Maux de ventre, palpitations, insomnies, crises d’angoisse: Pour certains enfants, l’école est une source de souffrance. Si la cause du harcèlement est de plus en plus évoquée dans les médias, celle liée au système scolaire et ses exigences reste encore méconnue.
«Quand ça a commencé, Sahli n’avait que 8 ans. Au début, elle n’avait plus envie de faire ses devoirs, puis elle a eu des troubles du sommeil. Elle pleurait beaucoup, ne voulait plus aller se coucher le soir et vomissait quand elle était à l’école», raconte sa maman Stefanie. Sahli est pourtant ce qu’on appelle une bonne élève, très appliquée et enjouée, mais la petite fille va changer son comportement.
«J’aimais bien ma maîtresse, mais sa façon de faire et la manière dont les choses se passaient à l’école me faisaient souffrir», raconte la fille âgée aujourd’hui de 12 ans. Un sentiment profond d’injustice quand les mauvais élèves sont mis l’écart, l’impossibilité de pouvoir exprimer son avis quand elle n’est pas d’accord ou l’obligation de rester assise sur une chaise pendant des heures, sont autant de frustrations à l’origine de cette souffrance.
«Un jour, elle est revenue de l’école en pleurs. Elle courait dehors et sa maîtresse lui a demandé de mettre sa veste. Elle lui a simplement dit qu’elle n’avait pas froid, mais l’enseignante a insisté encore et encore la menaçant de lui donner des devoirs en plus», raconte sa maman. Au bout d’un an et demi de souffrances, les parents de Sahli décident de la retirer de l’école, craignant qu’elle ne se referme définitivement sur elle-même. Et le cas de la jeune Luxembourgeoise ne semble pas isolé.
Selon l’enquête HBSC (Health Behaviour, Health Outcomes and Social Context of Adolescents in Luxembourg) menée depuis 2016 par l’Université du Luxembourg, le ministère de la Santé et le ministère de l’Éducation nationale, 40% des jeunes âgés de 11 à 18 ans souffrent de problèmes de santé comme les maux de tête, la nervosité ou la difficulté à dormir. Cette augmentation de 5% en l’espace de douze ans a été constatée dans presque tous les groupes, indépendamment du sexe, du revenu de la famille, du type d’école ou de la nationalité. 40% disent également ressentir une pression liée au travail scolaire.
«Le sentiment de ne pas avoir été écoutés»
«Dans la majorité des cas, ce qui amène les parents à déscolariser leur enfant, c’est le rejet de la violence institutionnelle», explique Katy Zago, présidente de l’Association Luxembourgeoise pour la liberté d’Instruction (ALLI).
L’histoire de Jérôme*, 11 ans, est édifiante. «Mon fils a vécu un cauchemar durant plus d’un an et demi», raconte sa maman Isabelle*, la gorge nouée. «Un jour, il est rentré de l’école et m’a dit: je ne sais pas pourquoi, mais mon professeur est constamment sur mon dos. Il m’a mis assis juste à côté de son bureau face à la classe». N’ayant eu aucun problème de comportement jusqu’alors, les parents décident d’aller voir l’enseignant pour comprendre ce qui se passe. «Il nous regarde très calme et nous dit qu’il n’y aucun problème, que notre fils est gentil, mais qu’il fait ça pour son bien».
Bouche bée et voyant leur fils de plus en plus mal, ils finissent par lui demander de le réintégrer avec ses camarades, mais la situation perdure. Le professeur continue d’exercer une pression constante sur le petit garçon. Jérôme finit par se replier sur lui-même et développe un bégaiement.
Certains arrivent chez moi, ils sont vraiment à bout.»Sylvie Reuter
Les parents tentent alors d’alerter la direction. «L’école n’a rien fait. Au bout d’un an, nous avons contacté l’inspection générale, qui ne s’est pas non plus montrée très réceptive. Le problème venait forcément de mon fils et pas de l’enseignant. Nous avons également contacté l’ORK, comité luxembourgeois dédié aux droits de l’enfant, qui ne s’est pas interessé à la racine du problème. En tant que parents, nous avons le sentiment de ne pas avoir été écoutés, ni compris.»
