Pierre Peters, cofondateur du parti d’extrême droite „National-Bewegong“ pourrait être admis au Barreau de Luxembourg. Depuis quatre ans, il tente de s’inscrire comme avocat. Ses multiples condamnations pénales pour incitation à la haine lui ont déjà valu deux refus.
La troisième tentative sera-t-elle la bonne? Mercredi 13 novembre, lors d’une séance au Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, l’ancien dirigeant et fondateur du parti d’extrême-droite nationaliste, „National Bewegong“, dissout en 1995, a plaidé son cas devant le Conseil disciplinaire et administratif d’Appel (CDA). Il conteste le refus que lui oppose l’Ordre des avocats de Luxembourg de s’inscrire au Barreau en raison de son lourd passé pénal. Le dernier refus qu’il a essuyé remonte au 3 juillet dernier. Il a fait appel de cette décision.
Pierre Peters s’est défendu seul, son avocate Marguerite Biermann, presque 90 ans, ayant eu un coup de fatigue.
Pierre Peters n’aime pas les étrangers et encore moins les musulmans. Il les rend responsables de tous les maux qui frappent le Grand-Duché. Il a exprimé publiquement cette aversion dans des écrits. Il les accuse, entre autres turpitudes, de l’augmentation du coût de la vie et des taxes, de la dégradation du système scolaire et du gaspillage de ressources.
Incitation à la haine
Il a été rattrapé par la justice pour avoir répandu ses idées. Le 6 décembre 2016, la Cour d’Appel l’a condamné à 7.000 euros d’amende pour incitation à la haine. Il était jugé pour avoir distribué à l’automne 2015 un pamphlet aux relents racistes et islamophobes dans les boîtes-aux-lettres de trois communes luxembourgeoises.
«Les propos de Pierre Peters», avaient alors soutenu les juges dans leur arrêt, «sont assurément de nature à donner une image inquiétante de la communauté musulmane dans son ensemble, ainsi que de la population étrangère en général, et à susciter particulièrement parmi le public le moins averti, un sentiment de rejet, d’antagonisme et d’hostilité».
En première instance, les juges s’étaient montrés moins accommodants avec Pierre Peters qui avait pris huit mois de prison ferme.
Dans la peau d’un «lanceur d’alerte»
Lors de ses procès en correctionnel, Pierre Peters s’était défendu d’avoir enfreint l’article 457-1 du Code pénal punissant «l’incitation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne, physique ou morale, d’un groupe ou d’une communauté». Adepte des thèses complotistes, se décrivant comme un «lanceur d’alerte» et se posant en victime d’un procès politique, il estimait avoir fait usage de sa liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Il assurait également que ses critiques ne visaient pas les étrangers mais portaient sur la politique d’immigration menée par le gouvernement et par «Bruxelles». Les juges n’avaient pas eu la même appréciation, voyant dans le pamphlet, «travesti sous l’apparence d’une critique politique du gouvernement (…), des propos stigmatisant les étrangers à l’égard desquels Pierre Peters (avait) sciemment entendu susciter un sentiment de haine».
Je ne m’identifie pas à une condamnation pour incitation à la haine.“Pierre Peters
Pierre Peters est perçu comme un récidiviste des injures racistes et des propos xénophobes. Son passé de délinquant a commencé par une première condamnation en 2011 par le Tribunal correctionnel de Diekirch pour ne pas avoir tenu son chien en laisse.
En mars 2013, il a été condamné à six mois de prison pour des propos xénophobes. Cette condamnation a été réformée en appel en une peine de 160 heures de travaux d’intérêt général. Un an plus tôt, en mai 2012, le tribunal correctionnel lui a infligé une peine de 30 mois de prison avec sursis pour incitation à la haine. Il avait fait circuler en 2010 des écrits qui s’en prenaient à la présence massive d’étrangers au Grand-Duché. Il avait également été condamné pour outrage à magistrat. Pierre Peters, qui avait assuré seul sa défense, n’interjeta pas appel. Ce qu’il regrette aujourd’hui. Il exprime aussi du repentir pour les propos outrageants qu’il avait adressés à une juge.
Mea culpa, mais pas trop
Mais son mea culpa s’arrête là. Pour le reste des faits qui lui furent reprochés, Pierre Peters, fidèle à lui-même et à ses convictions anti-système, persiste et signe, sans éprouver le moindre regret.
C’est ce qu’il a fait valoir dans son recours plaidé devant le Conseil disciplinaire et administratif d’Appel (CDA) mercredi soir en audience publique.
Pierre Peters est maître en droit. Il l’est également en sciences économiques. Titulaire depuis juin 2014 du diplôme du cours complémentaire en droit luxembourgeois, il peut prétendre à son inscription au Barreau de Luxembourg. Toutefois, son passé de délinquant a, jusqu’à présent, compromis ses plans.
