Le nombre de magasins vides à Luxembourg-Ville semblait avoir atteint un pic cet été. Or, selon la directrice de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg (UCVL), Anne Darin, il s’agit d’une fausse impression. Le taux de vacance serait moins élevé qu’auparavant, du moins en centre-ville. Interview.

Interview: Laurence Bervard

Madame Darin, faut-il selon vous s’inquiéter du nombre de magasins qui ont fermé en centre-ville cet été? Leur nombre est-il alarmant?

Anne Darin: Le taux de vacance des commerces en centre-ville est relativement stable. Contrairement à ce que pensent certaines personnes, il n’est pas plus élevé qu’avant.

Sur quelles données vous basez-vous pour établir ce diagnostic?

L’UCVL réalise tous les trois mois un relevé des vacances commerciales dans les quartiers du Centre et de la Gare. Nous analysons deux périmètres fixes à forte densité commerciale. Ce cadastre évolue chaque année et de nouveaux locaux y sont régulièrement rajoutés ou supprimés en fonction de la rénovation des bâtiments.

Comment le taux de vacance a-t-il évolué au cours des dernières années?

Le taux de vacance du quartier centre était toujours d’environ 6,5% entre 2015 et 2017. Il a connu une augmentation en 2018 où il est monté quelques mois à 9%. En juillet de cette année, il était de 6,8%.

Pour le quartier gare, le taux a toujours été relativement faible, autour de 4,5% entre 2015 et 2018. Il connaît actuellement une hausse en raison des nombreux chantiers et changements dans le quartier. Lors de notre dernier relevé en juillet, il était de 7%.

Et malgré cela, on a l’impression qu’il y a plus de magasins vides qu’avant …

Il est vrai que certaines fermetures sont plus visibles que d’autres, surtout pour les commerces situés dans des rues à fort passage.

Toutefois, ce ne sont pas que des fermetures définitives, étant donné que ces derniers mois, il y a eu beaucoup de déménagements et de rénovations de locaux commerciaux. Certaines fermetures ne sont donc que des fermetures temporaires.

Avec les chantiers, le lèche-vitrine devient de plus en plus difficile. (Photo: Matic Zorman)

Comment vous expliquez-vous de si fortes variations des taux de vacance que vous avez relevés?

Il faut remettre ces chiffres locaux dans un contexte plus global. Depuis 2015, les commerçants font face à un cumul de changements importants avec le début de chantiers d’envergure en centre-ville, dont celui du tram, du Royal Hamilius, du parking Knuedler, du réaménagement de la vieille ville, etc. Ces chantiers ont engendré des changements : la réorganisation des lignes de bus, des changements de sens de circulation temporaires ou permanents, la suppression des places de stationnement.

De plus, de nombreux grands projets commerciaux ont vu le jour au Grand-Duché. Les trois dernières années ont connu une hausse record avec 30% de surfaces commerciales supplémentaires dans tout le pays. Plus de 100.000 m2 de surfaces commerciales se sont rajoutées à celles déjà existantes. Cela inclut les extensions dans certains centres commerciaux.

Cela a poussé de nombreux commerçants indépendants et enseignes internationales à revoir leur stratégie d’implantation et à se positionner par rapport aux surfaces commerciales. Ceci a tout naturellement fait fluctuer le taux de vacance commerciale en ville.

Si on tient compte du contexte actuel, le taux de vacance est quand même très correct, lorsqu’on le compare à celui d’autres villes à taille comparable. Chez nos voisins belges et français, les taux moyens de vacance se situent autour de 11%, avec des disparités entre petites et grandes villes.

Ne serait-il pas plus opportun de comparer le taux de vacance du Luxembourg avec celui des autres capitales?

Nous pensons qu’il faut comparer une ville avec une ville de taille comparable, car il y a de grandes disparités entre petites et grandes villes. Les villes de plus de 100.000 habitants ont généralement un taux de vacance inférieur comparativement aux villes de moins de 50.000 habitants.

La durée du chantier du Knuedler est incompréhensible pour les commerçants. Il est compréhensible qu’ils se plaignent.“

Combien de temps un commerce peut-il supporter les répercussions d’un chantier? Combien de temps peut-il tenir?

C’est très variable, tout dépend de la durée du chantier, des nuisances occasionnées et de ses capacités à s’adapter face aux pertes de clientèle. Un commerçant indépendant avec un seul point de vente aura plus de difficultés à faire face à une perte de chiffre d’affaires qu’un groupe qui peut compenser ses pertes grâce à ses autres points de vente.

Il y a deux cas de figure, certains décident de déménager et d’autres restent et développent de nouvelles stratégies. S’il y a un chantier, il est évident que les commerces des rues autour vont souffrir. Il y a certains commerces qui réussissent à maintenir une attractivité, mais c’est difficile aujourd’hui.

De nombreux magasins fermés récemment se trouvent à proximité de chantiers. (Photo: Eric Engel)

Dans tous les cas, vous disposez d’ores et déjà du cadastre des commerces dans la capitale. Or, lorsqu’on demande une appréciation de la situation des commerces aux politiques de la Ville de Luxembourg, ils ne font aucune mention du taux de vacance que vous avez relevé. Pourquoi ne se fient-ils pas à vos chiffres?

