Le groupe financier Fuchs&Associés développe des activités sportives numériques et ambitionne d’attirer l’argent du football. Fuchs Sports a signé des accords de diffusion exclusifs de matchs avec la France. A Luxembourg, le groupe s’est heurté au lobby de RTL et de la FLF.

Plus discret que le flamboyant Gerard Lopez, Jean Fuchs prend une trajectoire comparable à celle du patron et fondateur de Genii: utiliser le levier du sport pour attirer des affaires à Luxembourg. Ce que Lopez a fait jadis dans la Formule1 pour développer son terrain de chasse autour des circuits, Fuchs le réalise dans le streaming, c’est-à-dire la diffusion en ligne gratuite de matchs de football. «Fuchs Sports veut devenir un acteur majeur, au niveau international, de la médiatisation et de la digitalisation du sport», assure le banquier. Il ose même la comparaison avec les géants mondiaux de l’entertainment: «Nous pourrions être une société média du genre de Disney».

En lançant l’aventure Fuchs Sports, il entend ainsi relancer les affaires de l’entreprise indépendante de gestion de fortune qu’il a créé en 2000, à l’âge d’or de la place financière. «Depuis dix ans, il n’est plus automatique pour les clients français, belges ou allemands de penser à Luxembourg pour le wealth management», constate-t-il dans un entretien à Reporter.lu.

Instrument de marketing

Jean Fuchs dit réfléchir à la diversification des activités de Fuchs Finances, qui gère 6 milliards d’euros d’actifs, depuis des années, mais ce n’est qu’en 2019 qu’il aurait eu le déclic d’élargir son champ d’action aux terrains de foot. «Cela ne vaut pas la peine de s’intéresser à un domaine où il n’y a pas de sous. Les sportifs en ont plein et les budgets consacrés au football sont énormes», déclare-t-il avec un franc parler qui est la marque de fabrique de cet Alsacien arrivé au Grand-Duché en 1982, lorsque l’activité de gestion de fortune était encore balbutiante.

Le secret bancaire allait propulser en deux décennies le Grand-Duché aux premières places européennes de la gestion privée et devenir un pôle d’attraction pour les fortunes allemandes, belges et françaises plus ou moins déclarées. Avec l’alignement de la régulation financière sur les normes internationales, la gestion privée est devenue moins attractive et surtout plus concurrentielle. «Il faut se spécialiser et trouver une accroche pour se différencier par rapport aux 50 sociétés de gestion présentes à Luxembourg», explique Jean Fuchs. «Les marques, précise-t-il, considèrent le sport comme un instrument essentiel au développement et donc un support essentiel de notoriété, de communication et de marketing».

«En 20 ans de Fuchs Finances, il n’y a pas eu d’éclairage médiatique, mais depuis le lancement de la plateforme de streaming Fuchs Sports, je ne compte plus les articles de presse, notamment dans les médias français», poursuit-il.

Contrats exclusifs en France

La plateforme de streaming Fuchs Sports a en effet fait le «buzz» cet été en France en signant avec la Fédération française de football des contrats de diffusion exclusive des matchs de Nationale 2 et 3 et de Régionale 1. Une douzaine de candidats étaient en lice et la société luxembourgeoise a remporté la mise grâce à une offre qui devrait permettre aux clubs de moyenne envergure et aux amateurs de générer des revenus liés au sponsoring. Fuchs prévoit un système de partage des recettes publicitaires tirées de la diffusion des matchs. Ces recettes pourraient avantageusement compenser le manque à gagner des clubs qui voient les stades et les buvettes désertés en raison des mesures sanitaires en lien avec la Covid-19.

Cela ne vaut pas la peine de s’intéresser à un domaine où il n’y a pas de sous. Les sportifs en ont plein et les budgets consacrés au football sont énormes»Jean Fuchs, fondateur de Fuchs&Associés Group

Dans sa présentation officielle, Fuchs&Associés Group souligne qu’en France, le sport pèse 91 milliards d’euros et représente près de 450.000 emplois, 360.000 associations et 112.000 entreprises. Le contrat avec la fédération française prévoit d’équiper 570 stades de caméras numériques ultra perfectionnées qui vont permettre de reconstituer les matchs et exploiter les différentes images grâce à l’intelligence artificielle.

Fuchs Sports, qui sous-traite l’ensemble de ses prestations techniques, travaille depuis la mi-août avec ses partenaires à raison de l’équipement d’un stade par jour. La société emploie actuellement dix personnes avec à sa tête Frédéric Lamotte, ancien entraineur de Virton, recruté un temps puis remercié par le promoteur immobilier Flavio Becca, patron du club belge.

Après le foot, le rugby

Les prochaines étapes du développement de Fuchs Sports se feront en Espagne, en Suisse, au Portugal et même en Afrique du Sud où des discussions seraient déjà bien engagées pour la diffusion de compétitions de rugby. En Turquie, la société ambitionne l’équipement de 196 stades.

