Le promoteur immobilier Nico Arend a des soucis avec le fisc pour des pratiques d’optimisation fiscale. Une affaire récente devant le tribunal administratif met en lumière les dessous de l’empire du fondateur du groupe «Arend&Fischbach».

Les promoteurs Nico Arend et Flavio Becca partagent de nombreux points communs: une même passion pour les belles mécaniques, voitures pour le premier, montres pour le second. Ils cultivent de solides réseaux politiques qui ont facilité leur ascension sociale, DP pour l’un, LSAP pour l’autre. La justice a rattrapé les deux figures du marché immobilier luxembourgeois: Becca pour abus de biens sociaux, Arend pour escroquerie fiscale. Tous deux excellent dans l’art de l’optimisation fiscale.

La comparaison s’arrête là, car Nico Arend est un homme discret, contrairement à Flavio Becca, qui craint moins l’exposition médiatique. Les deux hommes ne jouent pas non plus dans la même ligue. Le second est présenté comme un milliardaire. La fortune du premier est évaluée à une centaine de millions d’euros. Avec une réserve de plus de 50 hectares de terrains constructibles pour l’habitat selon les estimations du ministère du Logement, Nico Arend et son associé Laurent Fischbach figurent dans le Top 5 des rois du foncier, largement devant les groupes Giorgetti et Becca.

«Sciemment et systématiquement»

En dépit de sa surface foncière imposante, le cofondateur avec Carlo Fischbach (décédé en 2017) du groupe Arend&Fischbach est confronté depuis quelques mois à une série de contrariétés. Nico Arend vient d’être lâché par sa plus proche collaboratrice. Il a aussi essuyé des déboires avec l’Administration des contributions directes (ACD) pour des abus de droit, c’est-à-dire des pratiques d’optimisation fiscale sans justification économique. Le méga-projet que son groupe veut développer avec la Compagnie financière La Luxembourgeoise au Kirchberg (4 hectares achetés pour 180 millions d’euros) suscite des interrogations sur la date de lancement, alors que les ventes de logements neufs tournent au ralenti.

Depuis sa condamnation pour des ventes immobilières payées en partie au noir, Nico Arend sait que le fisc scrute dans le moindre recoin ses déclarations d’impôts. En avril 2009, le promoteur a écopé d’une peine d’amende de 550.000 euros pour avoir tenu une caisse noire. Son associé Carlo Fischbach fut condamné à 180.000 euros d’amende dans la même affaire. Les deux hommes avaient échappé à la prison en raison de l’ancienneté des faits reprochés et de l’absence de casier judiciaire.

Les prévenus n’ont arrêté leurs agissements délictueux non pas spontanément et de leur propre gré, mais suite à l’enquête menée par l’Administration des contributions directes.“Jugement de 2009

Le dossier répressif documentait une fraude de 55,5 millions de francs luxembourgeois pour Arend (l’équivalent de 1,3 million d’euros) et de 28,7 millions de LUF pour Fischbach (713.000 euros). Les montants non déclarés de trois de leurs sociétés communes s’élevaient à 47,78 millions de LUF (l’équivalent de 1,18 million d’euros).

Les fraudes avaient été commises «sciemment et systématiquement» pendant sept ans (de 1989 à 1996) jusqu’à ce qu’un contrôle de l’ACD les rattrape. «Loin de constituer une peccadille, les faits retenus à charge des prévenus présentent au contraire une gravité indiscutable en raison du montant global de l’impôt éludé, mais aussi par la période de temps pendant laquelle les faits avaient été commis», souligne un jugement de 2009 consulté par Reporter.lu. «Les prévenus n’ont arrêté leurs agissements délictueux non pas spontanément et de leur propre gré, mais suite à l’enquête menée par l’Administration des contributions directes», précisent les juges.

Lors du procès en 2009, un des avocats de la défense racontait que «les prévenus (avaient) subi d’autres contrôles fiscaux qui, mis à part quelques corrections comptables, n’auraient plus laissé apparaître une quelconque fraude».

Corrections comptables

En avril 2016, le promoteur est une nouvelle fois confronté à l’ACD qui met en cause les déclarations d’impôts sur le revenu des collectivités (IRC) et l’impôt commercial communal (ICC) entre 2011 et 2014. Le bureau de Diekirch évoque des «abus de droit» commis dans le chef de Carrelages Willy Putz, Sanitaires Willy Putz et Home Center Putz. Nico Arend a racheté les entreprises de matériaux en 1991 et en a fait des piliers du groupe Arend&Fischbach. Aucune information n’a fuité sur les montants des redressements fiscaux. Contacté par Reporter.lu, l’avocat des trois entreprises parle de «sommes modiques». Pour autant, le fisc en a fait une affaire de principe. Le litige s’est d’ailleurs terminé en sa faveur, devant le tribunal administratif.