Il a eu toutes les peines du monde à trouver un maître de stage, passage obligé pour compléter sa formation théorique. L’ancienne juge Marguerite Biermann, condamnée en 2010 pour injures puis acquittée un an plus tard en appel, et reconvertie avocate, l’a pris sous son aile protectrice. Elle en a fait son stagiaire. Elle a également assuré sa défense dans ses deux derniers procès correctionnels.
«Robin des Bois»
L’ancien dirigeant du parti nationaliste se projette comme un Robin des Bois de la Justice. Il assure vouloir être avocat avant tout pour lutter contre le blanchiment, le financement du terrorisme et la corruption.
Son recours devant le Conseil disciplinaire et administratif des avocats demande l’annulation d’une décision rendue le 3 juillet 2019 par le conseil de l’ordre des avocats de Luxembourg qui lui a refusé son inscription comme avocat. Le Barreau estime que ses condamnations, leur motif et son absence de repentir violent les principes essentiels de la profession d’avocat qui sont inscrits dans le règlement d’ordre intérieur du Barreau.
Me Tom Loesch, rapporteur du CDA, lui a rappelé ces valeurs à l’audience: «dignité, conscience, indépendance, humanité, délicatesse et modération». Il faudrait y ajouter la confraternalité. Tom Loesch l’a interpellé sur cette valeur : «Connaissez-vous la composition du Barreau», lui a-t-il demandé, faisant implicitement référence à la présence minoritaire des Luxembourgeois. «Je vais m’adapter», lui a répondu Pierre Peters. Le fondateur de la „National Bewegong“ ne craint pas les paradoxes.
Un «club» aux portes closes
C’est un peu la seule concession que consentira le candidat à l’assermentation. Il en est à sa troisième tentative pour entrer au Barreau. Il a fait une première démarche le 5 janvier 2015. La seconde remonte au 8 février 2017. Chaque fois, il a été recalé. Chaque fois, il a épuisé tous les recours offerts par la procédure administrative pour contester ces refus à répétition.
Ses arguments pour forcer les portes du «club» des avocats n’ont pas beaucoup changé depuis quatre ans. Ce sont d’ailleurs les mêmes qu’il a avancés devant les tribunaux correctionnels.
Nous devons nous poser la question si Monsieur Peters a le droit à l’oubli.“François Prum, ancien bâtonnier
Pierre Peters se dit victime de «condamnations politiques (…) qui punissent (ses) opinions contraires à celles ‘politiquement correctes’ du système qui nous sont imposées par ceux qui nous dirigent». Pour lui, les articles du code pénal réprimant l’incitation à la haine n’auraient pas d’autres objectifs que museler les opposants au système en place et servir la politique d’immigration dans l’intérêt de l’économie ultra libérale.
En 2017, dans son recours devant la CDA, il n’avait pas hésité à qualifier les membres du conseil de l’Ordre qui lui avaient refusé son entrée au Barreau de «petite équipe d’avocats multi-nationaux (s’arrogeant) le droit d’interdire à un Luxembourgeois qualifié, qui défend sa patrie, l’accès au Barreau luxembourgeois».
Droit à l’oubli ?
Deux ans plus tard, Pierre Peters revient à la charge et continue à se poser comme une victime du système et d’un délit d’opinion. Il n’est, dit-il, ni un meurtrier, ni un voleur, mais la victime d’une interprétation erronée que des juges ont fait du code pénal. «Je ne m’identifie pas à une condamnation pour incitation à la haine», a-t-il répété mercredi à l’audience.
Me Tom Loesch a souligné le caractère paradoxal d’une ligne de défense qui cherche à requalifier une condamnation pour incitation à la haine en délit d’opinion. Il a rappelé au candidat à l’assermentation qu’un avocat est aussi un auxiliaire de justice.
François Prum, l’ancien bâtonnier qui est intervenu dans la procédure pour le compte de l’Ordre des avocats, a délivré un avis défavorable. «Nous devons nous poser la question si Monsieur Peters a le droit à l’oubli», a-t-il indiqué. Pour le Barreau, la réponse est claire.
Son nom n’a pas été cité, mais tout le monde pense à l’ancien juge des tutelles Sandro Luci, qui a été mis à la retraite forcée en janvier 2017 pour comportement inapproprié avec l’une de ses protégées. Rayé de la magistrature, l’homme a pu se reconvertir au Barreau, bénéficiant, lui, d’un droit à l’oubli.
Pour autant, les faits pour lesquels Pierre Peters a été condamnés et son absence de repentir ne sont pas comparables ni de nature à lever les réticences du conseil de l’ordre des avocats à intégrer parmi eux un homme qui assume fièrement ses convictions et qui se serait affiché en Allemagne à des réunions du parti ultranationaliste NPD.