La société audiovisuelle Drimage et sa maison-mère Iris Productions appartenant à Nicolas Steil ont été au coeur d’un procès hors norme en France. Une ancienne employée a contesté son licenciement et dénoncé un comportement inapproprié de son patron luxembourgeois.
A l’été 2015, une jeune femme française, Olivia, assigne ses anciens employeurs, Iris Productions à Luxembourg et sa filiale Drimage à Paris devant les Prud’hommes (tribunal de travail) en France. Elle réclame plus de 130.000 euros de dommages et intérêts et indemnités pour avoir été arbitrairement licenciée un an plus tôt.
La jeune femme conteste le bienfondé de son licenciement économique intervenu quelques mois plus tôt. Elle assure avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de son ancien patron, Nicolas Steil, avec lequel elle a entretenu une liaison tout au long de son contrat de travail. L’influent producteur de films aurait cherché, après plus de deux ans mélangeant vie intime tumultueuse et activité professionnelle tout aussi chaotique, à se débarrasser d’elle en procédant à un licenciement économique déguisé. Ses allégations portent aussi sur des faits de harcèlement moral de la part d’un autre dirigeant du groupe.
Ses allégations lèvent le voile sur l’univers impitoyable du cinéma et ses coulisses, avec ses contrats précaires, des salaires au plancher et des méthodes de management discrétionnaires, dignes d’un autre âge.
Licenciement abusif
Aux termes de cinq années d’une procédure éprouvante, en première instance et en appel, Olivia n’a eu que partiellement gain de cause. Son licenciement chez Drimage a été déclaré abusif, car dépourvu de «cause réelle et sérieuse». Le 20 mai dernier, l’entreprise parisienne a été condamnée à lui payer 10.000 euros de dommages et intérêts. La maison-mère luxembourgeoise a été mise hors de cause.
Monsieur Steil a abusé de son pouvoir de direction(…) pour obtenir ses faveurs et ensuite lui imposer la continuation d’une relation personnelle et privée.“ L’avocate de la plaignante
Les juges ont toutefois rejeté les demandes de dédommagement relatives aux faits de harcèlement sexuel et moral au travail dans le cadre d’une relation avec son patron, en raison du caractère consenti de la liaison. L’ex-salariée a été impuissante à démontrer l’emprise psychologique et la pression sociale que son supérieur a fait prétendument peser sur elle, la poussant, selon ses affirmations, à céder à ses avances pour d’abord décrocher un contrat de travail et ensuite conserver son emploi.
L’affaire a été plaidée en France, dernier lieu de travail de la plaignante. Elle concerne toutefois les pratiques d’une entreprise luxembourgeoise qui a, selon Olivia, utilisé sa filiale parisienne pour reclasser la maîtresse du patron avant de s’en débarrasser à bon compte.
Les débuts d’une relation intime
Olivia a sacrifié son intimité et sa dignité en engageant des poursuites contre les sociétés audiovisuelles Iris et Drimage qui l’ont employée entre 2012 et 2014 d’abord à Luxembourg comme administratrice de production puis responsable de projets à Paris. Son procès, comme de nombreuses affaires de harcèlement traitées dans les prétoires, a été une épreuve de force.
La trajectoire de la plaignante dans le monde du cinéma luxembourgeois a été celle d’une étoile filante. Elle y entre en août 2012 d’abord sous le statut de stagiaire (non-conventionnée), prétendument pour que ses compétences soient testées, alors que les périodes d’essai sont prévues à cet effet. Son entretien de recrutement se fait dans un café.
Elle signe son contrat à plein temps chez Iris Productions début septembre pour un salaire brut mensuel fixe de 2.162 euros auquel des primes exceptionnelles pouvaient s’ajouter. La rémunération passe à 2.660 euros bruts en mars 2013, lorsqu’elle est promue responsable de projets.
La veille de l’officialisation de son embauche en septembre 2012, le dirigeant l’invite à dîner pour parler de projets professionnels. La soirée se termine à l’hôtel, réservé d’avance. C’est le début d’une relation intime que l’employée assure avoir consentie à contrecœur, sous la pression de son dirigeant, présenté comme autoritaire et imprévisible, de peur de perdre son emploi pendant sa période d’essai de six mois.
