Harcèlements, déclassements et un turnover comparable à celui de la Cour grand-ducale: Le style de management au sein du LCGB est controversé. Les discussions internes jettent une ombre sur la réélection de Patrick Dury à la présidence.

Le 60e congrès du LCGB sera pour son président Patrick Dury un test de popularité auprès de ses troupes. L’issue du vote initialement prévu pour ce samedi ne faisait pas de doute, puisqu’il n’avait pas de concurrent pour lui contester la place de numéro 1 qu’il occupe depuis 2011. Son score restait toutefois teinté d’incertitudes.

Indépendamment de la date qui sera finalement retenue pour sa réélection (le congrès vient d’être reporté sine die pour cause de Covid-19), les recherches communes de REPORTER et du Lëtzebuerger Land* apportent un éclairage sur les raisons de ces incertitudes.

Face aux malaises qui existent autour de la gestion du deuxième syndicat du Luxembourg, certains délégués syndicaux anticipent un résultat nettement moins flatteur que les 85% des voix obtenues il y a 9 ans, lorsque Patrick Dury fut coopté par le conseil syndical. Il y a 5 ans, il avait même recueilli 94% des suffrages au 59e congrès de la confédération des syndicats chrétiens.

En attendant la nouvelle date du congrès national, le comité exécutif du LCGB a d’ores et déjà annoncé qu’il procèdera à une prolongation provisoire de l’actuel président conformément aux statuts du syndicat.

Purges et casse humaine

Dans un entretien accordé à REPORTER et au Land, Patrick Dury se déclare «serein pour approcher les délégués du congrès». «Avec 50% plus un, on est élu», assure le président. Et d’ajouter: «On est jugé sur ses résultats».

Sur le plan syndical, il n’a pas à rougir de son bilan depuis neuf ans. Le LCGB compte actuellement 43.000 membres contre 33.000, lorsqu’il en est devenu président. Les résultats aux élections sociales de l’automne dernier sont jugés «très satisfaisants».

Sous l’impulsion de son président, le syndicat s’est dépoussiéré. Les liens avec le parti chrétien social, dans l’opposition depuis fin 2013, se sont distendus. Il n’y a plus de députés CSV qui siègent au comité exécutif, qui s’est resserré autour du président et du secrétaire général Francis Lommel. Pour autant, les ponts ne sont pas coupés avec le parti frère.

En interne, le «renouveau» s’est fait au prix d’un ménage assez radical dans les structures et de casse sur le plan humain.

On n’a pas le turn-over de la cour grand-ducale.“Patrick Dury, président du LCGB

Lorsqu’il a repris le flambeau de son prédécesseur Robert Weber (démissionnaire pour cause de scandale Proactif), le LCGB comptait 60 salariés. En 2014, les effectifs des permanents sont descendus à 40, pour revenir aujourd’hui à 52 personnes, dont 20 secrétaires syndicaux et 14 consultants.

Patrick Dury déplore les difficultés de recrutement, notamment dans le vivier des délégués syndicaux des entreprises, dans lequel le LCGB puisait traditionnellement ses recrues. La rétention du personnel est aussi une source de préoccupation. «Beaucoup de jeunes nous quittent pour la fonction publique», assure-t-il.

Pour autant, son style autoritaire explique aussi la fuite des cerveaux, jeunes et moins jeunes, que le syndicat chrétien connaît depuis une décennie.

Photo: Eric Engel

Des figures historiques qui ont marqué le terrain du syndicalisme luxembourgeois ont disparu de l’organigramme du LCGB. Vincent Jacquet, le «Monsieur banque, fiscalité et frontalier» du LCGB a claqué la porte et son poste n’a pas été remplacé. Dans la branche du transport, les secrétaires syndicaux se sont succédé à un rythme soutenu. L’ex secrétaire syndical Aloyse Kapweiler, qui s’était fait un nom lors des conflits sociaux chez Cargolux, a été reclassé en, consultant suite à des problèmes de santé. Michel Borges, le chef du département comptable et financier qui y avait officié de longues années, a jeté l’éponge il y a deux ans. Son successeur immédiat n’a tenu que trois mois avant de disparaitre des radars. Personnalité historique du syndicat et grande gueule, Jean-Paul Baudot s’est dépensé sans compter. Rare secrétaire syndical à tenir tête à Patrick Dury, l’homme est décédé prématurément à l’été 2018.

