La Ville de Luxembourg a perdu son pourvoi en cassation contre le propriétaire de la Maison Lassner qui l’a fait condamner pour avoir refusé l’implantation d’une agence bancaire. Les avocats de la commune ont tenté de faire reculer de plus de 40 ans les avancées du droit sur la responsabilité des collectivités en cas de faute.
L’épilogue de l’affaire opposant depuis l’été 2012 la Ville de Luxembourg à l’Immobilière Lassner s’est achevé définitivement le 29 octobre devant la Cour de Cassation. La Ville avait saisi cette juridiction en août 2019, après avoir été condamnée à indemniser le propriétaire du plus bel immeuble de la Place Guillaume II pour des loyers qu’il n’avait pas pu encaisser.
Personne ne croyait vraiment aux chances de la Ville de renverser en sa faveur un arrêt de la Cour d’Appel du 2 mai 2019 l’enjoignant à indemniser à hauteur de 485.000 euros le préjudice allégué par Immobilière Lassner. Le bourgmestre DP de l’époque, Xavier Bettel, avait refusé de donner l’autorisation à l’implantation d’une agence de la BIL au rez-de-chaussée de la Maison Lassner. A l’heure actuelle, cette surface commerciale abrite Bazaar, l’un des restaurants les plus hypes de la capitale.
Entêtement de Lydie Polfer
Au nom de la sauvegarde de l’attractivité commerciale du centre-ville, Xavier Bettel ne voulait pas entendre parler de l’installation d’institutions financières au cœur de la capitale. Toutefois, en 2012, ce refus ne s’appuyait sur aucune base légale.
Il a fallu attendre fin 2014 (Bettel, devenu dans l’intervalle Premier ministre, avait cédé la place à Lydie Polfer) pour qu’une règlementation interdise l’occupation de rez-de chaussée commerciaux situés dans le secteur protégé de la Ville Haute par des banques, assurances et agences immobilières.
Le propriétaire de l’immeuble Lassner avait assigné les autorités communales devant le Tribunal administratif et fait annuler, à l’été 2014, la décision de refus en raison de son illégalité. S’en est suivi une série de recours judiciaires qui ont débouché sur l’arrêt de mai 2019. Le juges de la Cour d’appel siégeant en matière civile ont considéré que les services de la Ville de Luxembourg (VdL) avaient fonctionné de manière défectueuse. Ils avaient retenu la responsabilité de la collectivité sur la base de l’unité des notions de faute et d’illégalité pour la condamner à indemniser le préjudice financier que le propriétaire avait dû supporter.
Selon ce principe de droit, toute illégalité est constitutive d’une faute susceptible d’engager la responsabilité civile de l’Etat ou d’une collectivité. Il s’agissait en l’occurrence pour la VdL de la réparer.
L’affaire a suscité des discussions animées au sein du Conseil communal. L’opposition a notamment reproché à l’actuelle bourgmestre DP Lydie Polfer son entêtement à ne pas reconnaître l’erreur de ses services et à engager l’argent des administrés dans des procédures en justice vouées à l’échec.
Vieux cadavres
Le pourvoi en cassation de la VdL a été introduit fin août 2019 par le cabinet Arendt&Medernach qui a déployé une débauche de moyens juridiques, cinq au total, pour mettre en cause la décision de la Cour d’appel et tenter d’échapper au paiement des indemnités. A tout le moins se les faire rembourser puisque le montant de 285.000 euros a déjà été versé à Immobilière Lassner par avocat interposé.
Pour les besoins de leur cause, les avocats de la VdL n’ont pas hésité à exhumer d’outretombe des vieux cadavres. Ils ont entre autres remis en question des principes de droit sur la responsabilité civile des collectivités du fait de l’illégalité d’un acte administratif, principes que d’aucuns pensaient inébranlables depuis plusieurs décennies.
Comme l’a rappelé l’avocat général John Petry dans ses conclusions de près de 40 pages, la Cour de Cassation avait fait une erreur de casting en 1977 en rejetant le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute. A l’époque, la juridiction luxembourgeoise s’était appuyée sur une jurisprudence française du début du 20e siècle pour trancher une affaire impliquant la responabilité d’une commune. Ce faisant, la Cour s’inscrivait dans un «courant jurisprudentiel déjà dépassé à l’époque». «La jurisprudence administrative française du début du 20e siècle retenait que certains types d’illégalités, notamment des erreurs d’appréciation, ne constituaient pas des fautes, mais des erreurs fautives», écrit Petry.
La Cour de cassation s’est rattrapée depuis lors et le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute n’a plus jamais été remis en question. Les travaux préparatoires de la loi du 1er septembre 1988 sur la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités ne permettent aucun doute sur la consécration de ce principe du droit. «Cette consécration, précise l’avocat général, a été réalisée dans le cadre d’une jurisprudence constante des juridictions de fond».
La VdL a été condamnée à payer à Immobilière Lassner une indemnité de procédure de 2.000 euros qui alourdissent la première facture de 485.000 euros, sans compter les intérêts légaux.
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