«Le burn out scolaire existe bel et bien»
Témoins de cette réalité et de ces souffrances, certains enseignants tentent de faire bouger les choses. «Aujourdhui, les enfants n’ont pas assez de temps pour explorer le monde librement, pour rêver ensemble et pour prendre des initiatives. Nous voulons leur laisser cet espace», explique Georges Pfeiffenschneider, enseignant depuis plus de 30 ans. Avec d’autres collègues, ainsi que des citoyens engagés, ils ont décidé de proposer un nouveau modèle éducatif en créant l’asbl LuDUS, «Léieruert fir Demokratie, Uechtsamkeet a Selbstbestëmmung» (Lieu d’apprentissage pour la démocratie, le respect et l’autodétermination). Derrière LuDUS, il y a le projet d’une école alternative qui supprimerait tout système d’évaluation, souvent mal vécu par les jeunes.
«Dès qu’on commence à évaluer les élèves, certains se retrouvent en échec scolaire. Ils sont alors persuadés d’être nuls et de ne rien valoir, alors qu’ils ont leurs propres talents», déplore Mim, enseignante depuis une dizaine d’années et partie prenante du projet LuDUS.
Lorsque le décalage entre les ressources du jeune et les attentes de l’école (…), est trop grand, l’adolescent ne trouve plus d’équilibre serein»Lidia Correia, CePAS
Et cette dévalorisation s’accentue lorsqu’ils avancent dans les études. Coach, éducatrice de formation et hypnothérapeute, Sylvie Reuter reçoit en consultation des adolescents âgés de 15 à 21 ans. «Certains arrivent chez moi, ils sont vraiment à bout. On parle beaucoup du burn out au travail, mais le burn out scolaire existe bel et bien».
Stress important, perte de confiance en soi, anxiété, insomnies, crises de panique, sont autant de symptômes alarmants, qui nécessitent un accompagnement. Les psychologues du CePAS, Centre psycho-social et d’accompagnement scolaire, interviennent auprès des jeunes entre 12 et 30 ans. «Lorsque le décalage entre les ressources du jeune et les attentes de l’école, ou bien celles de la famille, est trop grand, l’adolescent ne trouve plus d’équilibre serein suffisant pour poursuivre son développement», explique Lidia Correia, psychothérapeute au CePAS.
Un déni collectif
«Alors que nous pensions que les élèves exprimeraient sans détour leur souffrance à vivre l’école, ainsi que la pression sociale ou familiale autour de l’étude, c’est à un véritable déni collectif auquel nous avons assisté», écrit la sociologue Béatrice Mabilon-Bonfils dans un article scientifique. En effet, ses recherches en France montrent que si seule une minorité d’élèves (17,1%) disent souffrir de l’école, ils sont beaucoup plus nombreux (52,5%) à exprimer des symptômes, comme les maux de ventre, les palpitations, l’oppression ou l’insomnie.
Mais pourquoi un tel déni? «Ce déni est collectif. Même en recherche, le sujet est peu travaillé», explique la chercheuse à REPORTER. Selon elle, le problème se noue également au cœur des apprentissages. «Des témoignages nombreux illustrent combien la pression de l’évaluation pèse sur les psychismes, parfois accentuée par la manière dont les enseignants ou les parents relayent son impact sur le cursus scolaire et sur le cursus social en général. Certains élèves citent les commentaires sur les copies autant que les notes elles-mêmes, ou encore la visibilité publique et ostensible de la mauvaise note dans la classe».
*Les prénoms ont été changés par souci d’anonymat.
Quelle politique pour le bien-être des jeunes?
«Il faut agir à la racine, avant que cette souffrance ne se développe.», explique Sylvie Reuter, coach et hypnothérapeute. La spécialiste propose des formations aux professionnels de l’éducation et des secteurs socio-éducatifs, afin de les sensibiliser et de les informer sur le sujet. «Il serait aussi intéressant de mettre en place des séances d’information pour les parents, car ils sont souvent perdus face à la souffrance de leurs enfants», conclut-elle.
Il reste encore du chemin à faire, et surtout un travail de fond à mener au quotidien. C’est en partie le rôle des psychologues et psychothérapeutes du CePAS et des SePAS. Les professionnels interviennent en effet auprès des lycéens dans la gestion des conflits, les projets de formation, le coaching ou encore l’accompagnement psychologique à travers des consultations individuelles.
Le bien-être et la santé des jeunes seront au centre du prochain rapport sur la situation de la jeunesse au Luxembourg et du plan d’action national de la jeunesse, qui devraient être publiés en 2021. «L’influence du contexte scolaire sur le bien-être des élèves sera examinée à l’aide de données quantitatives provenant de l’enquête HBSC, mais aussi par le biais d’entretiens qualitatifs, afin de mieux comprendre les ressources et les charges sur le bien-être des élèves», précise Nathalie Keipes, directrice du CePAS.