Une cinquantaine de personnes ont quitté l’organisation depuis l’arrivée de Patrick Dury, le turn-over est important car la pression sur les gens est énorme»Un employé du LCGB

Les purges sont allées de pair avec un rajeunissement impressionnant des effectifs. L’examen des listes du personnel que le syndicat publie régulièrement sur son site Internet confirme ce constat.

«Une cinquantaine de personnes ont quitté l’organisation depuis l’arrivée de Patrick Dury, le turn-over est important car la pression sur les gens est énorme», assure un des rares employés qui ose s’exprimer sous le couvert d’anonymat. «L’ancienne garde a laissé la place à une pléthore de secrétaires syndicaux jeunes, inexpérimentés et évidemment moins payés», poursuit l’employé.

Comme à la Cour

«Je ne tiens pas de statistiques. Mais on n’a pas le turn-over de la cour grand-ducale», indique Patrick Dury. Toutefois, l’humour de la formule ne cache pas la réalité des chiffres. Rapporté aux effectifs, le va-et-vient du personnel est pire qu’au palais et traduirait un profond malaise au sein de l’organisation syndicale. «On décèle un malaise dans les secrétariats syndicaux, qui se traduit par un turn-over important et le recrutement de beaucoup de jeunes inexpérimentés. Nous entendons que des personnes se plaignent de leurs conditions de travail», confirme un délégué.

Photo: Eric Engel

Des cas de burn-out, de grosses fatigues, de mises à l’écart, de vexations, de déclassements et d’intimidations sont documentés par les témoignages d’anciens employés. L’une d’elle se souvient du traumatisme et de la peur que provoquaient les réunions hebdomadaires du lundi menées par Patrick Dury et Francis Lommel, décrits comme «despotiques». «C’est un peu comme une mise à mort et chacun son tour, tout le monde y passe», explique un autre employé.

La manière de diriger de Dury et son style de management est très différent de celui de son prédécesseur Robert Weber. Patrick Dury est plus brutal, c’est même du brut de décoffrage»Un délégué syndical du secteur financier

«Il n’y a pas de contre-pouvoir au LCGB, ce que nous condamnons d’ailleurs comme syndicaliste dans de nombreuses entreprises», confie pour sa part un délégué syndical. «Nous avons entendu que des gens ont récemment contacté des avocats à la suite de conflits du travail», fait-il encore savoir.

Selon nos informations, des démarches juridiques d’employés pour contester des décisions de «mises au placard» ont été initiées récemment. Contacté, un des avocats confirme l’intention de son client de mettre le LCGB en demeure de faire cesser ses pratiques de harcèlement. La seconde étape consistera en une requête en dommages et intérêts.

J’ai des objectifs, je sais ce que je veux avoir et je dois être déterminé»Patrick Dury

Sollicité afin de pouvoir documenter d’éventuels cas de souffrance au travail, le président de la délégation du personnel (qui est également secrétaire syndical dans le secteur financier) Patrick Michelet n’a pas pu être joint. Et pour cause: «le secrétaire syndical du secteur financier est en congés de maladie en lien depuis décembre», fait savoir un proche du LCGB. Michelet assurait seul le secrétariat de l’activité financière depuis le départ il y a deux ans de Vincent Jacquet. «Une deuxième personne n’a jamais été recrutée. On a fait des économies sur le poste de travail», signale un délégué. «Il y a de plus en plus de souffrance au travail, même dans les syndicats», ajoute-t-il.