Jean Fuchs se refuse à avancer le moindre chiffre sur le budget consacré à l’activité de digitalisation sportive. Il ne veut pas divulguer le détail des contrats ni l’envergure de ses investissements à la concurrence.

«Ce n’est pas le foot luxembourgeois qui nous fera connaître au niveau européen. De plus, il n’y a pas beaucoup d’argent à y gagner», estime Jean Fuchs, fondateur du groupe financier Fuchs&Associés. (Photo: photo-oxser / Shutterstock.com)

Le saut du banquier dans l’univers du ballon rond et de l’industrie numérique s’est fait au gré des rencontres avec des responsables de ligues de football, des entraineurs et des stars de cette discipline en France et en Belgique.

Pour autant, son parcours n’a pas été un long fleuve tranquille. En mai 2019, Fuchs s’associe à la plateforme allemande de diffusion de matchs de foot et de basket Sporttotal.tv pour créer à Luxembourg Sporttotal International. L’aventure tourne court en raison de différends commerciaux et stratégiques. «Nous ne nous sommes pas entendus sur le modèle d’affaires, car eux voulaient vendre de l’image par abonnement et nous souhaitions diffuser le streaming gratuitement», explique le dirigeant. L’affaire s’est réglée devant les tribunaux. Jean Fuchs refuse de s’étendre sur cet épisode.

Revers avec la FLF

Il ne veut pas davantage commenter ses récents déboires au Luxembourg avec la ligue luxembourgeoise de football (LLF) et la fédération, la FLF. En juin dernier, Fuchs Sports a «challengé» le groupe RTL en répondant à l’appel d’offre de la LLF pour l’introduction du streaming dans le football luxembourgeois. Vu comme une «véritable révolution dans le microcosme du sport luxembourgeois», le marché consistait à équiper des stades et salles de caméras et servir des images des matchs de la BGL League et de la Promotion d’honneur des clubs luxembourgeois.

L’offre du groupe financier avait séduit le président de la ligue, le Pétangeois Pascal Wagner. Mais suite à des dissensions insurmontables avec des clubs de l’élite et la FLF, ce dernier a dû démissionner et laisser la place à Karin Reuter, qui est à la ville l’épouse du député ADR Roy Reding.

La solution RTL, notre partenaire historique et stratégique, qui garantit à nos yeux au mieux que le football luxembourgeois garde et renforce sa place de sport numéro 1 au Luxembourg»Paul Philipp, FLF

Lorsqu’elle reprend la main sur la ligue, Karin Reuter poursuit les discussions qui avaient été initiées avec Fuchs Sports pour l’attribution des droits de streaming. Elle convoque ses dirigeants le 29 juin dernier et leur demande de reformuler leur offre de contrat, réclamant notamment une exclusion totale des paris sportifs, une activité que le streaming devrait encourager à plus ou moins court terme.

Le projet de contrat que Reporter.lu a pu consulter prévoyait sur 4 saisons (2020 à 2024), outre le financement intégral du projet, des revenus garantis de 230.000 euros auxquels pouvaient s’ajouter des revenus potentiels de 1,58 million d’euros tirés du sponsoring. Fuchs s’engageait à rétrocéder 50% de son chiffre d’affaires net à la ligue.

Marché de dupes

Toutefois, la puissance FLF, dirigée par Paul Philipp, a douché les espoirs de l’outsider Fuchs Sports. Le 10 juillet, Paul Philipp et Jean-Jacques Schonckert, respectivement président et vice-président de la fédération, écrivent aux clubs luxembourgeois de la promotion d’honneur pour leur rappeler que la FLF est détentrice des droits de diffusion des matchs et qu’elle a donc son mot à dire pour l’attribution du marché. Les deux hommes se prononcent ouvertement et sans complexes en faveur de «la solution RTL, notre partenaire historique et stratégique, qui garantit à nos yeux au mieux que le football luxembourgeois garde et renforce sa place de sport numéro 1 au Luxembourg». L’affaire est pliée.

Quatre jours plus tard, le vote des clubs penche en faveur de RTL. «Ce fut un marché de dupes», déplore une source proche du dossier qui a requis l’anonymat. «Si le conseil de la concurrence s’était saisi de cette procédure d’appel d’offre, ça ne passait pas», poursuit cette source.

Jean Fuchs, pour sa part, a déjà tourné la page. «Je ne suis pas déçu», assure-t-il. «Ce n’est pas le foot luxembourgeois qui nous fera connaître au niveau européen. De plus, il n’y a pas beaucoup d’argent à y gagner», ajoute-t-il.

Le fondateur du groupe financier entend rentrer dans ses frais et atteindre la rentabilité de ses activités sportives au bout de la 3e ou 4e année. En marge des retombées financières attendues pour son fonds de commerce dans la gestion de fortune, il espère aussi tirer des revenus de l’exploitation des images et données numériques des joueurs qui appartiennent à Fuchs Sports. «Ces données ont une valeur et nous pouvons en faire ce que nous voulons», se réjouit-il.