En Macédoine, le parlement se penche actuellement sur l’éventuel changement de nom du pays. Une procédure complexe qui permettrait de mettre un terme à un conflit qui l’oppose à Athènes depuis 27 ans, et de lever le veto grec quant à sa candidature à l’Union Européenne et à l’OTAN.
C’est un nom qui pose problème. Du moins pour le voisin grec. Par crainte de revendications irrédentistes, Athènes refuse à son voisin septentrional l’utilisation du nom “Macédoine”, ou “République de Macédoine” dans sa forme longue. Dû à cette divergence, c’est la formule alambiquée de «Ancienne République Yougoslave de Macédoine» (ARYM) qui est utilisée au sein des instances internationales.
Car pour Athènes, la Macédoine est une région grecque, celle qui se situe au nord de la Grèce, et au sud de la République de Macédoine. Le conflit peut paraitre anachronique mais constitue néanmoins l’un des points de blocage qui empêchent la République de Macédoine d’accéder au statut de candidat à l’Otan et à l’intégration européenne. Si l’UE a donné en juin son accord conditionnel à ouvrir le processus officiel d’adhésion de la Macédoine, la Grèce s’y oppose sous son nom actuel, et les pays de l’UE
Mais cela pourrait bientôt changer. Après 27 ans de conflit – depuis l’éclatement de la Yougoslavie et l’indépendance en 1991 de ce petit pays d’environ 2 millions d’habitants – le premier ministre grec Alexis Tsipras et son homologue macédonien Zoltan Zaev sont parvenus à un accord le 17 juin dernier. Selon l’accord de Prespa, le pays pourrait devenir la «République de Macédoine Nord». Reste aux deux pays à ratifier cet accord au sein de leurs parlements respectifs.
En Macédoine comme en Grèce, le changement de nom est naturellement décrié par les forces nationalistes. Alors que les nationalistes macédoniens ne jurent que par la «République de Macédoine», les nationalistes grecs s’opposent à l’emploi par Skopje du nom de «Macédoine» même accompagné de l’adjectif «nord».
Entre légalité et légitimité démocratique
Le 30 septembre, les habitants de Macédoine ont été amenés à se prononcer sur la question lors d’un référendum consultatif. Il leur était demandé : «Êtes vous en faveur de l’adhésion à l’Union Européenne et à l’Otan, en acceptant l’accord trouvé entre la République de Macédoine et la République hellénique?». Près de 95% des votants se déclarèrent pour. Mais avec une participation limitée à seulement 37% de votants, le référendum n’a pas atteint le quorum de 50% de participation requise pour être validé.
Face à cet échec, le gouvernement mit en avant le caractère seulement consultatif du scrutin et décida d’emprunter la voie législative. Une décision décriée par les opposants de l’accord. La procédure de changement constitutionnel devrait prendre au minimum 3 mois.

Pour l’analyste politique macédonien Artan Sadiku, si le référendum n’est pas valide en droit, il n’en a pas moins une légitimité démocratique. «Nous pouvons voir les choses de deux façons différentes, explique-t-il. La première perspective serait de dire que le référendum était juste consultatif. La seconde perspective concerne le quorum de 50% de participation nécessaire pour qu’un référendum soit valide. À mon sens, cela restreint la volonté démocratique du peuple, représentée par ceux qui sont allès voter, pour ou contre : il permet à une majorité désintéressée d’empêcher une minorité affectée d’exprimer son opinion.»
Et de poursuivre: «Légalement, le référendum n’est pas valide, mais politiquement, je pense que le gouvernement a une légitimité démocratique à le faire voter au parlement puisque plus de 90% des votants se sont prononcés pour».
La majorité des deux-tiers
Le 18 octobre, le déclenchement de la procédure de modification constitutionnelle qui permettrait de changer le nom du pays a donc été soumise aux députés macédoniens. Cette procédure est complexe et requiert 3 votes différents: le premier à la majorité des deux-tiers, le second à la majorité simple et le dernier de nouveau à la majorité des deux-tiers.
Or, le parti de l’actuel premier ministre, l’Union sociale-démocrate de Macédoine (SDSM) ne dispose pas à lui seul de la majorité des deux-tiers nécessaire pour faire passer l’accord au parlement. Pour ce faire, il doit donc s’assurer le soutien de parlementaires de l’opposition.
Le 18 octobre, ce sont précisément huit membres du parti d’opposition centre-droit nationaliste VMRO-DPMNE qui ont fait pencher la balance. Ce sont eux qui ont permis au gouvernement d’atteindre exactement les 80 voix requises, soit une majorité des deux-tiers.
Le premier ministre social-démocrate Zoran Zaev les a convaincus de placer les intérêts du pays au-dessus de ceux de leur parti, le VMRO-DPMNE (centre-droit, nationaliste). Et pour prouver l’importance de ce vote: Zaev avait par ailleurs annoncé vouloir convoquer des élections anticipées s’il ne parvenait pas à recueillir la majorité des deux tiers. Suite au vote, ces huit députés VMRO-DPMNE ayant voté « pour » furent exclus de leur parti.
De leur côté, deux petits partis d’opposition de la minorité albanaise macédonienne – les Albanais représentant le quart de la population du pays – ont récemment fait savoir qu’ils conditionnaient leur soutien à l’acceptation de certaines conditions. Celles-ci concernent l’octroi du statut de langue officielle à l’Albanais au niveau national au même rang que le Macédonien, ainsi que la reconnaissance de la nation albanaise en tant que «peuple constitutif» de Macédoine.
Le chef du gouvernement grec Alexis Tsipras devra lui aussi réussir à convaincre son parlement d’approuver l’accord. Or, il doit faire face à l’opposition, mais également à son partenaire de coalition, les Grecs Indépendants, opposés à l’accord. Pour Skopje, il s’agit dans tous les cas de clore le processus avant les élections législatives qui se tiendront en Grèce en 2019 ou l’opposition grecque actuelle a des chances de l’emporter.
L’accord trouvé avec la Grèce pour résoudre le «conflit du nom» a été rendu possible par la formation mouvementée d’un gouvernement social-démocrate en Macédoine en 2017. Le gouvernement précédent mené par le VMRO-DPMNE, au pouvoir depuis 2006, fut écarté après une longue crise politique où il fut entre autres accusé d’autoritarisme, d’écoutes illégales à grande échelle, et de corruption massive. L’ancien premier ministre Nikola Gruevski a récemment été condamné en appel à 2 ans de prison pour l’achat illégal d’une Mercedes de luxe. D’autres procès sont en cours.