Relation consentie
«Olivia se sent dans une situation inextricable», note son avocate dans le cadre des conclusions versées dans la procédure en appel devant les Prud’homme, document que REPORTER a pu consulter. L’avocate ajoute que la situation de sa cliente «s’est envenimée lorsque l’épouse de Monsieur Steil, directrice de casting amenée également à travailler au sein de la société Iris Productions a découvert cette relation en janvier 2013».

«Monsieur Steil a abusé de son pouvoir de direction, de la contrainte économique et professionnelle (…) pour obtenir ses faveurs et ensuite lui imposer la continuation d’une relation personnelle et privée en la maintenant sous pression, alors qu’elle souhaitait y mettre un terme pour sortir de l’emprise notamment économique», soutient l’avocate d’Olivia.
La défense d’Iris et de Drimage conteste cette version, évoquant une relation amoureuse et consentie qui n’a pas eu d’interférence sur la sphère professionnelle: «Il existe une parfaite déconnexion entre d’une part, la relation amoureuse, mouvementée, qu’ils ont connue, et la relation professionnelle, dont Monsieur Steil n’a jamais abusé à d’autres fins», note l’avocat commun de Drimage et d’Iris dans des conclusions de juillet 2018.
Contre-attaque de la défense
Olivia est présentée comme une affabulatrice, guidée par la haine. La défense a mis en cause la légalité de certaines pièces qu’elle a produites à l’appui de ses allégations, notamment des échanges de mails qu’elle se serait procurés frauduleusement, en espionnant son patron.
L’avocat des deux sociétés a réclamé la condamnation à 3.000 euros de dommages contre l’ancienne salariée qui «s’est montrée d’une particulière mauvaise foi, portant de graves accusations, pouvant porter atteinte non seulement à l’image de la société mais aussi de son dirigeant, et ce sans le moindre fondement». La Cour d’appel a rejeté cette demande: «Aucun élément objectif ne prouve qu’elle a obtenu [les e-mails] par des moyens illicites», notent les juges parisiennes.
Le procès en France et son déballage de correspondance abondante a mis le projecteur sur le parcours d’une jeune femme trentenaire qui rêvait de faire carrière dans le cinéma au prix du sacrifice de son amour-propre.
La lettre d’alerte
Dès janvier 2013, la plaignante lance les premiers signaux d’alerte, alors qu’elle est encore en période d’essai. Dans un courrier qu’elle adresse le 19 janvier au Service de santé au travail et qui est produit dans la procédure, elle se dit dans «une situation difficile»: «J’ai entamé une relation amoureuse avec mon patron, ce qui m’apparaît maintenant comme une grave erreur», écrit-elle.
«Je ne veux pas perdre mon travail. Mais je ne sais pas comment le calmer. Je crains qu’il entame un travail de harcèlement moral pour me forcer à partir. Et même si je reste, il risque de me mettre de côté professionnellement. Ça a un peu commencé (…). Il m’a dit que je ne gagnerais jamais», poursuit-elle dans la lettre. Elle se déclare «rongée» par la situation depuis des mois. «J’ai peur de lui, mais trouver un autre travail est difficile», reconnaît-elle.
La médecine du travail n’a pas donné suite à cette lettre. La partie adverse a d’ailleurs émis un doute sur la réalité de l’envoi de ce courrier.
Ressortissante française, Olivia n’a ni famille ni réseau à Luxembourg. Sur le plan psychologique, elle est fragile. La perte de son emploi si longtemps convoité dans le secteur du cinéma la remettrait dans une situation de précarité dont elle pensait être sortie en acceptant un poste au Luxembourg. Sortie d’une école de cinéma à Londres, la plaignante a financé ses études grâce à un job de vendeuse. Son déménagement au Grand-Duché fut à la fois un risque et une opportunité.
