Onze ans après son départ de la direction du Service de renseignement, Marco Mille a été officiellement démis de ses fonctions de conseiller de gouvernement. Une procédure disciplinaire avait été ouverte à l’automne 2013 à son encontre pour sa responsabilité dans les dysfonctionnements du Srel.
Marco Mille fait-il partie des purges qui sont intervenues en début d’année au sein de la fonction publique? Le nom de l’ancien chef du renseignement luxembourgeois apparait en tout cas dans le lot de démissions de l’administration gouvernementale documentées mercredi dans le journal officiel. «Par arrêté grand-ducal du 29 janvier 2021, démission de ses fonctions de conseiller au grade 16 auprès de l’administration gouvernementale est accordée à Monsieur Marco Mille», signale le Mémorial B, sans autre commentaire.
La décision a été rendue publique en plein milieu de la trêve estivale et intervient huit ans après l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de celui qui fut le plus jeune, mais aussi le plus controversé directeur du Service de renseignement de l’État (SRE) entre 2003 et 2010.
Le 1er mars 2010, il a pris un congé sans solde pour passer dans le secteur privé comme directeur de la sécurité au siège de Siemens en Allemagne. Poste qu’il occupe toujours. Le congé est arrivé à sa limite des dix ans. L’intéressé n’a pas non plus introduit de demande de réintégration dans la fonction publique luxembourgeoise, fait savoir le service presse du ministère d’Etat. Sa démission s’inscrirait donc dans la normalité et serait sans lien avec une procédure disciplinaire dont on ne sait plus rien depuis plusieurs années. Sa publication au Journal officiel six mois après l’arrêté grand-ducal serait à mettre sur le compte d’un «oubli de l’administration», font encore valoir les services du ministère de Xavier Bettel.
Une ascension fulgurante
Marco Mille est l’homme qui a espionné le Premier ministre Jean-Claude Juncker, CSV, et celui qui est à l’origine de la chute de son gouvernement à l’automne 2013. Outre les poursuites disciplinaires que Juncker a ouvertes le 15 octobre 2013, quelques semaines avant de quitter le pouvoir, Mille a été au cœur d’un retentissant procès en correctionnelle. L’ex-chef du Srel avait été renvoyé devant les juges avec deux autres agents du renseignement, Frank Schneider et André Kemmer, pour avoir mené des écoutes illégales en janvier 2007 de Loris Mariotto, patron d’une société de systèmes de sécurité et accessoirement ancien informateur du Srel. Maintes fois repoussé, le procès en première instance a eu lieu au printemps 2020.
En juin 2020, les trois prévenus ont été acquittés, mais le Parquet a fait appel de la décision et un second procès devrait en principe se tenir à l’automne. Une ombre pèse toutefois sur la tenue de l’affaire compte tenu d’une procédure d’extradition aux Etats-Unis pesant sur l’ancien agent Frank Schneider pour son implication dans une escroquerie présumée aux cryptomonnaies.
Diplômé en sciences politiques et en littérature allemande, Marco Mille est entré au SRE en 1998. Son ascension est fulgurante. Il en est rapidement devenu le chef des opérations avant d’en prendre la tête en 2003, alors qu’il était loin d’être le premier choix du Premier ministre de l’époque. Jean-Claude Juncker cherchait en effet à recruter un magistrat, ou à tout le moins un juriste, mais faute de candidats, le choix par défaut se porte sur Marco Mille, alors trentenaire. Le jeune directeur s’entoure de Frank Schneider, qu’il nomme à la tête des opérations du service de renseignement. Les deux hommes introduisent des méthodes non conventionnelles d’espionnage, notamment dans le domaine économique.
Méthodes de barbousards
Certaines opérations tournent mal et dérapent, comme en janvier 2007, où Mille, Schneider et Kemmer mettent sur écoute Mariotto sans l’autorisation explicite du chef du gouvernement. Quelques jours plus tard, pour se couvrir ainsi que ses deux équipiers, Mille se rend dans le bureau de Jean-Claude Juncker et enregistre la conversation à l’aide d’une montre espion. L’enregistrement fut d’abord transmis aux membres de la commission de contrôle du Srel, qui vont banaliser son contenu en 2009. Marco Mille est alors convaincu d’avoir été blanchi par les députés.
Mais l’affaire prend une toute autre tournure trois ans plus tard, après les révélations par la presse du contenu de la conversation entre Mille et Juncker. En 2012, l’opposition s’empare de l’affaire qui jette le doute sur l’espionnage politique au Luxembourg. Une commission d’enquête parlementaire s’ouvre et fournit un éclairage sur le mode opératoire controversé du Srel, à la limite de la barbouzerie, et la proximité de certains de ses agents avec les milieux d’affaires russes.
Marco Mille, qui a couvert les dérives de ses agents, perd la confiance de Juncker. Il cherche alors une porte de sortie du Srel. Il vise d’abord le poste de coordinateur de l’Union européenne contre le terrorisme, qui dépend alors de Javier Solana, le premier haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE. Toutefois, le job lui échappe, faute de soutien politique de Juncker, qui avait de grandes ambitions européennes pour lui-même.
Grâce à ses bonnes connexions avec la BND, le service fédéral de renseignement allemand, Marco Mille décroche finalement le poste prestigieux de directeur de la sécurité chez Siemens. Il demande et obtient un congé sans solde et même une promotion de premier conseiller de gouvernement peu avant de quitter la fonction publique. En 2012, lorsque l’affaire du Srel éclate, il est rattrapé par le scandale, mais il garde la confiance de son employeur privé.