Le fisc a refusé, dans le chef des trois entreprises de matériaux, la déduction en frais d’exploitation des commissions de 5% ristournées à la fiduciaire Arend Consult et au restaurant La Bohème à Mersch, propriétés du seul Nico Arend. Ce dernier a présenté son restaurant et sa fiduciaire comme d’importants apporteurs d’affaires à commissionner. L’administration y a vu, en revanche, des «factures de complaisance pour des prestations de services ou des versements d’honoraires (qui) pourraient paraître fictives si aucun service n’a été rendu». D’autant que le versement des commissions n’était documenté par aucun contrat.

Economiquement parlant, le montage ne faisait pas de sens aux yeux du bureau d’imposition: «Le fait de payer sans la moindre résistance des commissions à une autre entreprise va à l’encontre de toute raison d’être d’une collectivité, à savoir le but de lucre (et) le versement des commissions ne s’explique nullement par des raisons économiques mais seulement et uniquement par des raisons d’ordre purement fiscal».

Des deux côtés de la table

Car les acquéreurs d’appartements ou de maisons du promoteur sont obligés, selon les clauses contractuelles des compromis de vente, de choisir les équipements comme les cuisines équipées ou les finitions auprès des entreprises. Entre 2011 et 2016, plus de 70% du chiffre d’affaires de Sanitaires Willy Putz et Carrelages Willy Putz étaient assurés par les sociétés dans lesquelles Nico Arend détient des participations. Le taux était de 60% pour Home Center Putz.

Dans le dossier fiscal, révélé à la faveur de plusieurs recours devant le tribunal administratif, Nico Arend, en se plaçant des deux côtés de la table, «n’a mis en relation que ses propres sociétés (…) dont il est le dirigeant, de sorte qu’il ne saurait être prétendu qu’il aurait trouvé de nouveaux clients».

La fiduciaire de Nico Arend sert principalement des services comptables intragroupe. La société, pour les années litigieuses, n’avait presque pas dégagé de bénéfices. Ses charges avaient été contrebalancées par les commissions indûment rétrocédées. Le restaurant n’était pas non plus une machine à dégager du cash ni à générer des impôts pour la collectivité. Les commissions controversées compensaient à peine les pertes de l’établissement.

Les manœuvres d’optimisation ne devaient rien au hasard. Le système mis en place par le promoteur le donnait ainsi doublement gagnant: ses entreprises de matériaux réduisaient leur base imposable et les commissions d’apporteurs d’affaires rétrocédées de manière discrétionnaire à la fiduciaire et au restaurant étaient englouties dans les pertes ou frais généraux de ces deux entités, allégeant ainsi la charge fiscale.

Les juges administratifs se sont à leur tour montrés dubitatifs sur la réalité des activités promotionnelles d’Arend Consult et de La Bohème. Pour le tribunal, les clauses d’approvisionnements exclusives dans les contrats de vente d’immeubles à construire des sociétés de promotion d’Arend&Fischbach ont davantage contribué aux affaires de Carrelages Willy Putz, Sanitaires Willy Putz et Home Center Putz que l’entremise de Nico Arend. «Il n’existe aucune raison objective qui justifierait le paiement de commissions aux deux entités litigieuses sans aucune contreprestation de leur part», notent les juges dans leurs décisions rendues le 19 septembre dernier.

Un groupe qui soigne ses relations politiques

La procédure administrative a mis en lumière les pratiques d’un des groupes de promotion immobilière les plus actifs dans le secteur résidentiel et de son fondateur Nico Arend. Il soigne ses relations avec le parti libéral du Premier ministre Xavier Bettel, notamment par l’entremise de l’ancien ministre DP de l’Economie Henri Grethen. Ce dernier lui a acheté un immense penthouse au Limpertsberg qui lui sert actuellement de résidence. Pour autant, Henri Grethen dément entretenir des liens d’affaires avec le roi du foncier: «Je ne suis et je n’étais jamais, ni directement ni indirectement associé de M. Nico Arend ou d’une des structures auxquelles il est associé», fait-il valoir dans un message à Reporter.lu.