Nous effectuons un relevé précis uniquement pour le centre-ville, c’est-à-dire les quartier Gare et Centre. La Ville de Luxembourg a un cadastre qui regroupe les 24 quartiers afin de comprendre de façon globale leur diversité commerciale. Que ce soit la Ville ou l’Union Commerciale, chacun travaille avec des outils adaptés à ses besoins. Nous avons des échanges réguliers avec la Ville et leur transmettons les évolutions de la vacance commerciale en centre-ville.

Pour les chantiers prolongés, il faut absolument prévoir des dédommagements pour les commerçants.“

Est-ce que l’UCVL conseille aussi la Ville de Luxembourg? Avez-vous par exemple mis en garde la commune contre les conséquences de l’ouverture de tant de surfaces commerciales à proximité du centre-ville?

L’UCVL a des échanges réguliers avec les pouvoirs publics et demande à ce qu’ils soient vigilants aux équilibres commerciaux entre les quartiers d’une même ville, entre les centres-villes et les territoires périphériques, entre les petits commerces et les grandes surfaces. C’est un défi majeur pour que le commerce de détail dans son ensemble garde son attractivité.

Si l’on prend par exemple le projet Cloche d’Or au format imposant de 75.000m2 planifié il y a 10 ans, il ne serait certainement plus retenu aujourd’hui. En tant qu’UCVL, nous étions opposés à ce projet dans l’envergure actuelle. En effet, on recommande de plus en plus de petits pôles commerciaux de proximité sur différents endroits d’un quartier pour mieux répondre aux besoins des usagers locaux qui recherchent aujourd’hui des lieux de vie avec des terrasses et places conviviales donnant sur l’extérieur favorisant la mobilité douce et le gain de temps.

Qu’en est-il du projet Royal-Hamilius? Est-il mieux adapté?

C’est un projet différent où il y a une bonne mixité entre les fonctions bureaux, logements et commerces et qui apportent des nouveautés : une terrasse publique panoramique en centre-ville, un Department Store, et l’agrandissement de la zone piétonne avec une place supplémentaire. Ce projet à taille humaine complète l’offre en centre-ville.

Qu’en est-il des dédommagements? Aident-ils suffisamment des commerces fragilisés?

Les commerçants qui se trouvent sur le tracé du tram sont éligibles à des dédommagements. Les commerces qui ne se trouvent pas sur la ligne directe du tram ne sont pas éligibles. Nous sommes d’avis qu’il devrait y avoir des dédommagements pour tous les commerçants à proximité des chantiers de longue durée, qu’ils soient liés au tram ou non.

En avez-vous parlé à la Bourgmestre?

Nous avons des discussions régulières avec la Bourgmestre de la Ville de Luxembourg et l’échevin au commerce sur les chantiers et leurs impacts sur le commerce.  Sur base des doléances émises par les commerçants, nous faisons des propositions concrètes visant à garder l’attractivité en période de chantiers.

Dans certains pays comme la France ou la Belgique, il existe une base légale permettant la mise en œuvre d’une indemnité compensatoire en cas de travaux sur la voie publique en vue d’obtenir la réparation du préjudice commercial.

Beaucoup de loyers ont baissé depuis plus d’un an, certains jusqu’à 25%“

La Ville de Luxembourg vous consulte-t-elle lorsqu’elle décide de multiplier les chantiers qui affecteront les commerçants?

Depuis 2015, la Ville de Luxembourg connaît une très grande mutation avec de nombreux chantiers importants et changements au niveau de la mobilité. Lors de nos échanges avec la Ville, nous insistons pour avoir au préalable des informations sur les timings de chantier et leur durée afin que les commerçants puissent s’organiser et anticiper.

Nous essayons aussi de demander que lors des moments phares pour le commerce pendant l’année, les chantiers puissent être suspendus ou adaptés afin de garantir la vie commerciale. Nous demandons également des actions telles que des gratuités de parking pour les clients et de l’information sur l’accessibilité du centre-ville.

Au Knuedler, le chantier traîne depuis des années. Est-ce acceptable?

La durée du chantier du Knuedler est incompréhensible pour les commerçants. Initialement prévue pour un délai de 4 ans, nous en sommes maintenant à 7 ou 8 ans, ce qui est difficilement acceptable. Il est alors compréhensible que les commerçants se plaignent.

En effet, dans le cas d’un chantier qui est trop en retard, les commerçants à proximité ne peuvent pas se projeter et élaborer une stratégie, ce qui est très dommageable. Pour de tels chantiers prolongés, il faut absolument prévoir des dédommagements pour les commerçants.

Selon vous, la situation des loyers a-t-elle évolué en ville?

Avec la mise sur le marché au Grand-Duché de nombreuses nouvelles surfaces commerciales, nous avons pu constater en discutant avec les propriétaires et commerçants que beaucoup de loyers ont baissé depuis plus d’un an, certains jusqu’à 25%. Cependant les disparités restent fortes.

A combien de propriétaires avez-vous parlé pour vous faire cette vue d’ensemble?

Nous avons 500 membres et je dirais que nous avons parlé de ce sujet précis à plus d’une centaine d’acteurs concernés, qu’ils soient propriétaires ou locataires.


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