Les femmes qui refusent la maternité se retrouvent face à une société qui les juge. Les raisons de ce choix sont très individuelles.

Pourquoi ne demande-t-on jamais à une femme pour quelles raisons elle veut un enfant, alors que systématiquement on demandera à une femme qui ne souhaite pas en avoir: «Tu ne penses pas que tu vas changer d’avis?», «C’est parce que tu ne peux pas en avoir?», «Mais t’aimes pas les bébés?»… Depuis toujours, la maternité est considérée comme une évidence dans la vie d’une femme, et ce dès son enfance. Être une femme sans être mère, et surtout si c’est un choix volontaire, est très souvent interprété comme une anomalie.

«Mais qu’est-ce qui a bien pu t’arriver de si grave pendant ton enfance pour que tu ne veuilles pas avoir d’enfants?» telle était la question qui a le plus choqué Diane. N’ayant jamais ressenti l’envie de donner naissance à un enfant, cette Luxembourgeoise de 37 ans a remarqué que pour la plupart des personnes il n’existe que deux raisons pour qu’une femme n’ait pas d’enfants: soit elle ne peut pas en avoir pour des raisons médicales, soit elle a un blocage psychologique qui serait dû à un traumatisme pendant son enfance. Autrement dit, il est difficile de concevoir qu’une femme en parfaite santé choisisse librement de ne pas avoir d’enfants.

Au Luxembourg: pas de mouvance «childfree»

Les motivations de ces femmes «childfree» sont généralement d’ordre privé. Cependant, certaines, surtout à l’étranger où existent des mouvements «childfree» ou «no kids», s’affichent en militantes en avançant des arguments d’intérêt général comme la protection de la planète. Ainsi, en Allemagne, Verena Brunschweiger dans son ouvrage «Kinderfrei statt kinderlos», incite-t-elle à faire moins d’enfants pour réduire l’empreinte carbone et récolte des avis très critiques sur son livre. D’autres auteurs s’emparent du sujet de manière plus philosophique comme Sheila Heti avec son ouvrage «Motherhood».

Et au Grand-Duché? Il s’agit d’un sujet passionnément discuté entre commères au coin des rues ou à la sortie de l’église, mais contrairement à d’autres pays, cela ne va pas plus loin: il n’existe pas d’étude comparative de la part de sociologues. Les Luxembourgeoises «childfree» préfèrent visiblement rester discrètes et ne pas claironner ce choix sur tous les toits. Pourquoi? Réponse d’une des femmes interviewées: «Soss gëtt erëm domm geschwat!» («Sinon ça va jaser!») Toutes les femmes qui ont témoigné dans le cadre de cet article, avouent qu’elles sont énervées par ce manque d’ouverture d’esprit et les injonctions de la société à procréer, mais qu’elles sont contraintes de s’y faire.

Ne faudrait-il pas s’intéresser à ces femmes qui refusent la maternité?

Contrairement à d’autres pays comme la France, ni l’Ilres ni le Statec ont fait des études ciblées pour savoir quel est le pourcentage de Luxembourgeoises qui sont nullipares par choix. Et pourtant, ce serait peut-être une étude intéressante à mener : malgré une augmentation relative de 4,8% de la population résidente, le ministère de la Santé, dans son rapport sur les naissances 2014-2015-2016 et leur évolution depuis 2001, observe une diminution du nombre d’accouchements de 2,2% au Grand-Duché sur les années 2014-2015-2016, par rapport aux années 2011-2012-2013. Le taux de fécondité a également baissé, passant de 1,77 enfant par femme en 2014 à 1,61 en 2016.

Quelles explications pour ce recul ? Est-ce parce que les Luxembourgeoises repoussent de plus en plus l’âge de concevoir un enfant (après 35 ans pour 28% des mères), rencontrant ainsi plus facilement des problèmes de fécondité ? À remarquer que le recours à un traitement de fertilité a donné 1075 naissances en 2016 contre 339 en 2014. Sans études ciblées, impossible de savoir dans quelle mesure ce recul global des naissances au Grand-Duché pourrait être lié à un refus volontaire de maternité.

Quelles motivations?

