La banque Fortuna a été sanctionnée par le fisc pour s’être montrée sourde à une demande de renseignement. Exsangue après deux échecs de reprise de son capital, la banque reconnaît sa mauvaise gouvernance. L’amende a été rabotée après un recours administratif.

Gérard Grbic venait à peine de quitter son poste de directeur pour rejoindre l’ABBL, que la banque Fortuna recevait un courrier de l’Administration des contributions directes (ACD) lui enjoignant de fournir des informations sur un de ses clients, poursuivi par le fisc français. La lettre est réceptionnée le 18 mai dernier. L’administration laisse un peu plus d’un mois, jusqu’au 24 juin, pour répondre à deux demandes de renseignement.

L’administration française s’intéresse au client de la petite banque coopérative pour ses transactions entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2020. Le fisc veut connaître le périmètre de la fortune placée au Luxembourg, savoir qui a ouvert le compte, son solde, les transferts d’argent qui ont été effectués ainsi que leur destination. Le client visé ayant un emprunt, les investigations portent aussi sur la forme du prêt et ses garanties.

Le fisc inflexible

La loi de 2014 sur l’échange de renseignements sur demande oblige l’établissement à coopérer endéans quatre semaines. La première correspondance reste toutefois lettre morte. L’ACD relance la banque le 8 juillet et lui donne jusqu’au 22 du même mois pour réagir. Sans réponse de Fortuna, l’administration luxembourgeoise lui inflige le 30 août une amende administrative de 120.000 euros, soit presque la moitié du maximum prévu par la loi (250.000 euros). Quelques jours plus tard, début septembre, l’établissement se plie à l’injonction et communique les renseignements demandés. Trop tard, l’ACD reste inflexible.

Le 29 septembre 2022, la banque coopérative dépose un recours devant le tribunal administratif pour contester la sanction. La procédure est traitée au pas de course. Le jugement est prononcé le 15 novembre. Dans les autres affaires ne relevant pas de l’échange d’informations fiscales avec l’étranger, les délais s’écoulant entre le dépôt d’un recours et la décision atteignent 14 mois en moyenne.

La procédure administrative met les projecteurs sur une sanction qui n’est, en principe, pas publique, secret fiscal oblige. La banque justifie son absence de réactivité et ses manquements par des difficultés internes et une gouvernance défaillante. «Au regard de sa situation difficile depuis plusieurs années, marquée par des pertes opérationnelles, deux échecs, en 2018 et 2020, de retrouver un nouvel actionnaire souhaitant continuer l’exploitation, ainsi qu’une réduction de son personnel, elle n’aurait pas été en mesure de fournir, dans le délai lui imposé, toutes les informations demandées par les autorités fiscales luxembourgeoises», signale le jugement du 15 novembre consulté par Reporter.lu.

Les dirigeants de Fortuna expliquent que le dossier du client français était «en cours de digitalisation par une société externe, de sorte de ne pas avoir été disponible lors de la réception (des courriers de l’ACD)». L’aveu de l’indisponibilité des informations sur l’un de ses clients surprend, lorsque l’on connaît les exigences règlementaires qui pèsent sur l’organisation des établissements de crédit, notamment en matière de gouvernance et de secret professionnel.

Comportements dilatoires

La banque admet d’ailleurs son incapacité à avoir «pu faire face» aux exigences de la règlementation, notamment en raison d’une pénurie de personnel. «Sa réponse tardive, a plaidé son avocat, ne serait pas due à une quelconque attitude récalcitrante, mais s’expliquerait par une combinaison de facteurs exceptionnels», dont des pertes d’exploitation récurrentes, des cessions d’actifs (Fortuna a vendu son siège social) et des carences en ressources humaines.

L’ACD a défendu pour sa part le caractère «coercitif» de l’amende et en a justifié le montant élevé par la gravité des manquements. Le fisc luxembourgeois a surtout voulu faire un exemple. «Il convient de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif en vue de sanctionner les détenteurs en cause, mais aussi en vue de dissuader d’autres détenteurs de s’engager dans de pareils comportements dilatoires», résume le jugement. Le fisc s’est aussi expliqué sur les critères de fixation de l’amende, basés sur la somme de bilan des entreprises sanctionnées (entre 1 et 3%).

Les juges administratifs ont toutefois choisi de ramener l’amende à 12.500 euros, en le rapprochant du seuil minimum de 10.000 euros. La juridiction a expliqué sa bienveillance par le fait que Fortuna avait fini par fournir les renseignements demandés, même si sa réponse est intervenue début septembre, au lieu du 24 juin.

Ce n’est pas la première fois qu’une juridiction administrative fait preuve de largesses à l’égard des professionnels sanctionnés pour des manquements à la loi sur l’échange de renseignements fiscaux entre Etats membres de l’UE. En juillet dernier, le tribunal a réduit de 50.000 euros à 10.000 euros l’amende fiscale d’une société anonyme en invoquant des principes généraux de proportionnalité, d’individualité, de gravité des faits et de durée de la situation. En novembre 2018, les juges avaient annulé une amende de 48.000 euros pour des raisons identiques.

La banque Fortuna est actuellement en cours de dépeçage. La BCEE s’est engagée à reprendre sa clientèle, mais sans ses 17 employés encore restants. L’établissement a échoué en 2018 et en 2020 pour des raisons règlementaires à trouver un repreneur. La banque coopérative a clôturé son exercice 2021 avec un bénéfice de 7,75 millions d’euros provenant de la vente de son siège social pour 15,5 millions d’euros. L’exercice 2020 s’est soldé par une perte de 2,25 millions d’euros.


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