L’association Vauban, qui gère l’école et le lycée français au Ban de Gasperich, a perdu en appel son procès avec l’ancien gestionnaire du projet immobilier, accusé d’avoir fait déraper les coûts du chantier. Un expert va maintenant déterminer le montant de l’indemnité que l’asbl devra payer à son prestataire.
La facture de plus de 150 millions d’euros du complexe scolaire francophone au Ban de Gasperich risque de s’alourdir à la suite des erreurs de pilotage des anciens dirigeants de l’association qui le gère. L’asbl Vauban Ecole et Lycée français de Luxembourg (Vauban ELF) devra indemniser la société HBH, qui a géré le chantier entre 2008 et 2014 avant d’en être écarté.
La Cour d’appel a rejeté le 15 janvier l’appel que Vauban ELF avait interjeté contre un jugement de novembre 2017 le condamnant à dédommager le préjudice subi par HBH pour lui avoir retiré sans raison valable la gestion et le contrôle du chantier. Les juges ont considéré qu’il y avait eu une rupture abusive du contrat.
Il est évident que l’entrepreneur peut solliciter l’indemnisation du préjudice qu’il a subi du fait de la résiliation abusive de la convention du 18 juillet 2008.»Cour d’appel, 15 janvier 2020
Une expertise a été ordonnée par les magistrats de deuxième instance pour évaluer le préjudice. En 2015, un expert mandaté par HBH l’avait chiffré à près de 1,5 million d’euros, mais ce montant avait été contesté par Vauban.
Un recours en cassation est toujours possible endéans les deux mois.
Pratiques obscures
L’arrêt rendu le 15 janvier met fin à un conflit qui a commencé en juin 2014, quatre ans avant l’inauguration officielle du complexe scolaire, financé à 80% par des fonds publics. La participation de l’Etat luxembourgeois s’est élevée à 117,9 millions d’euros. L’affaire a permis de lever le voile sur les conditions et pratiques obscures dans lesquelles les travaux de construction ont été attribués et répartis entre les entreprises.
En juillet 2008, à l’issue d’une soumission publique, Vauban, maître d’ouvrage, a attribué le pilotage du chantier à HBH pour coordonner les travaux des différentes entreprises et corps de métiers y participant. Leurs relations se sont gâtées fin 2013, au moment où des dirigeants d’entreprises de travaux généraux ont fait leur entrée dans le conseil d’administration de l’asbl. Des échanges peu aimables émaillent les relations entre le maitre d’ouvrage et le coordinateur du chantier.
En juin 2014, le maître d’œuvre a rompu le contrat de HBH pour faute grave, lui reprochant principalement un dépassement de budget, un contrôle défaillant du chantier et un retard dans la livraison des bâtiments. HBH a contesté son éviction et a saisi la justice. Un premier jugement a été rendu le 15 novembre 2017, donnant raison à HBH. La Cour d’appel a confirmé le 15 janvier l’appréciation des juges de première instance.
Conflit d’intérêt et démissions
Les dirigeants de HBH ont fait valoir, lors de la procédure, que la rupture du contrat a été motivée par la volonté des entrepreneurs siégeant dans le conseil d’administration de Vauban de favoriser leurs propres entreprises. Il est vrai que le marché du gros œuvre sera attribué à l’issue d’un appel d’offre lancé en 2015 après l’éviction de HBH aux firmes Tralux et CLE. Leurs dirigeants respectifs occupaient à l’époque des postes clefs au sein de l’asbl Vauban EFL. De nombreux parents d’élèves avaient vu dans cette prise en main un conflit d’intérêt. Certains avaient démissionné du conseil d’administration de l’asbl pour manifester leur désaccord.
L’arrêt du 15 janvier a confirmé sur toute la ligne le constat des juges de première instance, trois ans plus tôt. La Cour a écarté les reproches de non-respect des délais de livraison, de dépassement de budget et de défaut de coordination du chantier. HBH a fait un parcours sans faute: «la résiliation de la convention (…) de 2008 et de son avenant a, à juste titre, été déclarée abusive», soulignent les magistrats de la Cour d’appel.
L’attitude de la société HBH n’a pas dépassé les limites d’un ton polémique utilisé de part et d’autre».Arrêt de la Cour d’appel, 15 janvier 2020
Rien ne justifiait donc l’éviction du coordinateur du chantier du complexe scolaire et certainement pas les échanges musclés que ses dirigeants eurent avec le maître d’ouvrage: «La perte de confiance en la société HBH alléguée par (l’asbl Vauban) en raison de ses propos calomnieux et diffamatoires prétendument tenus à l’égard du maître d’œuvre et d’autres intervenants ne justifie pas à elle seule la résiliation intervenue, les autres reproches ayant tous été écartés», signalent les juges. Ces derniers estiment que «l’attitude de la société HBH n’a pas dépassé les limites d’un ton polémique utilisé de part et d’autre».
Un trou de 3,7 millions à combler
Les juges d’appel ont logiquement débouté Vauban EFL de sa demande en allocation de 3,357 millions d’euros de dommages et intérêts contre son ancien prestataire en raison de ses manquements et du retard de livraison des bâtiments. L’école et le lycée ont ouvert avec une année de retard sur le calendrier prévu.
HBH a évalué pour sa part son dommage à 1,37 million d’euros. «Il est évident, note la décision du 15 janvier, que l’entrepreneur peut solliciter l’indemnisation du préjudice qu’il a subi du fait de la résiliation abusive de la convention du 18 juillet 2008». Place désormais à l’expert indépendant qui déterminera le montant à payer par l’association.
Le complexe scolaire a coûté au final 151 millions alors que le budget initial portait sur 147,4 millions. C’est ce montant qui a fait l’objet d’une convention en janvier 2015 avec le ministère de l’Education nationale. La participation publique s’est élevée à 117,9 millions. Il n’y aura pas de rallonge, avait fait savoir le ministère à REPORTER.
Reste désormais à savoir si le trou de 3,7 millions d’euros sera financé par une hausse du minerval à charge des parents, déjà largement sollicités par le passé pour financer l’établissement du Ban de Gasperich.
Contacté par REPORTER, le conseil d’administration de Vauban dit avoir «bien pris connaissance de l’arrêt du 15 janvier dernier qui n’apporte pas de points nouveaux par rapport à la décision de 1ère instance».
«Le jugement de 1ère instance et l’arrêt d’appel (…) n’ont pas condamné Vauban à indemniser HBH, mais diligenté des expertises afin de déterminer un éventuel préjudice subi par HBH qu’au demeurant nous contestons tant dans son principe que dans son quantum», précise l’association.
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