Claudia, 24 ans, n’hésite pas à assumer sa vision «égoïste» comme elle dit, pour justifier son envie de rester sans enfant: «Je souhaite voyager et profiter de ma vie, avec un enfant ce serait incompatible.» Pour cette jeune femme, en couple depuis plusieurs années, il faudrait faire trop d’efforts financiers et de sacrifices pour élever un enfant correctement au Luxembourg «où rien n’est fait pour faciliter la vie d’un jeune couple».

Pour Abby, 21 ans, c’est le fait d’être enceinte et les neuf mois de grossesse qui sont inimaginables. Depuis l’âge de 16 ans cette jeune femme affirme que sa pire crainte est de tomber enceinte par accident. Même si elle est encore très jeune, elle est sûre qu’elle ne changera pas d’avis. Comme la plupart des femmes interviewées dans le cadre de cet article, non seulement elle dit vouloir avorter si elle tombait enceinte, mais en plus elle s’est déjà renseignée sur la stérilisation. Cet acte médical, qui ne doit pas être considéré comme un moyen de contraception selon le Dr. Robert Lemmer, coûte près de 5000 euros au Luxembourg. Il n’est pas remboursé par la CNS et reste essentiellement réservé à des femmes pour lesquelles une grossesse aurait des conséquences graves sur leur santé.

Ne pas vouloir déroger à son train de vie, ni chambouler ses habitudes ou son corps, voilà des motivations qui paraissent individualistes et qui sont souvent pointées du doigt par la société. «À mon avis, c’est l’expression d’un regret de ne pas avoir eu la force de dire NON!», commente une des femmes interrogées.Elle reçoit les critiques les plus véhémentes de la part de mères de famille.

Des motivations plus recevables ?

Et si ne pas faire d’enfants était une solution pour éviter une vie malheureuse ou un avenir incertain à un nouvel être humain? Et si c’était tout sauf une décision «égoïste»? Selon Joëlle Schwinnen, responsable des relations publiques au CID «Fraen a Gender», on peut effectivement s’interroger si de nos jours, avec tout ce qui se passe dans le monde, ce ne serait pas «irresponsable et égoïste de vouloir à tout prix mettre un enfant au monde». «Et pourquoi faut-il forcément élever son propre enfant, et non pas s’occuper d’un enfant orphelin?», demande-t-elle. Le CID « Fraen an Gender » avait réalisé en 2016 une conférence avec l’auteure du livre „Die Uhr die nicht tickt– Kinderlos glücklich“, une rare initiative de ce type dans le pays.

Jill, âgée de 28 ans, n’a jamais réellement écarté le souhait de devenir mère. Pour elle, l’état alarmant de la planète et la situation économique qui ne présage rien de bien, la poussent à refuser d’engendrer un être supplémentaire sur cette terre et préférer éventuellement adopter un enfant. Ne pas faire d’enfant pour protéger l’environnement, voilà une idée hautement sensible qui irrite les esprits, la preuve: la polémique en octobre 2018 déclenchée par un tweet de l’Agence France Presse (AFP). Il relayait un résultat d’analyses scientifiques, sous forme d’infographie, qui disait que «avoir un enfant en moins» est le moyen le plus efficace pour réduire son empreinte carbone.

Tessy, autre jeune Luxemboureoise, ne souhaite pas avoir d’enfants pour éviter de reproduire les erreurs de ses parents : « Aussi bien mon copain que moi-même, nous avons vécu le divorce de nos parents, nous n’avons pas envie de courir le risque d’imposer cela un jour à un enfant. » Cette jeune femme, en couple depuis 6 ans, semble déterminée dans son choix, puisqu’elle estime que si jamais son copain changeait d’avis et découvrait son instinct paternel… elle le quitterait. Pour elle, comme pour les autres femmes interrogées, cette décision leur appartient. Ni leur entourage, ni l’amour ne pourraient les faire fléchir.

Si les femmes choisissent aujourd’hui de ne pas avoir d’enfants, c’est aussi parce qu’elles ont un rôle dans la société qui dépasse celui de mère de famille. Femmes actives, elles décident de leur destin. Pour certaines, elles n’ont ni le temps, ni l’envie ou les moyens de rester à la maison pour s’occuper des enfants et cherchent un épanouissement par d’autres moyens, notamment la carrière professionnelle. Si ne pas avoir d’enfants est aujourd’hui stigmatisé, c’est aussi parce que cela était encore inconcevable deux générations plus tôt. Le mode de vie des femmes a tout simplement changé.