Le tribunal administratif a rendu son jugement dans le litige opposant des avocats cités dans les Panama Papers à l’Administration des contributions directes. Les juges ont estimé qu’en enjoignant les avocats à donner les noms de leurs clients, le fisc a commis un excès de pouvoir.
Le Barreau n’a pas trainé à communiquer sur sa victoire, à tout le moins provisoire, dans le litige qui l’oppose depuis 2016 avec l’Administration des contributions directes (ACD) à la suite des révélations des Panama Papers, une fuite de milliers de documents venant de la firme Mossack Fonseca au Panama. «Le Barreau se félicite que l’Etat de droit soit préservé», a souligné la nouvelle bâtonnière Valérie Dupong dans un communiqué.
Révélée en 2016 par le consortium de journalistes d’investigation ICIJ, cette affaire avait mis à nu des milliers de montages d’optimisation fiscale via le Panama mis en place, entre autres, par des avocats luxembourgeois pour leurs clients internationaux restés ainsi anonymes.
En juillet 2016, l’ACD avait enjoint les avocats cités dans les Panama Papers à révéler le nom des clients se cachant derrière ces montages. Le fisc menaçait d’infliger des amendes aux récalcitrants ainsi que des astreintes.
L’esprit du temps
La directrice de l’ACD, Pascale Toussing estimait que ces contrôles s’inscrivaient «dans l’esprit du temps», celui de la transparence où ceux qui n’ont rien à cacher n’auraient rien à craindre des contrôles fiscaux. Elle considérait également que le secret professionnel de l’avocat ne couvrait pas les activités «rentrant dans le domaine des avocats d’affaires».
Une assertion qui lui avait valu les foudres du bâtonnier de l’époque, François Prum, lequel avait enjoint les avocats à refuser de divulguer la moindre information sur leurs clients tiers, au risque sinon d’encourir des sanctions disciplinaires du Conseil de l’Ordre, voire des sanctions pénales pour violation du secret professionnel.
Face à des positions irréconciliables, le litige avait débouché devant le tribunal administratif en mars 2018. Après un an et demi de procédure et d’échanges de conclusions entre les représentants de l’Etat, le barreau et la dizaine d’avocats épinglés, l’affaire fut plaidée en novembre 2019. Les avocats avaient sorti la grosse artillerie pour se défendre, invoquant notamment le caractère inconstitutionnel de la base juridique (la Loi générale des impôts, héritage de l’Allemagne) utilisée par l’ACD pour enjoindre les avocats à lever leur secret.
A la pêche aux informations
Le barreau estimait en outre que les agissements de l’Administration fiscale relevaient de la «pêche aux informations» («fishing for information»), proscrit par la règlementation sur l’échange d’informations.
Il a fallu dix mois avant que la 4e chambre du tribunal administratif livre sa décision. Le jugement de 30 pages est tombé le 29 septembre.
La partie gouvernementale faisait valoir dans la procédure que si le secret de l’avocat était d’ordre public, la perception de l’impôt l’était également et se situait «à un niveau hiérarchiquement supérieur à celui du secret de l’avocat». Le gouvernement «n’estime pas concevable qu’un avocat puisse (…) faire obstacle à la juste et exacte perception de l’impôt», indiquait son représentant.
Le tribunal administratif n’a pas eu la même appréciation. Les juges rappellent dans leur décision du 29 septembre deux principes fondamentaux du droit fiscal luxembourgeois: en premier lieu, celui de la territorialité de l’assiette de l’impôt et de sa perception et en second lieu le cadre de l’échange de renseignements en matière fiscale. Ce dispositif très encadré interdit d’aller à la pêche aux renseignements, en demandant par exemple des informations sans lien avec une enquête ou un contrôle concret en cours.
«L’Administration des contributions directes, souligne la juridiction, ne peut exiger de tiers la fourniture d’informations qui revêtent une importance uniquement dans deux cas limitativement circonscrits, à savoir, soit pour l’exercice d’un contrôle fiscal, soit dans le cadre d’une procédure d’enquête fiscale dans le but de l’établissement de créances fiscales».
Absence de procédure d’enquête
Or, la démarche de l’ACD ne s’inscrit ni dans l’un ni dans l’autre cas. «L’Administration des contributions directes est en aveu de rechercher à identifier le sujet même d’un éventuel contrôle fiscal, dont elle ne rapporte en outre pas la preuve, à savoir des personnes morales dont elle n’est pas en mesure d’établir si ces dernières sont ou non assujetties à la loi fiscale luxembourgeoise», indiquent les juges. «Pour qu’un tiers puisse être sollicité par l’ACD, poursuivent-ils, il y a lieu d’être en présence d’un cas d’imposition concret, situation qui fait défaut en l’espèce».
En agissant ainsi de sa propre initiative, et non dans le cadre de l’ouverture d’une procédure d’enquête, le fisc a commis un excès de pouvoir, voire un détournement de pouvoir, ont estimé les juges. Pour ces derniers, la seule mention du nom des avocats impliqués dans les Panama Papers n’est pas de nature à pouvoir être qualifiée de procédure d’enquête fiscale pour récupérer des impôts.
Le jugement est susceptible d’appel devant la Cour administrative.
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