Après des années de croissance organique, le ministère de la Culture veut flexibiliser le paysage culturel. De la BNL aux musées nationaux, le projet de loi vise à professionnaliser les institutions – sans pour autant leur donner des moyens financiers supplémentaires. 

18 ans après la dernière grande réforme des instituts culturels en 2004, la ministre de la Culture Sam Tanson (Déi Gréng) remet à jour le texte légal qui cadre les huit instituts culturels du pays. Le texte, publié discrètement la semaine dernière sur le site de la Chambre des Députés, est plus une mise à jour des structures existantes qu’une réforme politique.

Les huit instituts sous la coupe du ministère de la Culture sont: la Bibliothèque nationale (BNL), le Centre national de littérature (CNL), le Centre national de l’audiovisuel (CNA), les Archives nationales, l’Institut national de recherches archéologiques (INRA), l’Institut national pour le patrimoine architectural (INPA), le Musée national d’histoire et d’art (MNHA) et le Musée national d’histoire naturelle (MNHN). Ensemble, ils représentent presque 40 pour cent du budget du ministère de la Culture – avec environ 69 millions d’euros par an. Avec 17,8 millions d’euros, c’est la BNL qui pèse le plus, le CNL avec ses 2,8 millions arrive en dernier.

Modifications plus ou moins visibles

Le changement le plus visible concernera le MNHA, qui au futur portera une nouvelle lettre dans son acronyme, puisqu’il deviendra le Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art – donc MNAHA. Le futur MNAHA verra aussi sa compétence s’agrandir de façon notoire. Outre le musée original du Marché aux Poissons, il s’étendra dès lors officiellement au «Musée Dräi Eechelen» et la «Réimervilla», la villa romaine d’Echternach. S’y ajoutent deux centres de documentation: celui sur la forteresse de Luxembourg et le centre de documentation sur les arts plastiques dénommé «Lëtzebuerger Konschtarchiv».

Si le premier semble une évidence, le deuxième est plus intéressant. Intégré au «Projet Neischmelz» à Dudelange, il sera partie intégrante du nouveau «Centre de national des collections publiques» (CNCP). Le projet du CNCP a été présenté au public lors d’une soirée d’information fin mars, même si le règlement grand-ducal créant le «Konschtarchiv» date de décembre 2021. Pour le CNCP, une loi de financement doit pourtant encore passer le cap de la Chambre des Députés.

Le projet de loi apportera un plus de flexibilité tout en permettant aux instituts de travailler de façon plus limpide.“Ministère de la Culture

Un détail saute à l’œil: en plus de sa mission de conserver et de collectionner des œuvres d’art issues des autres instituts culturels – en plus du Mudam – le CNCP sera aussi doté d’une salle d’exposition. C’est donc au Sud du pays que la «Nationalgalerie» rêvée par Xavier Bettel verra enfin le jour. Pourtant, le MNAHA se verra aussi amputé d’une de ses composantes: «La dissociation du Centre national de recherche archéologique du Musée national d’histoire et d’art était devenue une évidence au vu du développement des missions de ce dernier, en raison de l’interdépendance avec le développement infrastructurel du pays», peut-on lire dans l’exposé des motifs du projet de loi.

Cette dissociation est le résultat d’une autre loi, votée en février de cette année. Elle règle le patrimoine culturel et crée officiellement l’Institut national de recherches archéologiques (INRA – anciennement Centre national de recherches archéologiques) et l’Institut national pour le patrimoine architectural (INPA). Ce dernier est connu surtout sous son ancienne appellation: Service des sites et monuments nationaux.

Disparition des sections

La nouvelle loi le reconnaît donc désormais comme un institut culturel sous l’égide du ministère de la Culture et ses missions ont été clairement définies: avant tout il s’agit de «l’établissement et la tenue à jour d’un inventaire du patrimoine architectural».

Le nouveau texte procède tout de même à quelques changements en profondeur. Ainsi toutes les sections inscrites dans les vieux textes ont disparues. Cela concerne tous les instituts, comme la BNL ou les Archives nationales qui en avaient. Du côté du ministère de la Culture on explique à Reporter.lu que cela permettrait plus de flexibilité aux instituts – qui n’auraient plus besoin de demander une réforme des textes légaux, s’ils veulent ajouter une nouvelle section.

