Ex-star de la publicité et enfant terrible, Will Kreutz doit affronter la justice en appel, accusé d’abus de biens sociaux dans la gestion de l’agence Kreutz&Friends. Sa carrière chaotique a mis sur sa route quelques notables luxembourgeois mais aussi des personnalités infréquentables.

Dans la salle presque vide de la Cour supérieure de Justice, vendredi 8 mai, l’avocat de Will Kreutz, en l’absence du prévenu, plaide sur le registre de la compassion: «Mon client essaie de se sortir de l’eau», dit-il aux juges, saisis en appel après la condamnation, il y a un an, de l’ancienne gloire de la publicité, à 12 mois de prison avec sursis et 2.500 euros d’amende pour abus de biens sociaux et blanchiment. Une lourde peine pour un délit financier commis dans le cadre de la gestion de l’agence de communication Kreutz&Friends Communication and Design sàrl (K&F), déclarée en faillite en novembre 2015.

En face de lui, l’avocat de la partie civile qui représente Lex Benoy, ancien associé de K&F, refuse de s’apitoyer: «Nous ne sommes pas ici pour verser des larmes, mais parce que Will Kreutz a détourné 177.000 euros, trois ans avant la faillite de la société qui ne s’en est jamais remise», explique-t-il.

Mauvaise gestion

Sa plaidoirie est accablante. Lex Benoy, expert-compable, associé de la fiduciaire FBK, a investi plus de 180.000 euros début 2012 en prenant une participation de 40% dans K&F. Unique partie civile dans le procès, il considère que les montants détournés par Will Kreutz correspondent à sa mise de fonds. Il réclame 187.615 euros entre pertes d’investissement et préjudices matériel et moral.

En première instance, sa demande a été déclarée non fondée, les juges n’ayant pas vu de lien entre les prélèvements litigieux faits par Kreutz et la faillite de la société trois ans plus tard. «Les problèmes rencontrés par la société trouvent leur source dans une mésentente profonde entre associés et une mauvaise gestion», souligne le jugement du 6 juin 2019. Ayant un rôle plutôt symbolique dans K&F, Lex Benoy est sorti de l’actionnariat en mai 2013, cédant ses actions à Kreutz pour 8.225 euros que son ancien partenaire en affaires ne lui aurait jamais payé.

Le substitut du Procureur d’Etat a demandé la confirmation de la peine de 12 mois de prison avec sursis à l’encontre du prévenu, peine qu’il juge «adéquate». La Cour d’Appel livrera son verdict le 26 mai prochain. Contacté par REPORTER, Will Kreutz ne s’attend pas à des miracles: «Je suis conscient que je vais avoir une condamnation», indique-t-il dans un courriel.

Détournement d’actifs

L’affaire K&F est arrivée devant la justice pénale par l’intermédiaire de la curatrice de la faillite de l’agence de communication, après la remise d’un rapport en juin 2016. Le Parquet s’en est saisi et a ouvert une enquête judiciaire. L’enquête va s’appuyer sur le défaut de publication des bilans entre 2011 et 2014, le non-paiement des impôts (l’Administration de l’Enregistrement fut à l’origine de l’assignation en faillite) et surtout sur l’utilisation du compte courant associé de la société à des fins personnelles. Selon le décompte de la curatrice, K&F a laissé un passif de 230.000 euros, constitué principalement d’un compte courant associé affichant une dette de plus de 177.000 euros. En l’absence d’explications plausibles du gérant, elle suspectait un détournement d’actifs.

En parallèle, la curatrice a engagé devant le tribunal de commerce une action en comblement de passif contre Kreutz, procédure toujours en cours.

Le 9 janvier 2019 Will Kreutz a été renvoyé devant un tribunal correctionnel pour, entre autres, banqueroute frauduleuse. Six mois plus tard, son procès se tient à l’issue duquel il est condamné à 12 mois de prison, assorti d’un sursis intégral compte tenu de l’absence d’antécédents judiciaires.

La marque Roude Leiw m’appartient et je la céderai à qui je veux»Will Kreutz

Après sa brouille avec Lex Benoy, Will Kreutz a poursuivi ses activités commerciales à travers la société Atypical, constituée en octobre 2012. La Sàrl a d’abord été conçue pour la commercialisation, la diffusion et la distribution de produits et objets, notamment du café, de la bière Simon et de la vaisselle, portant les marques «Roude Léiw» et «Gëlle Fra», deux symboles de la «luxembourgeoisitude».

Avec son sens aigu du marketing, Will Kreutz a fait récemment fabriquer des masques de protection buccale arborant son célèbre logo qui se sont arrachés comme les petits pains. Ce serait la preuve pour l’avocat de son ancien partenaire dans K&F que les affaires d’Atypical sont florissantes.

