C’est à quelques kilomètres de la frontière de l’UE, en Bosnie-Herzégovine, que les migrants dorment actuellement dans des tentes qui prennent l’eau, à même le sol. Peu nombreux sont ceux qui ont un sac de couchage ou une couverture épaisse. «On a froid pendant la nuit», dit Anwar Ullah, enveloppé dans une couverture qu’il ne lâche pas une seconde.
C’est sur une ancienne décharge de produits chimiques, sans accès à l’eau courante ni à l’électricité, que quelque 800 migrants vivent en Bosnie-Herzégovine, à quelques kilomètres de la frontière de l’Union Européenne. Bouteilles vides, restes de nourriture, emballages et autres déchets sont parsemés au milieu des tentes et des abris improvisés. En cette après-midi de début novembre, de petits groupes de quatre ou cinq personnes se sont regroupés autour d’un feu pour se réchauffer un peu.
Le campement de Vučjak est surnommé «la jungle» par ses habitants. «Ici, ce n’est pas un endroit pour les êtres humains, c’est pour les animaux», commente Anwar Ullah Mengal. Anwar est arrivé en Bosnie-Herzégovine depuis le Pakistan où ses parents et ses sept sœurs vivent encore. Il espère arriver jusqu’en Belgique, y continuer ses études et trouver un travail. «On m’a dit que la Belgique était un pays bien», dit-il. Or, cela fait déjà plus de quinze jours qu’il se trouve bloqué dans le campement de Vučjak, accolé à la frontière croate.
Des camps surchargés
Aujourd’hui, quelque 7.000 migrants, la plupart d’entre eux Pakistanais, Afghans ou Irakiens, se trouvent coincés en Bosnie-Herzégovine. Ce petit pays des Balkans d’environ 3,5 millions d’habitants s’est retrouvé sur la route migratoire vers l’Europe de l’Ouest depuis que la Croatie et la Hongrie ont renforcé leur présence policière à la frontière qui les sépare de la Serbie voisine. Depuis janvier 2018, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a enregistré le passage de quelque 50.000 migrants.
La plupart d’entre eux souhaitent rejoindre l’Allemagne, la France ou la Belgique et, à l’instar d’Anwar, se retrouvent bloqués dans le canton d’Una-Sana, dans le nordouest de la Bosnie, principalement dans les villes de Bihać et Velika Kladuša, tout près de la Croatie. Depuis fin 2018, l’Organisation internationale pour les migrations, y gère quatre camps, mais le nombre de places y est limité.

Ceux qui n’ont pas trouvé de lit dans un des camps officiels et qui n’ont pas pu se payer une chambre chez l’habitant, ont fini par squatter des bâtiments désertés de la ville ou bien dorment dans les espaces publics.
Les migrants craignent l’hiver et la police croate
En juin, les autorités locales ont désigné le site de Vučjak, situé à quelque 8 kilomètres de la ville de Bihać, comme le nouveau camp d’accueil, malgré les avertissements de l’OIM, des Nations Unis et de l’UE qui ont jugé les conditions dans le camp «inappropriées» à l’accueil de personnes.
«Etant une ancienne décharge, le site présente des risques pour la santé des personnes qui y habitent. Potentiellement il y a encore du méthane au sous-sol : ce combustible inflammable pourrait conduire à un incendie», explique Peter Van Auweraert, représentant de l’Organisation internationale pour les migrations en Bosnie-Herzégovine. De plus, la forêt voisine est truffée de mines antipersonnel, restées là depuis la guerre de Yougoslavie dans les années ’90.

En dépit des avertissements, mi-octobre, les autorités locales ont annoncé que «tous les migrants se trouvant dans des hébergements non-officiels, des squats ou tout simplement dans l’espace public seraient envoyés dans le camp de Vučjak». Selon eux, l’objectif de cette mesure était d’éviter des problèmes tels que la mendicité, le vagabondage et les cambriolages.
Fin octobre, la situation dans le camp est désastreuse. Les toilettes chimiques installées dans le camp sont inutilisables. Il n’y a pas de douches: pour pouvoir faire sa toilette, tant bien que mal, la plupart des réfugiés se lavent dans une rivière proche. De nombreux migrants ont la gale alors même que Vučjak ne dispose pas de poste de santé. Une clinique mobile, gérée par Médecins sans Frontières, a récemment été installée dans le village de Zavalje, à un kilomètre du camp.
