Le milliardaire Alexander Lebedev a été débouté par la Cour d’appel mercredi de sa demande en remboursement de 10 millions de dollars. Le procès met un terme à un litige vieux de 20 ans entre le Russe, ancien agent du renseignement, et un espion espagnol qui se faisait passer pour mort.
L’oligarque Alexander Lebedev ne peut pas compter sur la justice luxembourgeoise pour récupérer 10 millions de dollars prêtés à un vieil espion espagnol, Francisco Paesa Sanchez. Mercredi, la Cour d’appel a débouté la société libérienne «Mozart Holding Inc», appartenant au milliardaire russe, de sa partie civile.
Le procès était celui d’une avocate du Barreau de Luxembourg et nièce de Paesa pour faux et usage de faux. Elle avait émis un certificat à une banque du Bahreïn, attestant qu’un certain Francisco Sanchez était bénéficiaire effectif de fonds provenant de la liquidation d’un trust familial. Or, le nom du bénéficiaire effectif avait été escamoté. L’argent venait d’un prêt de 20 millions de dollars de Mozart Holding et devait servir au rachat d’une banque bahreïnie, opération dans laquelle Lebedev et Paesa étaient associés. L’Espagnol restituera seulement la moitié de cette somme au Russe après l’échec de l’opération. Lebedev a porté plainte au Luxembourg. L’enquête a débouché sur l’inculpation de la nièce. L’oncle a échappé aux enquêteurs luxembourgeois.
Absence de dommages
Le destin de Francisco Paesa est hors norme. Ancien chef des services secrets espagnols, sous la dictature du général Franco, il s’était reconverti dans les affaires. Son chemin avait croisé celui de Lebedev, qui avait débuté sa carrière au KGB sous l’ère soviétique. Pour échapper à des poursuites ouvertes en Espagne dans une autre affaire, Paesa s’était fait passer pour mort et vivait sous une fausse identité.
En première instance, les juges ont considéré que la fausse attestation de l’avocate sur l’origine et la propriété des fonds avait entraîné un préjudice direct pour Lebedev et permis un transfert d’argent d’une banque bahreïnie à une autre, puis la dissipation des fonds. D’où la condamnation au civil en avril 2021 de l’avocate à rembourser 10 millions de dollars, en plus d’une simple amende de 10.000 euros.
En appel, la Cour a jugé que Lebedev n’avait pas rapporté la preuve d’un préjudice en relation causale avec le faux certificat. «Il n’est pas établi que l’attestation (…) ait causé un appauvrissement de (la société Mozart), ni que cette attestation ait permis de sortir les fonds de toute emprise de celle-ci», note l’arrêt consulté par Reporter.lu.
Pour autant, l’avocate n’a pas été acquittée, comme ses avocats le demandaient. L’amende de 10.000 euros pour faux et usage de faux a été confirmée. La faible peine trouve son explication dans la longueur excessive de la procédure pénale et l’ancienneté des faits, le prêt remontant à 2001 et le faux à 2003.
Pièces à conviction du SRE écartées
Une partie de l’enquête pénale reposait sur des documents perquisitionnés dans les bureaux du Service de renseignement luxembourgeois (SRE). L’avocate avait notamment été mise sur écoute et avait été placée sous filature de deux agents du renseignement qui l’avaient suivie jusqu’en Afrique du Sud. Baptisée «SAM», l’opération du SRE et sa justification furent controversées, le SRE, alors en pleine dérive affairiste, ayant été accusé d’avoir travaillé pour le compte des intérêts de l’oligarque russe. Lebedev aurait en effet été en quelque sorte le commanditaire de l’opération SAM.
Les documents saisis au SRE n’ont été communiqués à la prévenue, peu avant le début de son procès en appel, ce qui heurte les droits fondamentaux de la défense.
La Cour a toutefois écarté ces pièces à conviction, présentées par le ministère public pour étayer ses accusations à l’encontre de l’avocate. «Le respect dû aux droits de la défense implique le droit à la contradiction et à l’interdiction de fonder une condamnation sur des pièces qui n’ont pas été versées aux débats et qui n’ont pas été soumises à l’examen et à la contradiction des parties», ont fait valoir les magistrats d’appel. «Ces pièces n’ont été rendues disponibles à la défense que deux semaines avant l’audience en appel, l’accès à ces pièces pour la première instance n’est pas documentée», ont-ils précisé.
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