Au nom du «vivre en commun» dans un Etat de droit, la Cour administrative a retoqué les sanctions infligées par la CSSF à l’administrateur d’un fonds d’investissement. Les juges ont estimé que le régulateur n’avait pas assez communiqué sur ses droits à être entendu en personne.

La décision est tombée le 3 mai et aura non seulement des conséquences sur les relations que la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) entretient avec les entreprises sous son contrôle prudentiel, mais aussi plus généralement sur les rapports entre l’administration et les administrés.

Un administrateur de «Compagnie financière St Exupery» (St Exupery), fonds d’investissement spécialisé (FIS), a été doublement sanctionné par la CSSF le 29 octobre 2019, après plusieurs rappels à l’ordre. Le régulateur avait enjoint le dirigeant trois semaines plus tôt à lui transmettre sous forme sécurisée le rapport annuel au 31 décembre 2018 du fonds ainsi que la lettre de recommandation des dirigeants (Management Letter). La règlementation oblige les entreprises régulées à communiquer ces pièces dans un délai de six mois après la fin de l’exercice.

Une version incomplète du bilan 2018 de «St Exupery» avait été envoyée en juillet 2019 via la plateforme électronique du régulateur, mais elle fut refusée le lendemain de l’envoi. Le rapport du réviseur d’entreprise attestant la sincérité des comptes annuels était manquant.

David contre Goliath

Le FIS avait huit jours pour se mettre en conformité, sans quoi il risquait une amende d’ordre de 2.000 euros pour chacune des infractions constatées. Les dirigeants de «St Exupery» s’engageaient à se mettre en conformité à la fin du mois d’octobre, mais les sanctions de la CSSF sont tombées le 29 octobre 2019. Ces sanctions sont contestées un mois plus tard devant le tribunal administratif.

La défense du FIS déploie alors une batterie d’arguments juridiques mettant en cause la légalité des sanctions et la violation des droits de la défense, notamment en matière d’accès au dossier administratif. Les avocats réclament l’arbitrage de la Cour constitutionnelle. Le tribunal les déboute. Ils font appel et dénoncent une nouvelle fois les violations de leurs droits, notamment celui de pouvoir être entendu en personne par la CSSF dans un délai de huit jours.

En vertu de la loi de 1978 sur la procédure administrative non contentieuse et d’un règlement grand-ducal de 1979, les administrations sont obligées d’«assurer le respect des droits de la défense de l’administré en aménageant dans la mesure la plus large possible la participation de l’administré à la prise de décision administrative». Le dispositif consacre le droit d’être entendu en personne afin d’équilibrer, au nom de l’intérêt général, les rapports de force entre l’administration toute puissante et l’administré, souvent en position de faiblesse.

Les juges de la Cour considèrent ce droit plus que jamais d’actualité, après les deux années de crise sanitaire qui ont distendu les liens sociaux et perturbé les rapports de force. Ils se posent en arbitres pour «créer l’équilibre indispensable à un vivre ensemble aussi adéquat que possible compte tenu des exigences d’un Etat de droit», expliquent-ils dans leur arrêt du 3 mai.

«Déshumanisation» de l’administration

«La Cour constate que depuis 1979, une tendance nette à la numérisation, à la distanciation personnelle entre l’administration et ses administrés, accentuée ces deux dernières années par la pandémie, à l’anonymisation tous azimuts et à la déshumanisation des rapports entre parties s’est développée sans conteste possible», poursuivent les magistrats.

Le régulateur a oublié de mentionner expressément dans ses courriers à l’administrateur de «St Exupery» son droit de solliciter d’être entendu en personne au titre de la règlementation de 1978 et 1979, se contentant de renvoyer à un article (article 9) du dispositif légal. Cette seule indication serait insuffisante: «De manière impérative, face à cette évolution a priori difficilement réversible de déshumanisation des rapports entre administration et administrés, il aurait fallu que l’administration rende spécialement attentif l’administré concerné de sa possibilité de demander d’être entendu en personne», signale l’arrêt inédit signé du président de la Cour administrative, Francis Delaporte.

Du coup, les sanctions ont été annulées et le dossier du FIS renvoyé pour un réexamen devant la CSSF, qui, de surcroît, a été condamnée à payer 1.000 euros d’indemnité de procédure à l’administrateur. «Compagnie financière St Exupery» a été radiée le 7 février dernier du Registre de commerce et des sociétés, après sa fusion avec une société de droit irlandais.

«Le Quotidien» a relaté cette affaire dans son édition de vendredi. L’affaire a également donné lieu à une question parlementaire de Léon Gloden à la ministre de l’Intérieur Taina Bofferding (LSAP). Le député CSV l’interroge sur les conséquences de l’arrêt dans les rapports que les communes ont avec leurs administrés.