La sécurité de l’aéroport est préoccupante avec des avions fantômes sur les radars et des déficiences de la surveillance du trafic. La Direction de l’aviation civile a émis un avis de non-conformité de la couverture radar du Findel, le tout sur fond d’un litige avec la «Deutsche Flugsicherung».

Lorsqu’il prit ses fonctions à la tête de Luxair en 2000, Christian Heinzmann s’était dit consterné par l’organisation archaïque de l’aéroport, le comparant à un «aéroport africain». Ces propos iconoclastes lui valurent de solides inimitiés. Deux décennies plus tard et à l’heure du ciel unique européen, la sûreté du Findel est toujours incertaine et les réflexes provinciaux y sont toujours à l’œuvre.

Selon les informations de Reporter.lu, la Direction de l’aviation civile (DAC) a délivré en novembre dernier un avis de non-conformité à l’Administration de la navigation aérienne (ANA), en charge de la gestion du trafic dans l’espace aérien luxembourgeois. Un avis de non-conformité est à l’aviation civile ce qu’un carton jaune est au football. L’autorité responsable de la sûreté de l’aéroport a ainsi visé les déficiences de la chaîne de surveillance pour gérer le trafic aérien luxembourgeois, c’est-à-dire les systèmes radars et de communication qui permettent d’avoir une représentation spatiale en temps réel des positions des avions depuis le contrôle aérien.

Un audit qui tourne mal

Interrogée par Reporter.lu, la DAC précise que son avis de non-conformité est de niveau 1, soit le niveau de gravité le plus élevé: «La non-conformité a été émise lors d’un audit de supervision continue qui a été effectué les 10 et 11 novembre 2020», indique sa porte-parole.

Plus de trois mois ont passé depuis lors, mais la constatation de non-conformité n’a toujours pas été levée. Elle «restera en place jusqu’à ce que l’ANA ait appliqué les mesures correctrices avec succès», souligne la DAC. La régularisation, si tant est qu’elle intervienne, prendra des mois.

Ces défaillances n’ont pas encore mis en danger un avion de manière directe, mais elles constituent une condition latente qui pourrait conduire ou contribuer à des incidents de sécurité.“DAC, Annual Safety Report, janvier 2021

Ni la DAC ni le ministère du Développement durable et des Infrastructures (MDDI) n’ont détaillé de manière explicite les déficiences majeures identifiées dans la chaine de contrôle du trafic aérien. Ils reconnaissent toutefois que les problèmes sont apparus lors de la transition entre l’ancien système de surveillance et le nouveau système. «La mise en opération d’un nouveau système de surveillance est toujours un évènement délicat et important pour les services de navigation aérienne», reconnaît une porte-parole du ministère.

Les déficiences concernent essentiellement les systèmes techniques de communication, de navigation et de surveillance (CNS), qui utilisent principalement des équipements du fabricant italien Leonardo (anciennement Selex Sistemi Integrati).

Pour la petite histoire, la firme italienne avait vendu au milieu des années 2000 aux Luxembourgeois un troisième radar (TAR3) pour le trafic aérien au Findel. Acheté 5 millions d’euros, l’engin n’a jamais été sorti de ses cartons d’origine. Son utilité avait été mise en cause en 2014 par la DAC ainsi que par le ministre François Bausch (Déi Gréng) qui venait alors de prendre ses fonctions aux Transports.

La DAC sort le «carton jaune»

La modernisation du système de surveillance, principalement fourni par Leonardo, ne s’est pas passée comme prévue à l’été 2019, en dépit de la présentation élogieuse qu’en avait fait l’ANA dans un communiqué de presse du 11 juin 2019: «Les contrôleurs aériens maitrisent parfaitement leur nouvel environnement de travail», soulignait l’administration.

Dans sa revue annuelle sur la sécurité (Annual Safety Review 2019), publiée en janvier 2021, la DAC a revu ce constat. L’autorité a fait en effet état de problèmes récurrents dans la surveillance radar et le traitement des données associées apparus en juin 2019 et non résolus depuis lors. «Plusieurs cas de disparition d’avions sur l’écran radar frontal, de cibles fantômes (avions représentés là où il n’y a pas d’avion) et de corrélations erronées (avions représentés, mais avec une fausse identité) se sont produits», note le rapport.