Harcèlement, déclassement, fatigue

«Ces derniers mois, nous avons eu connaissance d’une dizaine de cas de harcèlement, de déclassement ou de fatigue», assure un employé qui a bravé sa peur pour témoigner du malaise au sein de l’organisation. «Donnez-moi des noms!», s’énerve Patrick Dury lorsqu’il est interrogé sur ces cas présumés de harcèlement. «Je gère cette maison et je n’ai pas l’impression qu’il y a des problèmes majeurs», assure-t-il.

«La manière de diriger de Dury et son style de management est très différent de celui de son prédécesseur Robert Weber. Patrick Dury est plus brutal, c’est même du brut de décoffrage, mais il faut dire qu’il vient de la sidérurgie, qui n’est pas un monde facile», constate un délégué.

Le président du LCGB accuse le coup, indifférent à ses détracteurs qui lui prêtent des méthodes autoritaires, voire «dictatoriales» de management et lui reprochent de faire en interne ce qu’il condamne à l’extérieur. «J’ai des objectifs, je sais ce que je veux avoir et je dois être déterminé», se défend-il.

Photo: Eric Engel

Patrick Dury aura l’occasion d’expliquer son programme d’action devant ses membres lors du congrès alors que se profile la réforme du dialogue social au sein des entreprises. Le mot d’ordre du leader syndical pour les cinq prochaines années est de positionner le LCGB sur les services rendus à ses membres. «Aujourd’hui, c’est demain» est le nouveau mantra du syndicat qui fonctionne avec un budget annuel d’environ 7,5 millions d’euros. «Le monde a changé et les besoins des gens vis-à-vis des prestations syndicales ont aussi changé», précise son président.

L’activité syndicale, c’est bien sûr «du lien émotionnel, qu’il faut maintenir», mais c’est aussi «vendre un service» et «toucher au bien-être du salarié», estime t-il.

Opacité financière

Le projet immobilier LuxMill à Belval entrerait dans ce concept de bien-être et de service pour accompagner l’évolution du monde et des affiliés tout au long de leur vie, jusque dans leur assiette et dans leur lit.

Outre le futur siège qu’il abritera, le bâtiment prévoit 70 studios équipés destinés aux étudiants et loués sur des périodes courtes de 2 ou 3 ans, un espace de coworking, une salle de smart fitness et des commerces de bouche, dont un restaurant bio qui répond au goût du jour.

L’activité syndicale, c’est aussi vendre un service (…), toucher au bien-être du salarié»Patrick Dury

L’investissement de l’argent des affiliés d’un syndicat dans de l’immobilier pose des questions. Au-delà des préoccupations pour l’état de santé et le bien-être de ses membres auquel LuxMill répondrait, le projet est aussi une question d’argent et de rentabilité financière, la pierre étant un investissement des plus lucratifs au grand-duché.

Patrick Dury voit LuxMill, constituée sous forme d’une société anonyme, non pas comme une source de diversification de revenus mais comme une prestation de service supplémentaire. L’investissement de plus de 22 millions d’euros sera financé par de la dette bancaire et par l’argent des mutuelles (Vita Services et la MUTAM de la sidérurgie) qui sont les actionnaires de LuxMill. Vita Service aux capitaux propres négatifs a été liquidée à l’été 2019 pour laisser la place à LuxMill Mutuelle, dont les statuts sont disponibles sur le site du syndicat, mais introuvables au Registre de commerce.

LuxMill s.a. va gérer le patrimoine immobilier du syndicat, dont le siège historique de 3.000 mètres carrés de la rue du Commerce à Luxembourg Gare n’est pas à vendre. Une salariée a déjà été embauchée en la personne de Christine Conter, la fille de Norbert, l’ancien homme fort des métallurgistes luxembourgeois.

Le LCGB épouse son époque mais ne rompt pas définitivement avec les traditions familiales.


*Les rédactions de REPORTER et d’Lëtzebuerger Land ont partagé leurs ressources et leurs informations pour effectuer ces recherches.