Un lion rouge très convoité

Propriété personnelle de Kreutz, qui les a fait homologuer au niveau européen, les deux marques au lion rouge et à la femme en or ont suscité la convoitise de ses partenaires en affaires qui avaient reniflé le bon filon commercial à exploiter.

Lors de l’audience devant la Cour d’Appel, l’avocat de Lex Benoy n’a pas caché que la motivation du partenariat au sein de K&F était l’exploitation commerciale de la marque au lion rouge stylisé. Le refus de Will Kreutz de la faire basculer dans le giron de la société commune aurait été la cause du différend entre les deux hommes.

A la veille de mes 65 ans (…), je me prépare à transmettre mon projet, après avoir tout fait pour le valoriser en d’autres mains, plus jeunes, passionnées pour continuer à développer ce que j’ai commencé»Will Kreutz

La carrière de plus de 40 ans de Will Kreutz dans le monde de la communication s’est construite sur une succession impressionnante de ruptures et de brouilles avec ses partenaires et associés à la réputation parfois sulfureuse. Ses faits de gloires dans la publicité remontent essentiellement à l’époque de l’agence Sam’s (qui devint plus tard Made By Sam’s) qu’il créa en 1979.

Kreutz, c’est l’homme aux 85 prix nationaux et internationaux qui ont récompensé son talent créatif. Il se présentait d’ailleurs lui-même comme un créatif de génie ayant révolutionné le monde de la pub au Grand-Duché.

Ses déboires ont commencé à la fin des années 1990 après les difficultés de trésorerie de Made By Sam’s et un développement international désastreux en Belgique.

Panama Charly à la rescousse

Pour sauver son agence, Kreutz n’hésite pas à s’associer avec des personnalités infréquentables de la Place financière. Il s’agit surtout de Charles Ewert, homme d’affaires habitué des prétoires. Il a été condamné en 2003 à 20 ans de prison pour la tentative de meurtre d’un de ses clients, le fabricant d’armes autrichien Gaston Glock.

Surnommé Panama Charly pour son goût pour les montages financiers exotiques, Ewert prend une participation dans l’agence de Kreutz. Les deux hommes vont vite se fâcher. Kreutz claque la porte de l’agence en juin 2000. Il laisse derrière lui un compte courant associé négatif de 841.000 euros. A l’automne 2002, Made By Sam’s est déclarée en faillite.

Dans l’intervalle, Kreutz a rebondi, constituant l’agence Addedvalue avec une série de notables du Luxembourg, parmi lesquels le promoteur immobilier Edouard Lux (père d’Eric Lux) et la fille du fondateur du Cactus, Daniele Leesch. Addedvalue qui a choisi comme étendard le nain de jardin, symbolisant la modestie, n’en affiche pas moins de grandes ambitions: prendre entre 5 et 10% du marché publicitaire luxembourgeois. L’aventure va se solder par un nouveau claquage de porte de Kreutz, notamment après un différend immobilier avec Edouard Lux.

Partenariat avec Moulins Dieschbourg

Imperturbable face à l’adversité, Kreutz lance alors K&F que Lex Benoy rejoindra plus tard, un peu comme pompier de service pour tenter de sauver l’entreprise de ses difficultés financières. Dans le même temps, Kreutz participe en 2011 au premier tour de table pour la création du «business club» House17 avec une série de VIP de la Place. Mais un différend financier avec ses partenaires lui font quitter le projet deux ans avant l’ouverture du club du centre-ville.

Will Kreutz en 2018 selon un screenshot sur Twitter.

Pour autant, il n’en est pas quitte avec les démêlées. L’une des plus médiatiques a été sa brouille avec la famille de la ministre de l’Environnement Carole Dieschbourg, propriétaire des Moulins Dieschbourg à Echternach. Kreutz les a associés à un projet de conditionnement et de commercialisation de café labélisé bio sous la marque au lion rouge. Les relations ont été rompues à la suite d’un différend financier avec la famille Dieschbourg qui a mis sur le marché une marque de café concurrente, «Leiwe Kaffi», utilisant également l’emblème du lion rouge, autrement stylisée. Kreutz les accuse de plagiat. Il a toutefois renoncé à saisir les tribunaux.

A bord de sa 2 CV, le créatif sillonne désormais inlassablement les routes et les marchés pour approvisionner ses clients des produits de sa marque «Roude Leiw Boune Kaffi». Aujourd’hui, Will Kreutz se dit «fatigué et las de toutes ces histoires» et combats qui ont ponctué sa longue carrière: «A la veille de mes 65 ans (…), je me prépare à transmettre mon projet, après avoir tout fait pour le valoriser en d’autres mains, plus jeunes, passionnées pour continuer à développer ce que j’ai commencé».

«Une chose est certaine, assure-t-il, il ne tombera pas entre les mains de Benoy (…) ou même de Panama Charly». «La marque m’appartient et je la céderai à qui je veux».