Un appartement à Paris
Sa période d’essai de six mois débouche en février 2013 sur un CDI qui rassure la salariée et la pousse à plusieurs reprises à mettre fin à sa relation extra-professionnelle. Mais l’amant et patron la promeut en mars au poste de responsable de projets avec des fonctions élargies et une augmentation de salaire. Sous pression, Olivia craint les conséquences d’une rupture définitive. D’autant qu’elle a le sentiment d’être mise progressivement à l’écart de son travail auprès d’Iris.
Il existe une parfaite déconnexion entre d’une part, la relation amoureuse, mouvementée, qu’ils ont connu, et la relation professionnelle.“Avocat de Drimage et d’Iris Productions
En janvier 2014, changement de décor: la salariée d’Iris se voit proposer un contrat de travail chez Drimage, filiale d’Iris à Paris. La période d’essai est de trois mois. Le salaire fixe y est inférieur à ce qu’elle gagne à Luxembourg, 1.857,09 euros, mais il est assorti d’une rémunération variable sur les dossiers de demandes d’aide pour les projets du groupe Iris ainsi que d’un avantage en nature, la mise à disposition gratuite d’un appartement dans Paris intra-muros, équivalant à 1.200 euros par mois.
Inquiétudes au sujet de Drimage
Olivia est engagée le 17 mars 2014, mais l’appartement parisien dans lequel elle emménage appartient à Nicolas Steil qui en a fait l’acquisition quelques semaines plus tôt. Il y fait des séjours. Toutefois, les relations se dégradent sur le plan sentimental et rejaillissent sur l’activité professionnelle. La salariée est priée de se trouver un autre logement endéans le mois et demi. Son contrat est modifié fin avril avec une augmentation de salaire correspondant à 1.200 euros nets mensuels.

Le 27 juin, l’employée est convoquée pour un entretien préalable à son licenciement pour cause économique. Elle se fait dire que son poste est supprimé à la suite d’une réorganisation de Drimage pour sauvegarder sa compétitivité sur le marché du film. «La situation économique de Drimage est extrêmement inquiétante», se justifie l’employeur.
Or, la Cour fait observer que les difficultés économiques de la filiale parisienne étaient antérieures au recrutement d’Olivia en mars 2014: «Elles existaient dès 2012 et s’étaient poursuivies et aggravées en 2013», soulignent les juges. Ils estiment injustifiés les motifs économiques du licenciement.
Réponse d’avocat
Les juges en revanche déboutent la plaignante de ses accusations principales, faute d’éléments suffisants à leur appui pour établir la réalité des faits allégués. «L’ensemble des éléments versés aux débats (…) n’établit pas les faits laissant supposer qu’elle a été victime d’agissements répétés de harcèlement sexuel de la part de Nicolas Steil, la seule liaison qu’elle a entretenue avec ce dernier ne suffisant pas à l’établir», souligne l’arrêt du 20 mai dernier.
REPORTER a sollicité une réaction de Nicolas Steil et a reçu en retour une lettre d’avocat, rappelant que «la Cour d’Appel de Paris n’a pas condamné la société Iris Production qui a été totalement mise hors de cause» et a débouté l’ex-salariée «de ses demandes en relation avec les soi-disant harcèlements aussi bien en première instance qu’en instance d’appel».
L’avocat d’Iris et de Drimage n’hésite pas à sortir le grand jeu: «Pour autant que (Olivia, Ndlr) devait continuer à diffamer et à calomnier mes mandantes ainsi que son représentant légal, ces derniers m’ont d’ores et déjà donné mandat pour agir contre elle au pénal». Et de rappeler que le Code pénal prévoit des peines de prison allant jusqu’à un an pour «ceux qui auront méchamment imputé à une personne un fait précis de nature à porter atteinte à son honneur ou à l’exposer au mépris public».
Fin de l’histoire et verdict en demi-teinte. Olivia ne s’est pas pouvue en cassation. Elle est une des rares femmes à avoir dénoncé un des problèmes systémiques dans le monde du cinéma. C’était deux ans avant le mouvement #MeToo qui a provoqué un séisme dans l’écosystème de cette industrie du rêve et des paillettes.