Pour avoir failli à ses obligations de restitution d’émission de gaz à effet de serre, la compagnie d’aviation privée Luxaviation a été sanctionnée lourdement par le Ministère de l’Environnement. Saisie de l’affaire, la Cour de Justice de l’UE vient d’arbitrer en faveur de la ministre.

Le couperet de la Cour de Justice de l’Union européenne est tombé au plus mauvais moment, alors que toutes les compagnies d’aviation s’interrogent sur leur survie dans le contexte de crise du Covid-19. Le 26 mars, la juridiction européenne a rendu une ordonnance qui sera lourde de conséquences pour la compagnie d’aviation privée Luxaviation, dont la flotte de 260 jets est actuellement clouée au sol.

Carole Dieschbourg (Déi Gréng), la ministre de l’Environnement va enfin pouvoir réclamer le paiement de l’amende de 642.800 euros qu’elle a infligée il y a 4 ans à la société luxembourgeoise qui exploite des jets privés pour une clientèle haut de gamme. A cette sanction pécuniaire s’ajoutera le châtiment pour Luxaviation de voir son nom exposé sur le site internet de l’Administration de l’Environnement, selon le principe du «name and shame».

Pas d’atteinte à l’environnement

Le litige remonte au mois de juin 2016, lorsque les dirigeants de Luxaviation reçoivent un courrier de la ministre de l’Environnement leur signifiant leur défaut de restitution d’émissions de CO2 excédentaires dans les délais impartis. L’exploitant avait jusqu’au 30 avril pour faire sa déclaration, conformément à la loi du 23 décembre 2004 qui a introduit un système de quotas pour les émissions de gaz à effet de serre.

Transposition d’une directive européenne de 2003, le dispositif délivre, selon leur secteur d’activité, des quotas annuels aux entreprises, qui sont obligées de déclarer leurs émissions de CO2. Les exploitants ont aussi des obligations de restituer les quotas autres que ceux qui leur ont été officiellement délivrés, qui correspondent à leurs émissions totales. Les entreprises ou Etats membres vertueux échangent leur trop plein d’émission à des opérateurs qui sont en surconsommation.

Les responsables de Luxaviation ont affirmé être tombés des nues en ouvrant la lettre de Carole Dieschbourg. La ministre les invitait à lui communiquer ses observations. Elle joignait à son courrier un projet d’arrêté ministériel. Ce fut une douche froide. Luxaviation étant en défaut d’avoir restitué 6.428 tonnes de CO2 en 2015. Cette défaillance lui valait de payer une amende forfaitaire de 100 euros par quota non restitué, soit 642.800 euros.

Les dirigeants de la compagnie de jet se défendirent, invoquant «un manquement émanant de l’un de (ses) salariés, respectivement un dysfonctionnement informatique». Ils plaidèrent leur bonne foi, assurant par ailleurs que le manquement «n’avait pas porté atteinte à l’environnement», mais exclusivement sur une question de procédure non-observée dans les délais requis. Il n’y avait pas eu de pollution supplémentaire. La société indiqua par ailleurs avoir procédé à l’enregistrement des quotas dans le registre luxembourgeois et s’être acquittée des paiements exigés.

Machine judiciaire en route

La ministre resta toutefois insensible aux arguments. Elle appliqua la loi dans toute sa rigueur. Son arrêté tomba le 31 octobre 2016 avec une injonction de payer l’amende avant le 30 novembre 2016. Contactée par REPORTER, Luxaviation n’a pas donné suite à nos sollicitations.

La veille de l’échéance, Luxaviation forma un recours en annulation de cette décision devant le tribunal administratif, procédure qui suspend le paiement de l’amende.

La machine judiciaire s’est alors mise en route. Luxaviation a perdu l’affaire en première instance, mais a interjeté appel devant la Cour administrative, laquelle dans une décision intermédiaire a demandé l’arbitrage de la Cour de justice de l’Union européenne. La juridiction européenne a été saisie d’une série de questions préjudicielles sur la portée d’une directive de 2003 et sa transposition par le Luxembourg par la loi du 23 décembre 2004.

Il s’agissait surtout de déterminer la liberté d’action que le texte européen donne aux Etats, notamment aux juges nationaux, pour moduler la sévérité des sanctions en cas de violation «de bonne foi» des règles sur les déclarations obligatoires d’émission de CO2 et leur restitution dans le cadre du système d’échange de quotas.

Les magistrats devaient également se prononcer sur l’accompagnement du ministère dans l’accomplissement par les exploitants aériens de leurs démarches déclaratives et restitutives de quotas.

De la bonne administration

Soumise à l’obligation de restitution depuis 2013, Luxaviation avait bénéficié d’une assistance personnalisée en 2013 et 2014. L’Administration de l’Environnement l’avait avertie qu’elle n’avait pas restitué ses quotas alors que le délai de restitution était sur le point d’expirer. Les services de Carole Dieschbourg n’avaient pas fait cette diligence l’année suivante.

Au nom du droit à une bonne administration, ancré dans les traités européens, la compagnie a invoqué le principe de la «confiance légitime» que cet accompagnement initial dans ses démarches avait fait naître un an plus tôt. D’autant plus que le nombre d’exploitants tombant sous la surveillance de l’administration est limité à 25.

Il s’agit d’un manquement émanant de l’un de (ses) salariés, respectivement un dysfonctionnement informatique»Luxaviation

Le représentant du gouvernement avait assuré que ce soutien aux exploitants était «techniquement possible», mais que la vérification individuelle pouvait aussi engendrer des «longueurs» dans les démarches administratives. La loi ne rend pas non plus cette assistance obligatoire.

Les autorités ont donc considéré en avoir fait assez pour informer les dirigeants de leurs obligations vis-à-vis du système de quotas de gaz à effet de serre. Une réunion de présentation avait eu lieu en janvier 2015 entre les représentants de l’Administration de l’Environnement et de Luxaviation. Un manuel d’utilisation du registre des émissions avait alors été délivré et fut suivi d’une lettre générale de relance en janvier 2016.

Une question de survie économique

Dans leur ordonnance du 26 mars dernier, les juges européens ont confirmé les vues du ministère de l’Environnement. Ils ont aussi jugé la marge de manœuvre individuelle des Etats quasiment nulle en matière de quotas, au risque d’une concurrence déloyale entre les 27. Ils ont rappelé la rigueur de la directive de 2003 sur la protection de l’environnement qui n’autorise pas les juges nationaux à se montrer cléments avec leurs opérateurs qui violeraient les règles sur les quotas. Quand bien même ces derniers l’auraient fait de «bonne foi» et qu’il n’y aurait pas eu de conséquences environnementales. Et quand bien même il en irait de l’existence et de la continuité de la compagnie.

C’est le cas de Luxaviation qui affichait à son bilan 2018 une perte reportée de 61,8 millions d’euros et un endettement impressionnant de 32,8 millions d’euros.

Valorisée en 2019, à entre 120 et 130 millions d’euros lors de l’arrivée dans le capital de la Compagnie financière La Luxembourgeoise (allant de pair avec l’entrée de son président François Pauly dans le conseil d’administration), Luxaviation devra se battre pour sa survie économique au cours des prochains mois.

A la lumière de l’arbitrage des juges européens, la Cour administrative devra désormais rendre son arrêt et valider définitivement la sanction dans toute sa rigueur.