La commune de Betzdorf se voit contester en justice le droit de préemption qu’elle a fait valoir sur des terrains encore agricoles. Les édiles ont pourtant pris toutes les précautions pour éviter qu’un grand projet de logements à proximité de la gare soit compromis.

Le bourgmestre de Betzdorf a remporté une première manche dans le litige qui oppose sa commune à des particuliers autour de l’achat de trois parcelles de terres agricoles qui jouxtent actuellement le périmètre d’agglomération et qui pourraient y être intégrées à plus ou moins long terme. Deux frères ont saisi le tribunal administratif en août pour faire annuler la décision du conseil communal de Betzdorf, prise un mois plus tôt, d’exercer un droit de préemption sur 71,80 ares.

Les plaignants avaient acquis les terrains pour 120.000 euros à une société, mais comme le veut la loi sur le Pacte logement, le notaire avait notifié la vente à la commune avant que l’acte devienne définitif. Betzdorf avait alors fait valoir son droit de préemption sur les parcelles pour un prix identique.

Parallèlement à leur recours au fond, les plaignants ont demandé au juge un sursis à l’exécution du droit de préemption. Cette mesure provisoire, en attendant que l’affaire soit tranchée, a été rejetée le 24 septembre par le président du tribunal administratif, Marc Sunnen. Le juge a estimé que le caractère grave et irréparable du préjudice allégué n’avait pas été établi.

Recours inédit

C’est la première fois qu’une mesure d’urgence a été demandée dans le but de geler une décision de préemption d’un bien immobilier.

La procédure n’a pas abouti, car la loi ne permet pas à un acheteur évincé de saisir le juge de référés entre la notification par le notaire de la décision de préemption par une commune ou un organisme public et la signature du contrat de vente. Or, cette faculté d’engager un recours en référé est ouverte en matière de marché public où une période de «standstill» est prévue. Pour Marc Sunnen, «il s’agit manifestement d’une lacune à laquelle le pouvoir législatif devrait remédier, et ce tant dans l’intérêt de l’acquéreur que du pouvoir préemptant».

Nous n’avons pas exercé le droit de préemption parce que nous en avions envie, mais parce qu’il y avait derrière un raisonnement et un projet de logements qui font du sens. »Jean-François Wirtz, bourgmestre de Betzdorf

Pour justifier leur recours, les deux frères ont dit vouloir reconstituer le patrimoine foncier qui avait été dans la famille pendant 250 ans avant d’être partiellement dispersé à la suite d’une succession. Le juge de référés a toutefois considéré que l’exercice du droit de préemption, ayant pour objectif la création de logements dans un contexte de pénurie, ne pouvait pas être entravé par la seule volonté de particuliers de vouloir reconstituer un patrimoine immobilier ayant jadis appartenu à leur famille. D’autant qu’aux yeux du magistrat, il apparaissait clairement que la volonté par les deux frères d’acquérir des terres agricoles dissimulait à peine des visées spéculatives.

En gestation depuis 2014

Le bourgmestre Jean-François Wirtz (LSAP), contacté par REPORTER, reste assez serein sur la suite de l’affaire. La décision d’acquérir les trois parcelles s’inscrit dans un projet de construction de logements que le conseil communal poursuit depuis 2014, sous la précédente mandature. «Nous n’avons pas exercé le droit de préemption parce que nous en avions envie, mais parce qu’il y avait derrière un raisonnement et un projet de logements qui font du sens», explique Wirtz.

En octobre 2014, le conseil communal avait approuvé à l’unanimité un avis relatif notamment au plan directeur sectoriel logement. Les édiles s’opposaient, pour des raisons de protection de l’environnement, à la réalisation d’un projet d’urbanisation d’envergure pour l’habitat à Roodt/Syre (qui fait partie de la commune de Betzdorf) et proposaient une alternative dans la localité de Betzdorf, sur des terrains à proximité de la gare ferroviaire et pouvant être reliés, via des pistes cyclables et des chemins pédestres à la zone audiovisuelle de Betzdorf où travaillent des centaines de personnes.

Des terrains situés dans cette future zone d’urbanisation ont été acquis par la commune à mesure qu’ils étaient mis sur le marché. Voilà pourquoi, le conseil communal a exercé, lorsque l’occasion s’est présentée, le droit de préemption sur les trois parcelles au cœur du litige.

Défaillances du Pacte logement

Le droit de préemption, qui octroie aux pouvoirs publics la priorité sur des terrains constructibles en vue de logements ou d’infrastructures d’intérêt général, a été malmené au cours des derniers mois. Le Fonds du Logement, promoteur public, et des communes ont vu l’exercice de ce droit remis en cause devant les juridictions administratives par des particuliers ou des promoteurs privés. Ces litiges ont pointé du doigt les défaillances du Pacte Logement et du droit de préemption, qui en est un des principaux instruments à la disposition des communes pour développer le logement à coût modéré.

Une réforme du mécanisme est sur l’agenda de la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding (LSAP). Ces changements devraient faciliter la construction par les communes de logements subventionnés pour lutter contre la crise de l’immobilier résidentiel, devenu inabordable pour de nombreux ménages.