On ne peut pas laisser les gens dormir dehors, quelqu’un va finir par mourir!“Peter Van Auweraert, OIM
A Vučjak, les migrants dorment actuellement dans des tentes qui prennent l’eau, à même le sol. Peu nombreux sont ceux qui ont un sac de couchage ou une couverture épaisse. «On a froid pendant la nuit», dit Anwar Ullah, enveloppé dans une couverture qu’il ne lâche pas une seconde, histoire de se réchauffer un peu. Et de renchérir: «Dormir dans une de ces tentes, c’est comme si on dormait dehors».
Avec l’hiver, la situation risque de s’empirer
La seule organisation humanitaire présente sur place est la Croix-Rouge locale. Chaque jour, ses bénévoles essaient de pallier aux besoins humanitaires des habitants de Vucjak : ils fournissent deux repas quotidiens et distribuent des vêtements ou couvertures qu’ils reçoivent en don. «Nous sommes au bout du rouleau», confie Adnan Kurtegić, un des bénévoles de la Croix-Rouge dans le camp. «Je ne veux même pas penser à ce qui arriverait si les camps officiels fermaient».
Or, sa crainte n’est pas infondée. Les propriétaires des bâtiments où se trouvent les plus grands camps officiels, Bira et Miral, ont annoncé à l’OIM que ils ne voulaient pas prolonger leurs contrats de locations. La décision serait prise sous la pression des autorités locales qui espèrent ainsi provoquer une réaction en haut lieu et faire ouvrir de nouveaux camps loin de leur région.
Les autorités de Sarajevo ont en effet annoncé qu’un nouveau site serait bientôt choisi pour y installer une structure d’hébergement des réfugiés. Peter Van Auweraert de l’OIM estime qu’il est désormais trop tard. «Plus de 1500 personnes sont actuellement hébergées à Bira et quelque 750 à Miral. Même si on trouve un nouveau site demain, on ne devra pas fermer Bira et Miral, les deux camps officiels. L’hiver approche et les températures par ici descendent jusqu’à moins dix. On ne peut pas laisser les gens dormir dehors, quelqu’un va finir par mourir!», s’indigne-t-il.
Les renvois violents de la police croate
Quant aux migrants, qu’ils se trouvent à Vučjak ou dans des camps officiels, ils espèrent bien réussir à passer la frontière croate avant que les neiges hivernales ne tombent. La majorité d’entre eux ont déjà tenté de passer plusieurs fois, mais en vain. Ils se plaignent d’avoir été repoussés en Bosnie par la police croate.
A Vučjak, Mohammad Amir Khan, originaire du Pakistan, se presse à nous montrer son dossier médical fait par Médecins sans frontières dans lequel on raconte sa violente rencontre avec la police croate en détail. Il aurait été battu et forcé à rester dans l’eau froide d’une rivière pendant une demi-heure. La police aurait aussi brûlé ses vêtements et ses documents avant de le renvoyer en Bosnie.
«Ils traitent mieux les chiens par ici, que les êtres humains», se plaint Gulam Amiri d’Afghanistan, logé dans le camp Bira. Il montre une blessure au niveau de genoux, un souvenir douloureux de sa rencontre récente avec la police croate. Il raconte avoir été arrêté à la frontière entre la Slovénie et la Croatie avec une dizaine d’autres migrants. La police les aurait fait entrer dans une camionnette, puis y aurait jeté du gaz lacrymogène avant de refermer la camionnette. Ensuite, les migrants auraient été battus puis renvoyés en Bosnie.
Les témoignages qui font état de renvois forcés et de la violence de la police croate sont légion parmi les migrants en Bosnie. Coups, destruction des smartphones et des documents, mais aussi racket, l’image donnée n’est pas reluisante. Les mauvais traitements infligés aux migrants par la police sont régulièrement dénoncés par de nombreuses organisations internationales présentes sur place. Malgré cela, la Commission européenne a annoncé le 22 octobre que la Croatie «était apte à rejoindre l’espace Schengen».