Les recherches de Reporter.lu ont permis de recenser 71 sociétés où le nom de Nico Arend apparaît comme bénéficiaire économique, majoritaire ou non.“

L’hebdomadaire d’«Lëtzebuerger Land» rapporte que le dirigeant, «encarté DP, se faisait régulièrement élire dans le comité de circonscription Centre du parti libéral durant les années 2000». Arend a recruté en 2001 Albert Henkel qui est devenu, trois ans plus tard et le restera jusqu’à sa démission en 2015, bourgmestre de Mersch sous l’étiquette DP. Selon le site du DP Mersch, Nico Arend fait actuellement partie du comité de la section locale.

Le groupe Arend&Fischbach et ses nombreux partenaires dans la promotion immobilière font beaucoup travailler le cabinet d’architecture A3 dans lequel Gauthier Destenay, le mari de Xavier Bettel, est associé. A3 Architecture a, entre autres, réalisé en 2017 pour la société Longchamp (où Nico Arend et Laurent Fischbach détiennent 50% du capital) un complexe de cinq immeubles et 101 appartements sur l’emplacement d’un ancien garage à Diekirch. Le contrat a porté sur 17 millions d’euros. Le site internet du cabinet implanté à Arlon et à Luxembourg renseigne de projets dans tout le Grand-Duché: un lotissement à Ettelbruck (24 appartements), des projets à Kehlen (deux résidences initiées par FIAR, filiale d’Arend&Fischbach) ou encore les résidences «Jardin Secret» à Mamer.

Albert Wildgen et Marcel Leyers dans le «Beirat»

Nico Arend entretient aussi de bons rapports avec les dirigeants les plus en vue du monde économique. Le vaisseau amiral du groupe, Kikuoka Luxembourg, s’est récemment restructuré (septembre 2021), avec en ligne de mire la succession de Nico Arend, 72 ans. Les nouveaux statuts de la société font état de la mise en place d’un «Beirat», terme allemand, étranger aux droit luxembourgeois des sociétés, désignant un conseil consultatif chargé de donner des avis sur la stratégie du groupe.

Selon les informations de Reporter.lu, ce comité est composé de l’avocat Albert Wildgen, ancien administrateur des Biens du Grand-Duc et ex-président du conseil d’administration de Cargolux, et de Marcel Leyers, CEO de la BIL, l’un des principaux banquiers d’Arend&Fischbach. Le patron de la banque aurait eu le feu vert de son employeur qui n’y a pas vu de conflit d’intérêts potentiel dans cette fonction informelle.

La mise en place du Beirat s’est accompagnée par le départ d’une des plus proches collaboratrices et associées de Nico Arend: en août dernier Sylvie Hansen-Winkin a quitté le groupe après un clash avec le fondateur. L’épouse de René Winkin, directeur de la Fedil, organisation du patronat luxembourgeois, y avait fait toute sa carrière et en était devenue un des piliers depuis presque 30 ans. Selon les informations de Reporter.lu, Sylvie Hansen-Winkin planifie un rachat de la fiduciaire de Nico Arend (et une vente de ses participations dans des sociétés immobilières) pour «rebooster» sa carrière.

Bâti en 1989, l’empire Arend&Fischbach ne s’étend pas seulement à la promotion immobilière. Les recherches de Reporter.lu ont permis de recenser 71 sociétés où le nom de Nico Arend apparaît comme bénéficiaire économique, majoritaire ou non. L’ancien comptable détient presque autant de sociétés qu’il a des projets et réalisations dans l’immobilier résidentiel.

L’inventaire le montre, outre ses activités principales dans la promotion, dans tous les secteurs de l’économie: le golf Kikuoka à Canach (racheté en 2003 essentiellement pour ses dettes fiscales), le City Hotel près de la Gare, l’informatique, le commerce en gros de matériaux avec Baushop, la vente de maisons clefs en main (Loginter), les résidences pour senior (Seniorenresidenz Mäerzeg), les voitures (Mega-Car), la comptabilité (Arend Consult) et la restauration (La Bohème). La liste tient sur près de quatre pages des Luxembourg Business Registers (LBR).

Contacté, Nico Arend n’a pas répondu aux sollicitations de la rédaction.


Note de la rédaction: Dans une première version de l’article, on pouvait lire que l’entreprise Crea-Haus faisait également partie de l’inventaire de Nico Arend. Ceci est incorrect. Il convient de préciser qu’il n’existe aucun lien direct entre la société et Nico Arend.