L’Etat vient d’injecter 30 millions d’euros dans le capital de Luxconnect, société qui construit et exploite des centres de données et un vaste réseau de fibre optique. Cet argent frais est une bouffée d’oxygène pour une société 100% publique qui a fait des transactions hasardeuses.

L’assemblée générale extraordinaire de Luxconnect a duré 15 minutes chrono le 5 novembre dernier à son siège à Bettembourg. L’ordre du jour a porté sur une augmentation de 30 millions d’euros de capital de la société qui a construit quatre centres de données high-tech et un réseau de fibre optique de 1.300 kilomètres au Luxembourg. Actionnaire à 100% de cette société anonyme, L’Etat a été l’unique souscripteur.

Sur ce montant de 30 millions d’argent frais, 15 ont servi à la création de Luxprovide, la filiale de Luxconnect en charge d’exploiter le futur supercalculateur à Bissen. Il s’agit de la première tranche de financement public. Une seconde avance de 14,5 millions d’euros interviendra en 2020, sans que soit encore tranchée la question des modalités de l’opération. L’option d’une convention entre Luxprovide et l’Etat n’est pas écartée.

Les 15 autres millions ont été affectés aux besoins propres de Luxconnect. Cette cagnotte est salutaire pour l’entreprise confrontée à de sérieuses difficultés de trésorerie.

Degré zéro de l’information

La recapitalisation de Luxconnect a été décidée dans l’urgence le 5 juillet dernier lors d’un conseil de gouvernement. Aucune information n’a toutefois été délivrée dans le communiqué de presse ayant suivi ce conseil. La décision n’a fait l’objet d’aucune publicité de la part du gouvernement.

Son silence s’explique en partie par la sensibilité de son intervention. Car en mettant des deniers publics dans une entreprise qui opère sur le marché privé, qui plus est déficitaire, les autorités courent le risque de se faire accuser de violer les règles européennes en matière d’aides d’Etat. Elles marchent donc sur des œufs.

En l’absence d’augmentation de capital, Luxconnect sera contraint d’arrêter ses investissements, notamment dans le réseau de la fibre optique pour les prochaines années»Note de Xavier Bettel au Conseil de gouvernement

Le ministère des Communications et des Médias a pris toutes les précautions pour justifier la pertinence de l’opération. Dans une note qu’il a fait passer à ses ministres cet été, Xavier Bettel a défendu la spécificité de Luxconnect, société anonyme dont les visées participent à «l’intérêt général, en complément à l’offre des opérateurs économiques du marché ou en l’absence d’initiative privée suffisante».

La création de la société en 2006 a répondu à un besoin de diversification des lignes pour assurer la sécurité de l’approvisionnement, a fait valoir le Premier ministre. Le gouvernement considère que l’entreprise n’entre pas en concurrence directe avec les activités des autres opérateurs, dont Post, également contrôlée à 100% par des capitaux publics.

La note que REPORTER s’est procurée indique que «la mission de Luxconnect qui lui a été confiée par l’Etat répond à une défaillance du marché: aucun autre opérateur ne serait en mesure d’assumer cette mission compte tenu du coût d’investissement d’un tel projet».

Trésorerie à sec

L’injection des 15 millions dans Luxconnect, qui a porté son capital social à 105 millions d’euros, s’apparente plus à un mini-sauvetage qu’à un investissement vraiment rationnel.

L’entreprise n’avait pas reçu d’argent frais de l’Etat depuis 2010. Depuis 2006, date de sa création, elle a essentiellement financé par des prêts ses investissements à hauteur de 334 millions d’euros dans les autoroutes de l’information et ses centres de données ultra-performants.

Sa dette s’élevait à près de 80 millions d’euros au 31 décembre 2018. Ses pertes reportées frisaient les 19 millions d’euros. L’exercice 2018 s’est traduit par un résultat dans le rouge à 2,4 millions d’euros. En 2017, la société a dû vendre un terrain ce qui lui a permis de récolter 3,4 millions d’euros. Une bouffée d’oxygène.

Chroniquement déficitaire, Luxconnect etait aussi sous-capitalisée. Sa trésorerie ne lui permettait plus d’assurer des investissements dans la fibre optique pour garder le Luxembourg au niveau de ses ambitions dans le secteur ICT. Le gouvernement ne recule devant rien pour attirer de plus en plus de groupes internationaux qui veulent toujours plus de connectivité.

Malgré ses difficultés passagères, Luxconnect n’est pas considérée comme une entreprise en difficulté»Arendt&Medernach

Sans cet apport en capitaux frais de l’Etat, la société aurait été «contrainte d’arrêter ses investissements dans la fibre optique pour les prochaines années», souligne la note du ministère des Communications et des Médias.

L’œil de Bruxelles

Si Luxconnect n’a pas pu investir comme elle aurait dû le faire, c’est parce qu’elle a connu une série de déconvenues qui ont plombé ses réserves. La faillite en 2016 d’un de ses gros clients, Luxembourg Telecom Private Operator, auquel elle avait d’ailleurs vendu pour 1,6 million d’euros son réseau international, lui a laissé une ardoise de 3,22 millions d’euros.

Luxconnect avait pris une participation pour près de 500.000 euros dans Luxcloud, une joint-venture avec Datacenter pour le stockage de données. En 2014, une correction de valeur de 50% a été actée dans le bilan. La participation a finalement été vendue pour un prix plus que symbolique.

En 2017, la société a signé un compromis de vente de salles dans son centre de données à Bissen. La transaction lui a apporté 10 millions d’euros dans sa trésorerie. En juillet dernier, l’assemblée générale décide d’annuler la cession. Le remboursement des 10 millions avait rendu la recapitalisation plus qu’urgente.

Le gouvernement a mandaté l’étude d’avocats Arendt & Medernach pour s’enquérir de la conformité de son apport au regard des règles de concurrence. «Le soutien financier pour continuer l’activité de fibre peut raisonnablement échapper à la notion d’aide d’Etat puisqu’elle constitue une mesure de développement économique qui n’est pas en concurrence avec une autre infrastructure similaire sur le marché», ont conclu, prudents, les experts. Ils ont recommandé «de considérer l’investissement par l’Etat sous l’angle du comportement investisseur privé en économie de marché».

Tantièmes à la hausse

Arendt & Medernach veut croire que malgré ses «difficultés passagères, Luxconnect n’est pas considérée comme une entreprise en difficulté». Le cabinet d’avocats a toutefois recommandé d’assortir l’augmentation de capital d’un business plan prouvant la rationalité économique de l’investissement. Au cas où la Commission européenne s’intéresserait de près à l’opération.

Aussi, Xavier Bettel a-t-il fait appel à Tom Elvinger, conseiller économique, pour préparer un plan d’affaires sur la période 2019-2023 dans le but de dégager plus de chiffre d’affaires et de résultat net.

En attendant les jours meilleurs, les administrateurs se sont servi en 2018 des tantièmes à hauteur de 67.500 euros, contre 39.000 un an plus tôt.