L’autorité de surpervision pourra, le cas échéant, limiter, suspendre ou révoquer tout ou en partie le certificat de prestataire de services de navigation aérienne.“Direction de l’aviation civile

«Ces défaillances n’ont pas encore mis en danger un avion de manière directe, mais elles constituent une condition latente qui pourrait conduire ou contribuer à des incidents de sécurité», poursuit le rapport. Il y a eu 1.473 incidents au Findel en 2019, en hausse de 12% par rapport à l’année précédente, toujours selon l’autorité de régulation aérienne.

Interrogée sur les conséquences de la non-conformité sur le trafic aérien, la DAC s’est voulue rassurante: «A aucun moment, la fermeture de l’aéroport n’a été envisagée». Le constat de l’autorité de sûreté aérienne tranche en tout cas avec le bilan que faisait l’ANA en juin 2019 lors de la mise à jour «règlementaire et technique fondamentale du contrôle aérien».

Du crash de 2002 à l’erreur d’aiguillage de 2010

La couverture radar a toujours été et reste le talon d’Achille de l’aéroport du Findel, où les conditions météorologiques sont mauvaises dans 27% du temps, particulièrement en hiver. En novembre 2002, le crash du vol 9642 entre Berlin et Luxembourg de la Luxair, qui avait fait 21 morts, s’était produit alors qu’un épais brouillard recouvrait le pays, même si ces mauvaises conditions météorologiques n’expliquent pas l’accident dû à une faute de pilotage.

L’enquête et le procès en responsabilité du pilote survivant et des dirigeants de la compagnie avaient montré que les pilotes profitaient du décollage au petit matin d’un jumbo-jet de la Cargolux qui avait pour effet de chasser le brouillard et d’améliorer ainsi la visibilité de la piste pendant quelques minutes, le temps d’un atterrissage d’un vol de la Luxair.

Outre les déficiences du contrôle aérien, il existe un litige entre l’Administration de la navigation aérienne et la Deutsche Flugsicherung pour rupture de contrat. (Photo: Markus Mainka / Shutterstock.com)

En janvier 2010, une catastrophe a été évitée de justesse au Findel, toujours sous des conditions de brouillard intense. Un Boeing 747 de la Cargolux a percuté à l’atterrissage une camionnette qui circulait sur la piste. Une erreur «d’aiguillage» et de communication que l’enquête avait alors attribuée à un comportement fautif d’un agent de la Tour de contrôle, mais ausi à l’absence de système performant des mouvements sur le tarmac lors des conditions météo difficiles.

L’accident de 2010 obligea l’ANA a investir, trois ans plus tard, dans un radar sol afin de «répondre aux exigences de sécurité les plus contraignantes». Il faudra attendre 2017 pour que l’équipement acheté en 2013 au groupe Saab Sensis (Canada) pour 5 millions d’euros, soit opérationnel. Pour autant, le niveau de fonctionnement de l’équipement identifiant les mouvements d’avions et de véhicules sur la piste, les taxiways et les aires de stationnement reste toujours au niveau basique d’une «surveillance améliorée», après 4 ans de service.

L’ANA hésite encore à passer à la vitesse supérieure pour activer une surveillance automatisée pour corriger les cas échéant les éventuelles erreurs humaines. «Le plus important pour la sécurité aérienne est d’avoir un radar sol opérationnel quel que soit le niveau», fait savoir le MDDI. Un postulat loin d’être partagé dans le monde de l’aviation civile.

Choix stratégiques discutables de l’ANA

Interrogée sur les hésitations et les lenteurs de l’ANA à procéder à un upgrade de son outil, la DAC a refusé de commenter les choix stratégiques et techniques du prestataire du trafic aérien.

Quoi qu’il en soit, l’ANA a jusqu’à la fin de l’année 2021 pour remédier à toutes les déficiences constatées dans sa couverture radar. La règlementation internationale sur la sûreté aérienne accorde un seul report possible. Après quoi, l’ANA risque de perdre son agrément. «L’autorité de supervision pourra, le cas échéant, limiter, suspendre ou révoquer tout ou en partie le certificat de prestataire de services de navigation aérienne», confirme la DAC.

