Une multitude d’acteurs sont mobilisés pour la mise en œuvre du Plan d’action nationale à la santé affective et sexuelle qui a fixé comme public cible prioritaire les enfants et les adolescents. Pourtant, la sensibilisation et la formation des jeunes restent inégales.

«Aujourd’hui, les jeunes ont très tôt accès à la pornographie sur internet. Il y a une hypersexualisation des relations, de plus en plus jeune. Mais en même temps, on ne parle pas vraiment de ces questions liées à la sexualité. Dans mon cas, cela a été thématisé vers 14-15 ans en classe de biologie. C’est beaucoup trop tard», estime Serena Boukelmoun, une étudiante en 1ère à l’Athénée de Luxembourg qui milite sur ces questions au sein de l’association ECPAT. L’association lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et vise à sensibiliser le public sur les droits de l’enfant en la matière.

Ces propos peuvent surprendre, alors que l’éducation affective et sexuelle fait partie des programmes de l’éducation nationale. Le cursus débute en cycle 4 de l’école fondamentale. Les enfants abordent les changements dus à la puberté. Ils doivent aussi apprendre à éviter les risques liés à la sexualité, reconnaître les clichés fondés sur le sexe et finalement identifier les bons et mauvais sentiments ainsi que les bons et mauvais secrets. Cet apprentissage se poursuit sur plusieurs années au lycée, soit à travers les cours de biologie, soit les cours de Vie et Société.

À l’évidence, cela ne suffit pas, estime lui aussi le Dr Bechara Ziadé, coordinateur du Plan d’action national de promotion de la santé affective et sexuelle à la direction de la Santé. «Il y a le programme officiel et les objectifs annoncés. Mais nous n’avons pas de contrôle sur le contenu effectif des cours prodigués aux élèves», dit-il. Au sein même d’un lycée, la formation peut varier en fonction de la sensibilité de l’enseignant pour le sujet.

Sujet sensible

Au ministère de l’Éducation, on reconnaît qu’il peut y avoir un décalage entre le programme d’éducation affective et sexuelle et sa transposition en classe. «On demande aux enseignants d’avoir suffisamment de sensibilité pour répondre aux besoins et questions des enfants, tout en sachant que c’est un sujet qui peut être sensible du fait de leur histoire personnelle, leur background culturel, leur croyance religieuse», indique la porte-parole du ministère Myriam Bamberg.

Le point est tellement sensible que depuis un an et demi, aucun intervenant du Planning Familial n’intervient plus dans les écoles fondamentales. La loi sur l’organisation scolaire indique que l’enseignant est responsable de sa classe. À ce titre il ne peut laisser les enfants seuls. Or le Planning Familial estime que la présence de l’enseignant est contre-productive. Ce que confirme le docteur Ziadé: «le professeur incarne une figure d’autorité qui peut bloquer les élèves, surtout pendant la puberté. Ils n’oseront pas poser certaines questions de l’ordre de l’intime. Pour cette raison, il est utile de faire venir un intervenant externe», dit-il.

L’école alternative «Eis Schoul» a pourtant organisé l’année dernière, avec une pédagogue certifiée, une semaine de sensibilisation à la santé affective et sexuelle pour ses 25 élèves de cinquième et sixième primaire. «Les jeunes de 10 à 13 ans se posent beaucoup de questions au moment de la puberté. Ils ont du mal à les aborder en notre présence. Et en tant que prof, nous ne sommes pas très à l’aise pour en parler avec eux. Les parents ont été informés de notre initiative. Leurs réactions ont été positives», indique le professeur titulaire Ben Wagener. Et l’obligation de présence auprès des élèves? Elle a été résolue de manière pragmatique: «Nous sommes restés sur un banc devant notre classe, porte fermée».

Une offre à la carte

Dans les lycées, faire intervenir des formateurs spécialistes de l’éducation affective et sexuelle est possible, mais facultatif. Seuls 15 lycées sur les 37 que compte le pays ont organisé en 2018 des cours de prévention HIV/Aids et d’éducation à la vie affective et sexuelle. Cela a touché 1782 élèves dans les classes du cycle inférieur, indique le ministère de l’Éducation nationale.

La directrice du Lycée Aline Mayrisch, Carole Chaine, fait ainsi intervenir chaque année une assistante sociale et une psychologue du «Service psycho-social et d’accompagnement scolaire» (SePAS) auprès de tous ses élèves de sixième. «Cela me paraît très important de thématiser cela dans un cadre qui met l’accent sur l’affectif, en respectant la confidentialité. Tous les enfants n’ont pas la possibilité d’en parler chez eux».

Chaque régent doit faire en sorte de réussir à insérer cette formation d’une heure dans les emplois du temps. «C’est peu mais cela permet un premier contact où l’on parle de ce qu’est la sexualité, le respect du corps, le droit de dire non. On voit parfois des élèves revenir vers nous ensuite», observe l’assistante sociale Céline Gabriel. Elle-même a été formée à cette thématique par des spécialistes de la Croix-Rouge.

Il faut noter que les jeunes peuvent aussi être sensibilisés à la santé affective et sexuelle par le biais de l’éducation non formelle, au sein des foyers de jour ou maisons de jeunes par exemple. De multiples intervenants (Planning familial, HIV-Berodung, Bee Secure, ECPAT, Cid-femmes, InfoMann, Centre pour l’Égalité de traitement, Cigale, Intersex et Transgender, etc) interviennent sur le sujet. Mais là encore, rien ne garantit un accès de tous les jeunes à ces formations.

Depuis 2018, le «Centre national de référence pour la santé affective et sexuelle» (Cesas) sert de plate-forme pour centraliser les informations et les actions des différents partenaires impliqués dans le Plan d’action national pour la promotion de la santé affective et sexuelle, dont la deuxième version a été lancée en 2019. Le but de ce plan est «de développer une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sûres, sans contrainte,  sans discrimination et sans violence». Une charte a été élaborée afin de garantir ces principes conformes aux critères de l’Organisation mondiale de la Santé. Des cours sont proposés aux enseignants dans le cadre de leur formation continue. Ils sont facultatifs.