L’administration fiscale peine à imposer aux administrateurs le paiement de la TVA à 17% sur leurs indemnités. Un litige avec une célébrité du barreau a débouché devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’affaire sera plaidée au plus tôt en début 2023.

Le litige porté devant la Cour de Justice de l’UE aura valeur de test pour les administrateurs de sociétés qui rechignent depuis des années à payer la TVA sur leurs jetons de présence. L’affaire a été bien orchestrée pour obtenir un arbitrage de la juridiction européenne.

Ce n’est pas par hasard d’ailleurs si la procédure fut initiée par un célèbre avocat du barreau: Yves Prussen, associé fondateur de l’étude Elvinger Hoss Prussen. Le cabinet s’est impliqué dans le débat sur la qualité d’assujettis des administrateurs, en publiant notamment une note de «réflexions» dans une revue juridique.

Tergiversations sur l’indépendance

Le point de départ de l’affaire est l’émission contestée d’un bulletin de taxation d’office de l’avocat par l’Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA (AED) pour son activité d’administrateur de plusieurs sociétés anonymes luxembourgeoises en 2019. Le fisc réclame la perception de la TVA sur les tantièmes, estimant qu’un administrateur exerce une activité économique indépendante et que de ce fait, il n’échappe pas à la taxation de 17%. L’administration reste inflexible.

L’avocat porte son affaire devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg en janvier 2021. Les plaidoiries interviennent en mars 2022 et le jugement est prononcé un mois plus tard, le 26 avril. Les deux parties au litige demandent l’arbitrage des juges européens, ce que les juges luxembourgeois acceptent en raison des interférences contradictoires entre la loi TVA de 1979 et le droit luxembourgeois des sociétés.

La Cour de Justice de l’UE a déjà tranché en 2019 un litige similaire concernant la taxation des jetons de présence d’un membre du conseil de surveillance d’une fondation aux Pays-Bas. La juridiction a estimé qu’il n’était pas soumis à la TVA, parce qu’il n’exerçait pas son activité économique de façon indépendante. Pour l’avocat, un parallèle peut être tiré avec l’activité d’un administrateur ou gérant de société de droit luxembourgeois.

Mais la CJUE n’a pas suffisamment clarifié les contours de la notion d’indépendance.  Voilà pourquoi, ses juges devront dire si l’administrateur d’une société de droit luxembourgeois exerce son activité de façon indépendante, sachant qu’il n’est pas lié par un contrat de travail ni de prestation avec la société dans laquelle il siège, qu’il peut s’organiser lui-même et, qu’in fine, sa responsabilité civile et pénale peut être engagée en cas de comportement fautif.

L’intérêt particulier de Maitre Prussen

L’AED considère les tantièmes comme une rétribution obtenue en contrepartie des services fournis à la société, ce qui, en quelque sorte, fait des administrateurs des prestataires de services, donc soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans le jugement de renvoi à la CJUE du 26 avril 2022, l’administration soutient que «Maitre Yves Prussen (est) un avocat chevronné bénéficiant d’une large et profonde expérience permettant aux sociétés qui l’ont nommé d’une très haute qualité de services dans l’exercice de son mandat d’administrateur. Et pour s’adjoindre l’expertise d’un éminent spécialiste, les sociétés devraient (lui) offrir une contrepartie (…) en lien tant avec la qualité que la quantité du service qu’il leur rend».

Toutefois, dans le dossier qu’il a soumis à l’AED puis au tribunal, l’avocat n’a pas fourni – volontairement ou non – de détail sur ses mandats d’administrateur ni les modalités de leur rémunération décidées par les assemblées générales des actionnaires: «L’activité du requérant visé par la taxation d’office concerne une banque établie au Luxembourg, une société de participation et tête de groupe d’un groupe de logistique cotée à la bourse de Francfort et deux sociétés de participations contrôlant un groupe pharmaceutique coté en bourse de Paris. Le requérant y exerce une activité traditionnelle de membre du conseil d’administration (…)», s’est contenté de faire valoir Me Prussen.

Il faudra sans doute qu’il s’explique davantage devant les juges européens devant lesquels l’affaire devrait être plaidée au cours du premier trimestre 2023. Le fondateur d’EHP apparait notamment depuis 2009, selon les recherches de Reporter.lu, dans le conseil d’administration de Reinet, société de participations dans le luxe et l’industrie du tabac, cotée en bourse de Luxembourg. Il a été rétribué 50.000 euros pour ce mandat en 2021, après décision de l’assemblée générale des actionnaires.

«Un cas représentatif de tout un secteur»

La TVA des administrateurs est un sujet de polémique depuis 2015 sur la place financière, lorsque l’AED a fait savoir à travers des courriers puis une circulaire (circulaire n.781 du 30 septembre 2016), que leurs indemnités étaient soumises au taux de 17%. Cette circulaire avait agité le landerneau financier pour lequel les tantièmes doivent être assimilés à des dividendes du point de vue juridique, donc non soumis à la TVA.

L’affaire Prussen est présentée comme «un cas d’espèce représentatif de tout un secteur», fait valoir une source proche du dossier. Personne n’ose parier sur la réponse des juges européens, en raison des fluctuations permanentes du droit communautaire sur la fiscalité indirecte.

L’AED se dit en tout cas déterminée à défendre sa cause «avec toutes les armes dont elle dispose».