L’ANA devra apporter les premiers correctifs au mois de juin, selon les informations du MDDI. «Plusieurs mesures d’atténuation des risques ont été mises en place très rapidement afin de garantir le haut niveau de sécurité», rassure le ministère, en relativisant la gravité de la sentence de la DAC. «Les mesures correctives correspondent pour l’essentiel à de la mise à jour documentaire liée à la règlementation européenne relative à l’interopérabilité. Il convient de démontrer que nous répondons à un ensemble d’articles réglementaires, sans pour autant qu’il y ait nécessairement un problème sur les équipements», fait valoir le MDDI.

L’administration n’envisage pas de revoir ses installations de contrôle radar qui ont pourtant du mal à sortir de leur mode en rodage. «Cela ne remet pas en cause nos systèmes, qui fonctionnent depuis de nombreuses années», poursuit le ministère.

Accord avec la DFS qui capote

Le carton jaune de la DAC interroge en tout cas sur les raisons qui ont poussé l’ANA à renoncer à son partenariat avec la Deutsche Flugsicherung (DFS), organisme de gestion du trafic aérien allemand. L’accord avait été initié en 2016 et signé en 2017 par le ministre François Bausch avec l’aval de la DAC et la bénédiction des représentants du personnel de l’ANA, administration très syndiquée CGFP.

Portant sur un montant total de 30 millions d’euros, le contrat avec les Allemands visait précisément à corriger les défaillances de la navigation aérienne luxembourgeoise déjà identifiées à l’époque. Il supposait toutefois un certain renoncement de souveraineté luxembourgeoise sur la gestion de son trafic aérien. Personne ne fit alors d’objection devant les enjeux que le partenariat avec les Allemands représentait en terme de sécurité aérienne.

A aucun moment, la fermeture de l’aéroport n’a été envisagée.»Direction de l’aviation civile

La DFS devait prendre notamment en main les services de communication, navigation et surveillance (CNS), qui posaient – et posent encore aujourd’hui – le plus de tracasseries à l’ANA. Les synergies s’inscrivaient dans l’esprit du ciel unique européen et devaient permettre de faire des économies de l’ordre de 40 millions d’euros en dix ans, jusqu’en 2028. «DFS offre son support pour affronter les challenges futurs et faire face aux exigences légales et règlementaires de l’aviation civile», se félicitait l’ANA en mars 2017 dans un communiqué. Quelques mois plus tôt, le directeur de la DFS était venu devant les députés luxembourgeois pour expliquer le projet d’externalisation de services à Francfort.

Or, selon les informations de Reporter.lu, à peine l’accord fut-il signé par François Bausch que les divergences insurmontables apparurent entre l’administration luxembourgeoise et son prestataire allemand. «Dans le contexte de la relation contractuelle, en 2018, (…) l’ANA et la DAS (DFS Aviation Services) ont eu des divergences de vue de sorte que la continuité du contrat n’était plus garantie», reconnaît le MDDI.

La rupture a été consommée par l’ANA après une demande de modification du contrat, refusée par les Allemands. L’affaire a débouché devant le tribunal de et à Luxembourg. Elle n’est toujours pas plaidée, la partie luxembourgeoise ayant demandé plusieurs fois une remise «La DAS a assigné l’ANA en responsabilité pour résolution fautive», précise le MDDI.

L’Etat luxembourgeois se voit ainsi réclamer par l’ancien partenaire des indemnités correspondant «à un pourcentage du montant total du contrat (30 millions d’euros, Ndlr), représentant la perte potentielle d’une marge bénéficiaire», reconnaît le ministère, sans vouloir en dire plus sur les montants du préjudice que l’Etat pourrait devoir rembourser à la DFS s’il perd le bras de fer judiciaire.

 

Cet article a été modifié. Le litige entre la DFS et l’ANA ne va pas se dérouler devant une juridiction à Francfort, mais devant le tribunal de et à Luxembourg.