Plus de flexibilité sans moyens supplémentaires: Les institutions comme la BNL devront donc «couper autre part dans les frais de personnel et au-delà». (Photo: JackKPhoto/Shutterstock.com)

Claude D. Conter, directeur de la Bibliothèque nationale, salue cet aspect de la réforme: «Cela va nous donner plus de possibilités au futur pour nous adapter aux nouvelles tendances – sans devoir passer par une nouvelle loi. En plus, tous les instituts sont expressément autorisés à mener des recherches scientifiques et à les publier. Ce qui est une vraie nouveauté», explique-t-il à Reporter.lu.

Avant cette loi, il était parfois difficile d’obtenir les moyens nécessaires pour mener des recherches – vu que celles-ci n’étaient pas explicitement prévues. La collaboration avec l’Université de Luxembourg, notamment à travers le «Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History» (C2DH), ouvre aussi de nouvelles perspectives aux instituts culturels. Des synergies devraient s’en créer – tel est du moins le vœu exprimé dans l’exposé des motifs.

Plus de flexibilité, nouveaux postes

Pourtant, avec la disparition des sections, un nouveau problème potentiel apparaît à l’horizon. Sans sections prescrites par la loi, la transparence sur les organigrammes pose problème. Car rien dans le texte de la loi ne les oblige à publier de tels documents. Même si Claude D. Conter assure: «Je n’y vois pas de problème. La BNL publiera ses organigrammes – ou du moins ce qui ne tombe pas sous le règlement européen de la protection des données. Pour nous, c’est même un pas vers plus de transparence».

Du côté du ministère, c’est le même son de cloche: «Le projet de loi apportera un plus de flexibilité tout en permettant aux instituts de travailler de façon plus limpide».

Ma tâche de diriger mes équipes en soi est déjà très prenante.“Claude D. Conter, directeur de la BNL

Néanmoins, il y a un autre risque qui se présente: celui d’une plus grande bureaucratisation des instituts culturels. Le texte prévoit en effet la possibilité de créer des postes de sous-directeurs dans les institutions. Claude D. Conter acquiesce: «Presque toutes les institutions, culturelles ou non, même les petites asbl, ont des directeurs administratifs et des directeurs créatifs. Mais les instituts culturels n’en ont pas alors que ma tâche de diriger mes équipes en soi est déjà très prenante».

L’argumentation du ministère de la Culture reflète cette position: «C’est une adaptation nécessaire. Beaucoup de structures culturelles qui ne sont pas régies par cette loi disposent de plusieurs directeurs depuis des années. D’autant plus que le texte n’en fait nullement une obligation, mais une possibilité».

Réforme sans impact financier

Pourtant, dans les budgets de tous les instituts, les frais de rémunération du personnel dominent – 10 millions d’euros sur les 17,8 millions que perçoit la BNL cette année par exemple. Claude D. Conter admet que si l’on veut créer ces postes, il faudra «couper autre part dans les frais de personnel et au-delà». Le risque est qu’à la fin, les projets de recherche tant souhaités pourraient prendre l’eau justement parce que de nouvelles superstructures ont été instaurées.

S’y ajoutent d’autres possibilités créées par cette loi, comme des comités scientifiques et des commissions d’accompagnement. Ces dernières peuvent conseiller la direction et leurs membres ont droit à des jetons. Tout comme les membres des comités scientifiques: des experts peuvent être nommés par le ministre sous avis de la direction. Leur rôle sera de «guider et d’accompagner l’institut culturel dans ses missions».

Selon le projet de loi pourtant, la réforme n’aura aucun impact financier. L’argent à dépenser pour ces nouveaux postes, conseils et comités sera donc à trouver dans les budgets existants – au détriment des autres missions des instituts. Sauf si le budget de la culture n’augmente. Avec 0,8 pour cent des dépenses budgétaires, quelque 177 millions d’euros, il reste encore de la marge.