Un juge d’instruction a convoqué et inculpé cette semaine à tour de rôle les dirigeants de 5 ONG belges et luxembourgeoise et 7 de leurs employés. Ces comparutions font suite à des plaintes de la multinationale agro-industrielle SOCFIN dont le siège est à Luxembourg.
Après les avoir poursuivis en France, le groupe agro-industriel SOCFIN attaque au Luxembourg les activistes des droits humains qui dénoncent ses violations et les conditions d’exploitation dans ses plantations en Afrique et en Asie.
Dans un communiqué de presse publié ce vendredi 6 décembre, SOCFIN annonce avoir porté «plainte avec constitution de partie civile au Grand-Duché de Luxembourg pour calomnie, diffamation, injure-délit et atteinte à l’intimité de la vie privée contre un certain nombre d’associations et de personnes physiques».
La multinationale précise qu’une «instruction est actuellement en cours», mais elle se refuse à communiquer davantage par «respect pour le secret de l’instruction et la présomption d’innocence». La société qui a son siège social au Luxembourg assure faire «confiance dans la justice de son pays pour voir la vérité enfin établie».
Plaintes et inculpations
Il s’agit de trois plaintes déposées en janvier, avril et août 2019 par SOCFINAF, une filiale de SOCFIN, visant les dirigeants et employés des associations 11.11.11, CNCD-11.11.11, Fian Belgium, SOS Faim Belgique et SOS Faim Luxembourg. «Onze personnes ont été entendues et inculpées» indique à REPORTER le service presse de l’administration judiciaire.
SOCFIN est familier avec les procédures en diffamation contre les ONG et les journalistes, mais jusqu’à présent le groupe ciblait ses détracteurs et contradicteurs en France ou en Belgique. Le ciblage des activistes devant la justice luxembourgeoise est inédit.
Les ONG attaquées sont des chiens de garde de la démocratie (et) leurs expressions bénéficient en conséquence d’une protection particulière»Pierre Hurt, avocat
L’ONG belge Fian Belgium a dénoncé jeudi 5 décembre dans un communiqué de presse «les nouvelles poursuites-bâillons» initiées par la multinationale dont elle est la cible avec trois autres organisations de solidarité Nord-Sud et de défense des droits humains.
«Du 2 au 5 décembre, 4 ONG et 7 de leurs employés ont été appelés à comparaître devant un juge d’instruction au Luxembourg suite à une plainte initiée par la multinationale agro-industrielle SOCFIN», indique un communiqué de Fian Belgium.
Les unes après les autres, onze personnes se sont vu notifier leur inculpation par le juge d’instruction. Celui-ci devra rédiger un rapport et renvoyer les prévenus devant le Parquet, s’il considère les charges suffisantes ou classer l’affaire si le dossier n’apparaissait pas assez consistant.
Une protection particulière
Fian Belgium a produit plusieurs rapports, communiqués de presse et messages sur les réseaux sociaux mettant en cause l’expansion des activités de SOCFIN en Afrique et en Asie où le groupe exploite plus de 400.000 hectares de plantations, notamment de l’huile de palme.
«Cette expansion s’effectue au détriment des petits paysans et s’accompagne souvent de violations des droits des communautés locales, de conflits fonciers, de risques de déforestation, de pollutions, de mauvaises conditions de travail, de criminalisation des défenseurs des droits humains, etc.», souligne Fian Belgium.
Selon l’ONG, les plaintes portent sur son rapport sur les droits humains en Sierra Leone, sur une série de communiqués des associations et d’une action de sensibilisation pacifique menée en mai dernier à Luxembourg en marge de l’assemblée générale de SOCFIN.
Les avocats belge et luxembourgeois des ONG et employés, MMe Jacques Englebert et Pierre Hurt considèrent dans le communiqué de Fian que «les ONG attaquées jouent un rôle essentiel en tant que défenseur des droits fondamentaux (…) qu’elles sont à ce titre des chiens de garde de la démocratie (et que) leurs expressions bénéficient en conséquence d’une protection particulière, notamment en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme».