent» du poing les éducatrices et leur camarade avant de noter leur nom sur une fiche. Ces ados se sentent ici «comme à la maison». Ils entrent ou sortent du local sans contrôle, mais on doit pouvoir les joindre s’ils sont «cas contact».

En un an, on a enregistré à la Maison de Gasperich deux jeunes testés positifs, mais il n’a jamais été question de fermer: «Après les trois mois d’arrêt au début de la pandémie, on a tous compris qu’il était important de rester ouvert. C’est comme pour l’école. Nous voulons essayer d’apporter une certaine normalité dans la vie de ces jeunes», observe Virginie, l’une des responsables de l’association Inter-Actions qui coiffe la structure.
Covid oblige, les cours de danse et de krav-maga ont été supprimés. L’association a investi dans le jeu «Just Dance» pour console Wi. Heydan adore. Il n’est pas le seul. On se l’arrache. Il a fallu aussi renoncer aux activités de cuisine. Ce qui a laissé le temps pour mettre sur pied un projet de rénovation de l’un des locaux et de tourner un reportage vidéo dans le quartier pour voir comment les voisins vivent la pandémie. «L’idée, c’est qu’ils restent actifs», souligne Rita, l’une des éducatrices.
Une vingtaine de jeunes – sur les quelque 500 membres de 11 à 25 ans inscrits – passent chaque jour dans ce «lieu d’ouverture et de socialisation». Ils étaient entre 30 et quarante à venir régulièrement avant le début de la pandémie. «Les parents d’une dizaine d’enfants craignent une contamination et ne veulent plus qu’ils passent», regrette Virginie.
Quand le Covid donne le tempo
À un jet de pierre de là, au 8 place Sauerwiss, le retour à la normalité ne semble pas encore à l’ordre du jour pour la section locale de l’Amiperas, qui réunissait avant la pandémie une vingtaine de personnes âgées chaque jeudi dans le local mis à disposition par la ville. La dernière fois qu’elle s’est réunie, c’était pour une remise de bouquets d’anniversaire à deux personnes de 80 et 85 ans. «On ne fait plus rien depuis un an», indique la secrétaire, Liliane Didier. Comment les 80 membres de sa section vivent-ils la pandémie? «Cela dépend des gens». Sans plus de commentaire. Au sein de cette population particulièrement vulnérable, chacun se débrouille comme il peut.
L’Harmonie Municipale Luxembourg-Gasperich de son côté fonctionne, mais à vitesse réduite. Les membres se sont familiarisés avec les outils de communication moderne qui pallient l’impossibilité de se réunir. Cette année, l’assemblée générale ordinaire de l’association, qui réunit 150 membres et une vingtaine de musiciens, s’est déroulée sous un format hybride mêlant présentiel au sous-sol du Centre Sociétaire, rue Rossini, et plate-forme Zoom. «C’est une drôle d’impression d’être ici sans les membres et face à la caméra», observe le secrétaire, Claude Glesener, avant de présenter un rapport annuel 2020 plombé par l’annulation de 10 manifestations. Le gala anniversaire des 60 ans de l’Harmonie, reporté d’avril à octobre, s’est joué devant un public limité à 100 personnes, sans agapes à la fin. Pas vraiment festif. «Mais au moins on a pu jouer, ce qui n’est pas le cas de l’autre côté de la frontière», observe le directeur musical originaire de Metz, Lionel Valeri.
«On essaie de rester en contact visuellement», m’explique la présidente, Marianne Degregori. Trois projets de Stay Home Vidéo – de la musique jouée et filmée individuellement, puis mixée dans un collage – ont vu le jour. Mais les musiciens aimeraient une reprise en «live». «Pour l’instant, il ne peut y avoir que trois musiciens avec le chef. Mais ça, ce n’est pas une répétition!», lance Claude Glesener. Felix, un jeune trompettiste qui affiche comme fond d’écran Zoom une photo d’un concert de l’Harmonie, plaide pour l’organisation de cours en solo avec le chef. Les responsables prennent note pour y réfléchir. Mais jusqu’à nouvel ordre, c’est toujours le Covid qui donne le tempo.
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Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich au Luxembourg est au carrefour du monde globalisé dans lequel nous vivons, tout en ayant l’échelle et l’organisation d’un village. Comme le reste du monde, il vit désormais à l’heure du coronavirus.

